Le site du parti de l'In-nocence

Retour au rapport de la présidente du jury du concours d'entrée à l'ENA 2010

Envoyé par Thierry Noroit 
Document trouvé sur l'excellent blog - notamment consacré à l'élégance vestimentaire masculine - Le chouan... des villes(http://lechouandesvilles.over-blog.com) :


Le rapport de Madame Pappalardo, présidente du jury du concours 2010 de l’ENA, a été remarqué. Un de mes amis lecteurs a eu la gentillesse de m’envoyer un article que Libération a consacré au sujet. Ces quelques extraits dudit rapport ont particulièrement retenu mon attention : « Nous n’avons pas été éblouis par l’originalité des candidats, à commencer par leur apparence vestimentaire : à part un corsage, deux vestes et une cravate colorées et un seul pantalon de velours… tous les autres candidats étaient en costume-cravate et tailleur noir ou anthracite, voire bleu marine; en outre certains étaient visiblement mal à l’aise dans ces tenues qui n’étaient pas à leur taille. Cela donne le sentiment que les candidats ont une image de l’Ecole et de la fonction publique très conformiste, à l’image de cet «uniforme» qu’ils se sont efforcés d’endosser ». Et Madame Pappalardo d’ ajouter que les "originaux" venus avec un peu de couleur sur le dos ont presque tous été admis « pas tant pour leur tenue que parce qu’elle était en phase avec un certain tempérament, une capacité à s’affirmer dans l’échange avec le jury. »

Ces propos m’ont tout d’abord enchanté, sinon dans la forme du moins dans le fond : comment n’aurais-je pas été sensible au lien ainsi noué entre la singularité de la mise et l’affirmation de la personnalité ? Et puis je suis tombé sur un communiqué que le parti de l’In-nocence, sous la signature de son président Renaud Camus, a consacré audit rapport : « On a peine à croire que Mme le président du jury puisse sérieusement faire reproche aux candidats du prétendu "conformisme" de leur tenue et féliciter au contraire ceux d'entre eux, trop peu nombreux à son gré, qui sont vêtus avec fantaisie, alors qu'un certain degré de neutralité et d'abstraction, de discrétion, de gommage calculé des aspects les plus saillants de la personnalité individuelle semble au contraire éminemment souhaitable chez de futurs représentants de l'État, auxquels on ne demande pas au premier chef d'être "eux-mêmes", comme à des animateurs de clubs de vacances. »

Renaud Camus

Cette opinion, formulée par l’un de nos plus brillants prosateurs, m’a ébranlé. Et puis, mon trouble passé, j’ai retourné ma réflexion dans le bon sens.

Je m’étonne que Renaud Camus, candidat déclaré à la prochaine présidentielle, qui cultive pour lui-même une mise surannée assortie à ses idées politiques, s’alarme que des candidats à la plus emblématique de nos pépinières d’élites laissent à leurs vêtements le soin de dire un peu qui ils sont.

Je m’étonne qu’il en vienne à souhaiter (au moins implicitement) que le recrutement à l’Ena se fasse sur un modèle quasi militaire.

Je m’étonne qu’il assimile à de vulgaires animateurs de clubs de vacances ceux des candidats qui ont cherché à se soustraire à l’uniformité ambiante par des audaces vestimentaires au demeurant fort limitées.

La grisaille énarchique m’inquiète. C’est sous elle qu’on fabrique de futurs monstres froids.

Au vrai, dans quelle mesure Renaud Camus, esprit original et volontiers provocateur, croit-il ce qu’il dit ? Les nombreuses nuances qui émaillent son propos permettent de s’interroger : « un certain degré… gommage calculé… aspects les plus saillants… semble ».

Ah ! Si le monde était bien fait, il aurait permis que Madame Pappalardo écrivît aussi bien que Renaud Camus et que Renaud Camus pensât aussi juste que Madame Pappalardo ! 
"...et que Renaud Camus pensât aussi juste que Madame Pappalardo"

Dieu nous en préserve...
Si je puis me permettre, si Mme Papamachinchose écrivait aussi bien que Renaud Camus, elle penserait plus juste.
(Je sais ce que ceci peut avoir de choquant pour des âmes simples et naïves comme celle de M. Jean Martin (au hasard), mais il nous faut pourtant bien l'admettre : la pensée suit au moins autant l'écriture que l'écriture ne suit la pensée...)
Transmission de pensée. J'allais conseiller la lecture des Provinciales à notre ami Jean et, pourquoi-pas, La Logique ou l'art de penser de ces chers Arnaud et Nicole.
Francmoineau, la formule est jolie, je la crois cependant infondée quand il s'agit par exemple de certains arts. Prenez la musique. Supposez que nous assistions à un magnifique concert, pour une oeuvre que nous connaissions déjà. L'écriture me semble limitée pour décrire le sentiment qui nous envahira.

Il y a des domaines de la pensée qui s'expriment autrement que par l'écriture.
Vous confondez un peu penser et sentir, cher Jean-Marc (bien que je vous concède qu'il y ait quelques frontières poreuses...).
Francmoineau,

Pensez aux schémas ou aux plans d'architecture : ils appellent davantage à la raison qu'au sentiment... imaginez les pages qu'il faudrait noircir pour transmettre la même idée...
Prenez un traité de géométrie : il y a des dessins, des figures. On peut certes s'en passer en décrivant ce qu'on pourrait schématiser, mais c'est mieux de les utiliser.

Considérez Pascal : je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il pensait faussement, ni qu'il était une nullité littéraire. On n'a retrouvé qu'un seul manuscrit mathématique de Pascal. Il est relatif à un petit théorème. Pascal, pour le démontrer, dessina en haut à gauche une petite figure géométrique, il n'écrivit pas tout.

[www.actualitte.com]
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Ne trouvez-vous pas le sujet intéressant, Didier ?

La sorte de prééminence de l'écriture sur la pensée que parait indiquer Francmoineau vous semble si évidente qu'il ne faille pas en discuter ?
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Pour ce qui est de l'expression, je suis d'accord avec vous.

Il y a quelque temps, on a parlé de langage philosophique et Cassandre nous a donné son opinion sur celui des physiciens. Que pensez-vous, en mathématiques, de Bourbaki ?
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Didier,

Votre réponse me déçoit, il me semble qu'on peut parler de choses intéressantes en dehors des oeuvres philosophiques...
Il est souvent question de langage, ici, et le travail du groupe Bourbaki n'est pas sans rapport avec cela...
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Pas de problème, le bourbaki se réchauffe très bien.
Cher Jean-Marc, Bourbaki, c'est de la bureaucratie en mathématique... Bourbaki est aux mathématiques ce que Kant est à la philosophie : jargoneux, par trop pointilleux, obsessionnel (par exemple, dans le surcroît de définitions), compassé, et souvent contre-intuitif — en somme, beaucoup trop formel (au sens du langage formel, et non de l'intuition géométrique) — (le grand mathématicien Mandelbrot quitta l'École Normale pour Polytechnique, dégoûté du bourbakisme qui y régnait alors — et pour cause, Mandelbrot, ce génie de l'intuition géométrique, ne pouvait supporter le formalisme outrancier des bourbakistes).

PS : J'ai seulement lu, mais sans l'avoir achevé, le premier volume de l'œuvre bourbakiste ; les premières pages sont risibles, tellement l'excès définitionnel est flagrant.
Justement, il me semble que ce n'est pas sans rapport avec le reste du débat...

Je crois d'autre part qu'il s'agit de Mandelbrojt et non de son fils Mandelbrot.
Je parlai bien de Benoît Mandelbrot (neveu du bourbakiste Szolem Mandelbrojt) qui quitta l'ENS pour bourbakiphobie. [ source ]
Vous avez raison, j'avais pensé de mémoire qu'ils étaient père et fils alors qu'ils étaient oncle et neveu. Mandelbrojt quitta aussi Bourbaki et s'en expliqua.

Lisez ce passage, fort instructif, sous la plume de Godement :

[books.google.fr]

C'est la page 148
Merci, je le lirai.

Citation
Jean-Marc
Justement, il me semble que ce n'est pas sans rapport avec le reste du débat...

Oui, Jean-Marc, cela est en effet lié au reste du débat. Bien que je voie d'un mauvais œil le formalisme obsessionnel des bourbakistes — les mathématiques sont selon moi bien plus intuitives qu'hypothético-déductives (on décèle souvent la vérité d'un théorème avant d'en trouver la preuve) —, je suis favorable au port de l'uniforme à l'école, d'autant plus s'il s'agit d'une grande école. La grandeur d'un protocole réside avant tout dans la dépersonalisation qu'il met en œuvre : le "moi" doit s'effacer sous la représentation de la fonction qu'il incarne. (Le titre d'un livre de R. Camus le dit bien : Syntaxe ou l'autre dans la langue : cet "autre dans la langue" est une re-présentation de la parole du locuteur qui, de ce fait — par le truchement de la syntaxe — se fait autre que lui-même.)
Henri,

Il est piquant de constater que les oulipiennes galipettes des Bourbaki finirent par déboucher sur la commission Lichnerowicz, et que ces amis du formalisme extrême conduisirent à purifier par le feu dans les écoles primaires les Quatre opérations au profit des Ensembles. Le colosse Dieudonné, épouvanté, vit qu'on était allé trop loin. Trop tard, les Gardes rouges de "la" mathématique étaient dans la place.
Kant jargonneux... que ne faut-il pas entendre. Kant a l'immense mérite de définir tous les termes qu'il emploie, ce qui est devenu rare en philosophie. Ce faisant il se place sous le contrôle de son lecteur, il conclut un pacte avec lui : c'est comme s'il lui donnait sa parole de ne point lui faire faux bond, de ne pas se dérober devant les difficultés induites par le dépliement desdites notions, c'est comme s'il prêtait sciemment le flanc à toute critique consistant à lui reprocher un usage confus des concepts. En cela Kant, homme rigoureux, était un philosophe honnête.
Henri, je vous en conjure : ne parlez pas de Nitsh Nitcz Nietzsche !
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Citation
Jean-Marc
Il est piquant de constater que les oulipiennes galipettes des Bourbaki finirent par déboucher sur la commission Lichnerowicz, et que ces amis du formalisme extrême conduisirent à purifier par le feu dans les écoles primaires les Quatre opérations au profit des Ensembles. Le colosse Dieudonné, épouvanté, vit qu'on était allé trop loin. Trop tard, les Gardes rouges de "la" mathématique étaient dans la place.

Oh, tout à fait, Jean-Marc. Aveuglés par la fécondité des mathématiques modernes, par leur puissant pouvoir de généralisation, les bourbakistes n'avaient sans doute pas vu que l'abstrait (l'Ensemble) nait toujours du "concret" (le Nombre), bien qu'a posteriori, la reconstruction théorique procède à l'inverse : de l'abstrait vers le concret (des Ensembles vers les Nombres). Il faut dire que le bourbakisme, de par son essence même, croyant à la toute puissance du langage et des inférences, devait oublier que la plupart des lois, aussi bien physiques que mathématiques, naissent de la simple induction — l'induction des philosophes et non celle des mathématiciens, bien entendu —, soit in fine de l'observation.
Citation
Stéphane Bily
Ce faisant [définissant tous les termes qu'il emploie] il [Kant] se place sous le contrôle de son lecteur, il conclut un pacte avec lui...

Le seul pacte que je conclus avec Kant fut celui-ci : une heure de lecture contre un doliprane.
« La tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi du temps immuable et la trajectoire de sa promenade quotidienne que deux fois : la première en 1762 pour se procurer le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, la seconde, en 1789 afin d'acheter la gazette après l'annonce de la Révolution française. » (Extrait de Wikipédia)

Rigoureux et honnête, disiez-vous, cher Stéphane ? Peut-être. Rigoriste, obsessionnel, fou, sûrement.
Le bourbakisme accompagna l'essor, dans le monde anglo-saxon, de la philosophie analytique, l'un ne devait pas aller sans l'autre. Le phénomène est tout un, qui connut une répartition géographique et civilisationnelle des domaines de son expression. Le caractère collectif et quasi-anonyme de l'entreprise en demeure fascinant.
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Oui, Francis, c'est très exact.

Les Bourbaki étaient d'ailleurs très intéressés par la philosophie et aussi un peu poètes.

Voici le sonnet de Chançay, dû à André Weil et qui résume les travaux du congrès Bourbaki de Chançay :

Soit une multiplicité vectorielle,
Un corps opère seul, abstrait, commutatif.
Le dual reste loin, solitaire et plaintif,
Cherchant l'isomorphie et la trouvant rebelle.


Soudain bilinéaire a jailli l'étincelle
D'où naît l'opérateur deux fois distributif.
Dans les rêts du produit tous les vecteurs captifs
Vont célébrer sans fin la structure plus belle.


Mais la base a troublé cet hymne aérien :
Les vecteurs éperdus ont des coordonnées.
Cartan ne sait que faire et n'y comprend plus rien.

Et c'est la fin. Opérateurs, vecteurs, foutus.
Une matrice immonde expire. Le corps nu
Fuit en lui-même au sein des lois qu'il s'est données.


Et voici une photographie des Bourbaki avec Simone Weil :

[mathstjo.fr]

En fait, André Weil fut, dans mon esprit, le fondateur avec Hilbert d'une école de pensée formaliste.
Oh, réfléchi, réfléchi... il lui arrive aussi d'écrire des bêtises.
Je vous rejoins tout à fait. On aurait tort, en outre, me semble-t-il, de ne pas mentionner ici l'apport de l'entreprise bourbakienne à la topologie, même si celui-ci paraît de prime abord ne lui être qu'incident ou ne déboucher sur elle que par accident, dans une totale absence de préméditation. Quand je caressais d'une main craintive le monstre bourbakien dans ses formes vulgarisées, je m'émerveillais de le voir, sous la caresse, recréer la géométrie comme on crée un monde inédit, qui par caprice aurait voulu naître en contournant Euclide (par les matrices, les espaces vectoriels, etc.)
Cher Didier, mes « affirmations à l'emporte-pièce sur Kant » portaient avant tout sur son style, que je comparai à celui des bourbakistes. Et je ne doute pas, soyez-en sûr, que je suis parfois inique envers tel ou tel.

Afin de « rentrer [plus avant] dans le cercle vertueux du dialogue », comme vous dites, et puisque nous parlions de Kant, de mathématiques, et que nous évoquions rapidement la philosophie analytique, j'aimerai faire une remarque de fond, et non de style, cette fois. Il me semble que l'on pourrait tout à fait comprendre la Critique de la raison pure comme une œuvre bien plus épistémolgique que philosophique, dont l'objet était de fonder la mécanique newtonienne en démontrant que ses principes sont des propositions à contenu informatif sur le monde (synthétiques dans le langage kantien, i.e. qui disent quelque chose de plus que ce qui est déjà contenu dans les définitions) mais vraies absolument (a priori, vrai apodictiquement, dans le langage kantien). En réussissant cela, Kant eût fondé la mécanique newtonienne en montrant que ses principes sont non triviaux — non purement définitionnels — mais irréfutables. La compréhension de l'espace et du temps comme formes a priori de la sensibilité (intuitions pures) lui permettait de trouver un lieu — en l'occurrence, la forme de notre système perceptif — qui fondât la vérité absolue des propositions construites en ce lieu : en effet, des lois construites en un lieu qui ne dépend pas de l'expérience, mais la rend possible, seront de facto absolument vraies. Mais, et c'est là que le bât blesse, sa philosophie se voulant scientifique, elle en devenait réfutable : Maurice Schlick, l'un des fondateurs du Cercle de Vienne, dans son livre de 1917, Raum und Zeit in der gegenwärtigen Physik (L'espace et le temps dans la physique moderne), démontra que les propositions synthétiques a priori n'existaient pas, autrement dit que toute vérité est soit conventionnelle (analytique, logique, définitionnelle, a priori), soit expérimentale (synthétique a posteriori), comme celles de la théorie de la relativité. Poincaré, de même, entreprit cette démolition.

Mais cela ne remet évidemment pas en cause la grandeur de Kant — c'était un génie, je le reconnais — et son immense travail, notamment celui qui concerne la morale et l'esthétique, que l'on retrouve dans les deux critiques qui leur sont consacrées (celle de la raison pratique et celle de la faculté de juger).
(Message supprimé à la demande de son auteur)
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