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Francois Taillandier - Langues régionales : l'arrière- plan d'une cause «sympa»

Envoyé par Gérard Rogemi 
François Taillandier, écrivain, auteur d'«Une autre langue» s'interroge sur cette tentation d'accorder un statut constitutionnel aux langues régionales. Il prône au contraire un encouragement de la francophonie.

Langues régionales : l'arrière- plan d'une cause «sympa»

Par François Taillandier, écrivain, tribune parue dans Le Figaro, mardi 24 juin 2008

On peut espérer que le vote des députés visant à entériner dans la Constitution l'existence des langues régionales sera une affaire enterrée après le refus du Sénat. Provisoirement du moins, et c'est pourquoi il faut y revenir : car les pressions exercées en ce sens ne cesseront pas, et le comportement de nos élus en cette affaire a donné une pénible impression d'irresponsabilité, pour ne pas prononcer un mot plus grave. Tout s'est passé comme si, en évitant soigneusement de préciser à quoi l'on s'engage, on s'était à la fois dédouané et donné les coudées franches, au moyen d'une formule apparemment innocente, mais qui tient de la boîte de Pandore ou de la bombe à retardement.

Un sondage, réalisé pour Ouest-France, révèle que 68 % des Français sont favorables à la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales. On voit bien comment joue ici le caractère «sympa» d'une telle mesure, toute revendication minoritaire étant désormais affectée a priori d'un coefficient de légitimité irréfragable. On voit aussi comment la cause est entendue avant d'être étudiée. Le Sénat et l'Académie, avec la complicité souriante du média qui en rend compte, sont présentés comme des «assemblées de Gérontes». La stigmatisation âgiste, gentiment odieuse, sert opportunément à ne pas examiner leurs arguments.

Nos 68 % de compatriotes (dont il est évident que pas un sur cent ne pratique une desdites langues) ne se demandent pas pourquoi ils jugent si progressiste et novatrice cette reviviscence des pittoresques disparités de l'Ancien Régime, qu'ils honnissent tant par ailleurs, voire des rêves pastoraux du Maréchal. Ils ne se demandent pas de quelles revendications futures elle est porteuse, ni quelles conséquences pourrait avoir une officialisation des langues régionales dans le fonctionnement de l'administration et de la justice. Ni (comme l'a souligné le sénateur J.-L. Mélenchon) quelles autres «reconnaissances» de toutes sortes d'identitarismes et de communautarismes s'en autoriseront.

Ils ne se demandent pas non plus ce qui se profile derrière cette revendication. On ne peut pas leur en vouloir, mais on a le droit de dire qu'ils sont mal informés. Or l'information existe. Dans un essai intitulé «La Bataille des langues en Europe» (Bartillat, 2001), Yvonne Bollmann a décrit une politique ethniciste, qui remplace la citoyenneté par l'héritage de la terre et du sang. Il faut savoir que les idéologues de cette tendance font leurs comptes (tant de Basques, tant d'Auvergnats…) et n'hésitent pas à mettre les juifs à part.

Je n'ignore pas qu'il existe de sincères défenseurs de langues que la modernité (et pas seulement en France) voue à mourir. Il est tout à fait nécessaire d'aider ceux qui veulent les conserver, les étudier, et surtout créer dans ces langues, faute de quoi elles ne seraient qu'objets de musée.

Oui, il faut des associations, des bibliothèques, des programmes universitaires. Il faut l'exercice concret de libertés. Pas des principes abstraits. Donnera-t-on demain au basque, au catalan, au breton ces heures d'enseignement, ces postes que l'on s'obstine à retirer au latin et au grec deux langues anciennes qui constituent le socle historique et culturel de la maison Europe ? Faut-il constitutionnaliser le grec et le latin ? Si l'on veut aller par là, ils le mériteraient bien autant.

Singulier paradoxe d'une opinion autoproclamée progressiste qui ne cesse de flétrir le repli et le chauvinisme et veut à tout prix nous inclure dans des micro-identités ! Si nos élus veulent mener une politique linguistique à la hauteur des enjeux du temps, donnons-leur de meilleures idées. Une France qui voudrait se relier au monde commencerait par renforcer les liens de la francophonie. M. Hervé Bourges a récemment fait à ce sujet des propositions qu'il faudrait approfondir, discuter, utiliser. Ensuite, elle mènerait une vigoureuse promotion des langues étrangères. Tout jeune Français devrait apprendre une des langues de l'Union, ainsi qu'une des grandes langues véhiculaires (l'espagnol, l'anglais). La France du XXIe siècle aura également un besoin vital de gens qui parlent, par exemple, le chinois ou l'arabe.

Nous avons la chance immense d'avoir ici des immigrés provenant de ces langues, ô combien porteuses d'histoire, de culture et d'actualité. Leur proposer une intégration linguistique efficace devrait aller de pair avec la reconnaissance de la richesse qu'ils détiennent. Pour cela, nous avons besoin d'une langue française s'affirmant sans complexe, c'est-à-dire sans mépris ni ressentiment. Allons, Messieurs les parlementaires, vous avez du travail !


Mardi 24 Juin 2008

Source
Nous avons la chance immense d'avoir ici des immigrés provenant de ces langues, ô combien porteuses d'histoire, de culture et d'actualité. Leur proposer une intégration linguistique efficace devrait aller de pair avec la reconnaissance de la richesse qu'ils détiennent.

On voit bien ici qu'une cause "sympa" peut en cacher une autre !
That's what I was just going to say, yeah.
Citation
Nous avons la chance immense d'avoir ici des immigrés provenant de ces langues, ô combien porteuses d'histoire, de culture et d'actualité. Leur proposer une intégration linguistique efficace devrait aller de pair avec la reconnaissance de la richesse qu'ils détiennent.

Chers amis,
Vous ne devriez pas oublier que Francois Taillandier n'est pas en dehors de la doxa dominante mais en plein dedans car il faut bien qu'il paie ses factures, le brave homme.

Quoiqu'il en soit l'argumentaire de cet article rejoint dans ses grandes lignes le communiqué n° 691 du P.I. sur le rejet par le Sénat de la disposition relative aux langues régionales dans la Constitution.
Ah, il va falloir réviser nos acronymes et parler des icpf !
A propos de la dernière phrase de François Tallandier qui, à juste titre, irrite tout le monde ici : récemment, sur France-Culture, Alain Venstein recevait Nancy Huston, qui a affirmé qu'en vertu du fait que les arabes représentaient maintenant dix pour cent de la population française (c'est, je crois, le chiffre qu'elle avança), les français devaient apprendre la langue arabe dès le plus jeune âge. Comme ça tout le monde il se comprendra : trop cool.
Comme si nos cpf maghrébins parlaient l'arabe à la maison. On croit rêver.

A propos: Madame Nancy Huston vit avec Tzvetan Todorov. On peut vraiment parler dans leur cas de l'archétype même d'un couple ayant intériorisé l'impératif de rectitude politique.
Tiens, j'ignorais cela. C'est significatif en effet.
Utilisateur anonyme
27 juin 2008, 11:24   Huston, nous recevez-vous ?
Ah mon Dieu, quelle c… celle-là !
C'est bien ce que je disais : selon l'absurde logique hermogénienne qui nous gouverne, puisque nos " cpf " sont français, aussi français que n'importe quel autre, s'ils parlent arabe c'est que l'arabe est aussi du français. D'ailleurs que les Nancy Huston et consorts se rassurent, je mets ma tête à couper que l'arabe sera, en effet, imposé, non seulement comme langue obligatoire en France, mais, dans deux générations au plus tard, comme première langue obligatoire. Il faut bien comprendre que, à partir du moment où l'on a admis que notre pays n'était pas notre pays, et que tous les étrangers de la terre avaient vocation, dès leur naissance, à être français, autant que nous et plus que nous, quoi qu'ils soient, quoi qu'ils croient, quoi qu'ils parlent et quoi qu'ils fassent, comme tous les enfants de France ont vocation, dès la naissance, à avoir le bac, tout est possible. Rien ne peut plus apparaître comme un gag improbable. Ce qui apparaissait comme tel, à tout le monde, il y seulement dix anx, est imposé aujourd'hui comme devant aller de soi.
Et voilà !

Les langues régionales séculaires (breton, occitan, corse, basque et autres) qui ne sont porteuses ni d'histoire, ni de culture et encore moins d'actualité sont passées au pilon, pendant qu'on ouvre les portes à l'arabe et pourquoi pas au wolof (je suppose que le chinois n'est évoqué que par symétrie).
27 juin 2008, 19:28   Langues régionales
Le communiqué du Parti me surprend d'ailleurs un peu. Il n'est nulle part remarqué que ces langues furent celles d'une large part des Français, avant la promulgation des diverses constitutions, et ce jusqu'au début du XXème siècle...
Utilisateur anonyme
27 juin 2008, 22:55   Re : Le français : un patois qui a réussi
Oui, d'accord avec jmarc. C'est surtout l'école obligatoire qui a fait la chasse aux langues régionales. Il fallait tous parler l'ancien patois de l'Ile de France, qui n'est devenu langue que parce c'était celui de la royauté. Un pur hasard historique, en somme.
L'unification linguistique de la France ne se fit pas avant le milieu du XXe siècle, surtout grâce à l'exode rural massif. L'école obligatoire ayant bien préparé le terrain et l'armée vérifier le travail.
La France ne fut pas, en majorité (en dehors des grandes villes), un pays francophone pendant toute son histoire jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les téléfilms sont mensongers lorsque, par exemple, ils montrent Dominici parlant un français sans problème alors qu'il le parlait peu et mal...
C'est une réalité ignorée.
Ces langues sont toutes plus ou moins mortes (à part le basque et l'alsacien qui résistent), leurs locuteurs ayant été convaincus qu'en les parlant ils ne seraient jamais modernes. On aurait pu leur donner le français en plus, on le le donna à la place de leur langue. Ils en nourrirent une haine d'eux-mêmes et de leur langue. La génération suivante, animée de la même haine de soi, retourne désormais cette haine contre le français et la France, pour les mêmes raisons : ce n'est pas moderne.
On défend le français en défendant les langues régionales, ou plutôt on l'affaiblit en les attaquant (ce qui ne signifie pas soutenir tous les illuminés, romantiques attardés). Je déteste la référence à Vichy dans l'article de Taillandier... Comme tout ce que défendit Vichy, le seul fait que Vichy le défendit suffit, apparemment, à les condamner. Vichy défendit aussi le travail (aussi attaqué), la famille (idem), la patrie (idem) et la jeunesse (bizarrement cela fait exception)... pourtant ce sont des choses aimables, d'une manière différente de celle prônée par les adeptes du Maréchal.
Pour mémoire, l'occitan est la première langue vernaculaire littéraire d'Europe, la première dans laquelle furent écrits des textes théoriques (notamment grammaticaux) sur le continent (le français dut attendre près de deux siècles).
Pour mémoire, le basque conserve dans son lexique des mots latins qui nous renseignent sur l'état du latin vulgaire du début de notre ère. Grâce au basque "denbora" (le temps) on sait que les Latins disaient couramment "tempora" (au pluriel) et non "tempus".
Pour mémoire, le breton Diwan est une invention qui fait paraître encore plus ringards les différents dialectes que ne comprennent pas les jeunes et qu'ils trouvent souvent laids; c'est une langue (artificiellement unifiée) dans mémoire, tandis que les dialectes en ont une. Les partisans du breton sont souvent assez antichrétiens et refusent la littérature de curé en breton, càd 80% du corpus.
Pour mémoire, ce sont les dialectes picards et champenois qui furent les premiers à donner une littérature en oil, avant le francilien. On trouve des poésies très tôt qui ironisent sur la pauvreté poétique de Paris (qui se rattrapa).
Qu'on ne dise donc pas que ces langues n'ont pas d'histoire ni de mémoire. Ce sont celles des contes, des chants populaires, mélodies auxquelles tant de compositeurs, de romanciers puisèrent pour les universaliser.
"On aurait pu leur donner le français en plus, on le le donna à la place de leur langue."

Que voulez-vous, cette tâche de donner le français "en plus", on l'a laissée aux écrivains. Ils ont pu se montrer envahissants mais on peut ne pas leur en vouloir, nonobstant la grandeur originelle d'autres langues, soumises au génie de celle qu'ils illustrèrent.
Qu'on ne dise donc pas que ces langues n'ont pas d'histoire ni de mémoire. Ce sont celles des contes, des chants populaires, mélodies auxquelles tant de compositeurs, de romanciers puisèrent pour les universaliser.

Personne ici n'a contesté cela, me semble-t-il. Le débat s'est ouvert autour de la mention dans l'article 1 de la Constitution de ces langues régionales, "patrimoine de la Nation" et ce qu'elle pourrait impliquer par la suite dans certaines régions sous la pression de divers mouvements régionalistes ou "nationalistes" : enseignement obligatoire de la langue régionale, co-officialité du français et de la langue régionale avec traduction systématique de tous les documents administratifs, recrutement de fonctionnaires strictement "régionalisé", etc...

Il est vrai que l'on a volontairement écarté et discrédité les langues régionales après la guerre et jusqu'à la fin des années soixante-dix ; il est aussi vrai que l'on a ensuite inversé la tendance en créant des Capes de langues régionales, des formations universitaires et de nombreuses options et classes bilingues dans les écoles, collèges et lycées. Vous parlez du basque et de l'alsacien qui ont été ainsi "revivifiés" ; on pourrait ajouter le breton, le corse et dans une moindre mesure le provençal (ou l'occitan). L'important est de rester dans un cadre optionnel et volontaire et de ne pas empêcher ceux qui veulent apprendre et parler leur langue régionale de le faire. Ceci est tout à fait possible sans modification constitutionnelle ; aller au-delà me semble périlleux à divers titres, et je trouve judicieuse sur ce point la formule de Taillandier qui parle de "bombe à retardement" et de "boîte de Pandore"...
Cher Alexis,
Les études les plus récentes montrent que les bretons des villages (ces dialectes qui ont une mémoire) sont quasiment morts, ses locuteurs étant tous très âgés. De plus, le breton Diwan (enseigné dans les écoles du même nom), qui est une unification assez artificielle, idéologique (on a, autant que possible supprimé le lexique d'origine française, qui, en 5 siècles de cohabitation, n'avait pas manqué de proliférer) que ne comprennent pas les Anciens bretonnants. Ce nouveau breton n'assure pas le lien entre les générations et ne donne guère accès à ses locuteurs à la mémoire des bretons de village. Les poètes bretons que traduisit si bien Armand Robin (lui-même bretonnant) n'appartiennent guère à la mémoire des Diwan.
L'occitan est subclaquant, sauf dans quelques zones. Le gascon résiste un peu dans les zones montagneuses (un peu en Béarn, grâce aussi au Val d'Aran).
Le basque résiste en grande partie grâce à l'expérience de l'Euskadi non loin de là, qui montre aux jeunes que le basque peut être une langue moderne. Les Anciens, au Pays basque, sont souvent hostiles à la reconnaissance de ces langues régionales, car ils ont mémoire de leurs difficultés à apprendre le français. Les écouter permet de comprendre comment le basque (et les autres langues régionales) ont pu reculer si vite, après des siècles de maintien.
L'alsacien survit assez bien. Mais c'est un dialecte allemand (du platt Deutsch) et l'Allemagne n'est pas loin où il est possible de le parler (avec quelques ajustements).
Tous les dialectes d'oil sont morts.
Millet raconte bien que sa langue, le limousin (variante occitane qui fut souvent celle utilisée par les troubadours, au point que les Catalans, parlant du roman littéraire (ce qui signifiait souvent le catalanà, dirent "lemosi" jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Les Capes et autres trucs du genre ne les feront pas revivre. Une langue vit de se transmettre à la maison, d'avoir de nombreux lieu de pratique : les commerces, le café, la rue, etc. où elle se parle spontanément. Dans "La mort du français" Claude Duneton raconte ce que fut son occitan et combien, enfant, il ne pouvait (ses camarades non plus) imaginer qu'un jour on ne parlerait plus occitan (il dit "patois"). Ces langues sont devenues des objets d'étude davantage que des éléments où on vit, où on pense, où on ressent, où on écrit, où on crée, où on se souvient de ce dont les précédentes générations se souvenaient.

Reconnaître ces langues pourraient donner à ses derniers locuteurs naturels (et non à ses étudiants) l'assurance qu'ils peuvent et doivent les transmettre, lorsque ces langues sont encore "sauvables"...
Le Capes de breton ne donne pas plus de vie au breton que le Capes de latin de fait parler le latin aux gens. Tout juste cela encourage son étude, mais l'étude d'une chose morte, ou presque.
Pour les écrivains contemporains en langue régionale :
Bernardo Atxaga (certes côté espagnol) pour le basque.
Benart Manciet (mort en 2006) pour le gascon (évoqué pour le Nobel chaque année, la décennie précédant sa mort).
Max Rouquette (mort en 2006) pour le provençal.
etc.

Pierre Emmanuel, le grand poète, raconte que doit au béarnais de son enfance son écriture en français.
Joseph Delteil raconte de même ce que son écriture doit au languedocien de son pays.
Richard Millet ne manque jamais de rappeler ce qu'il doit à son limousin natal.
De nombreux écrivains français ont nourri leur écriture, en français, à ces langues provinciales. Elles leur donnèrent un accès à l'expérience de la terre (que refusa longtemps de dire le français), du travail, des petits et des sans-grades. Elles leur permirent de conserver un lien avec la mémoire populaire où nourrir leur imaginaire.
Beaucoup de nos écrivains, aujourd'hui, manque de nourriture de cet acabit. Ne parler que des expériences des Parisiens est d'un ennui accablant.

La France, c'est toutes ces mémoires provinciales dites en français et nourries de ces langues. La crise de l'identité de notre pays tient, en partie, à l'amnésie qui est la nôtre.
Votre plaidoyer pour la défense des langues régionales, Cher Virgil, me paraît convaincant. Vous avez raison de rappeler que l'étude historique de la langue ne suffit pas à lui redonner la vie.

Puis-je vous demander ce que signifie "subclaquant"? Et à quoi faites-vous référence lorsque vous parlez de l'"expérience d'Euskadi"?
Subclaquant : dont l'agonie est avancée.

(Mot non homologué, mais bien utile tout de même.)
Il faut soupçonner ce "manque de nourriture" souterraine, ou son retrait subit d'être en partie responsable de l'effondrement du français des Africains immigrés de deuxième génération: quand ils rentrent au bled, ceux-ci sont de leur propre aveu abasourdis de constater que leurs cousins qui y sont restés parlent un français mieux équilibré et plus riche que le leur à Pontoise. C'est que les blédards du bled (de Libreville à Oran) très souvent sont bilingues, polyglottes, et scindent leurs niveaux de langue en fonction de cette diversité: au dialecte, la basse langue, l'éructation, le "je me comprends"; au français l'articulation de la pensée, le discours politique, etc.

Un dialecte, une langue seconde, cela peut aussi servir à cela: purger la langue noble de ses scories, lui offrir un exutoire.
Désolé de répondre si tard. Ce que je nomme l'expérience de l'Euskadi est celle conduite par la province basque autonome nomméen en basque Euskadi. Le basque y est en partie obligatoire. Y parler basque donne des opportunités d'emploi, c'est donc intéressant de l'apprendre de l'autre côté des Pyrénées.
Utilisateur anonyme
29 juin 2008, 12:40   Opportunités
Ah ben si alors…

Francis, vous croyez que je devrais apprendre l'occitan pour avoir des opportunités d'emploi ?
29 juin 2008, 13:16   Re : Opportunités
Boris, pour l'empois, faudra pousser un peu plus loin, jusqu'à Nice, Lucéram je crois. C'est là qu'on centralise les offres. On vous renseignera sur les possibilités de guider les touristes l'été sur les chemins du mont Bégo en engueulant sa mule en nissard ou en piémontais. A Nice ville y a aussi des stages de surf-board ou de whitewater rafting avec initiation linguistique à l'heure de la sieste donné par un natif. Mais c'est payant. En tout cas faut vous dépêcher.
Utilisateur anonyme
29 juin 2008, 15:42   Parlès lou gavot ?
Lou cant dou pastre

L'estiéu verdissé la campagna,
Lou mes de giun es arriba;
La néù a quitta la montagna
L'oura de parti a souna;

Din l'aria tintan li sounaia,
O pastré cantés, siés urous,
Su lou camin plén de roucaia
Lou tiéù can saouta, malicious.

Damoun as la bella natura,
Lou gran souleu, l'ombra doù pin
As lou ciel blu, la soursa pura
E la belessa doù matin.

La tiou riquéssa es la couala,
Lou tiou espoir la tiou cansoun,
Lou fier camouns, l'aigla qué vouala
E l'erba tèndra doù valloun.

Su l'ala de l'aria loùgéria
Lou tiou pénsié si fa pourta ;
Souta lou ciel, d'una vous fiéra,
Cantés l'amour, la Lliberta.
29 juin 2008, 19:13   La Pèiro de la Fado
Vers Draguignan quouro que trèves,
T'ensignaran, se te n'entrèves,
La Pèiro de la Fado: es un inmènse blot
Entaula brut sus quatre lauso;
I'a de milo an qu'ansin repauso
Au front d'un moure - mounte lauso
La pouderouso man que lou pausè tant clot

(Traduction, semble-t-il officielle:
Vers Draguignan si jamais tu voyages, - informe-t'en, et l'on t'indiquera - la Pierre de la Fée: c'est un immense bloc - assis tout brut sur quatre dalles; - il y a des mille ans qu'il gît ainsi - au front d'un mamelon, où il chante l'éloge - de la puissante main qui le posa si bien d'aplomb)

C'est extrait du Chant IV de Calendal de Mistral.

Notez comme la traduction esquinte tout: l'original dit "quatre lauso", soit des lauzes en français, tuiles plates dont on couvre les toits dans certaines parties du Languedoc et qui eussent si bien convenu ici, d'autant que l'assonnance avec "éloge" en français aurait permis un fidélité heureuse avec le jeu de mot mistralien; par ailleurs, il y a le bloc "entaulé brut" chez Mistral qui se ramasse très mal en s'asseyant en français. Il y a aussi le "moure", qui est le "moro" des portugais; c'est un terme courant en "patois" dans les descriptions du paysage; c'est une butte, une éminence, un mont, tout simplement: "mamelon" rate lamentablement sa cible.

Mais pourquoi je vous raconte tout ça moi ? Ah oui, le "patois", donc, est bien une langue.
29 juin 2008, 19:39   Museau
Bien cher Francis,

Cet exemple est remarquable des difficultés de la traduction.

Je partage votre avis quand au "moure" : mamelon ne ressemble à rien. Je pense que Mistral a utilisé le terme classique de l'occitan (et aussi, comme vous le remarquez, du portugais, mais aussi du catalan) pour un monticule arrondi. "Moure" en occitan (je sais le dire mais non l'écrire) signifie le museau d'un animal, et par extension le rocher ou mont qui a la même forme.

L'occitan, comme le portugais, utilise le verbe "morar" (aucun rapport avec le "Moure") pour habiter en un lieu, ce que le créole antillo-guyanais, par un étrange retour des choses, retraduit par "rester".

Votre "moure" a éveillé en moi bien des souvenir : quand j'étais renfrongné, ma grand'mère me disait, en patois, de ne pas faire "lou moure".

Je me permets d'ajouter qu'un locuteur en "patois" (je veux dire quelqu'un qui l'appris par l'intermédiaire de ses grand parents et des "vieux" des villages, et non qui connaît le français retraduit que l'IEO enseigne maintenant) n'a guère de problème pour comprendre les langues romanes comme le catalan, l'espagnol, le portugais voire l'italien. Je soupçonne que le nombre de mots communs à ces langues soit plus important que celui du français avec elles. Quant à la syntaxe, elle est très voisine.
29 juin 2008, 19:42   Corse
Je saisis cette occasion pour poser une question aux intervenants d'origine corse : je suis persuadé que vous comprenez sans aucun problème une conversation en italien. Qu'en est-il d'une conversation en espagnol ?
29 juin 2008, 19:50   Re : Museau
Absolument Jmarc, le "moure" je ne l'ai jamais entendu que pour le porc, le sanglier, je pense donc que c'est la hure en français. Faire "lou moure" est "to pull a long face" en anglais. En français ? allez savoir !

Pour revenir sur ces lauzes qui deviennent des "dalles" en français. La trahison est totale: les lauzes sont de l'ardoise, c'est un matériau brut (comme du reste ce Rocher des Fées, selon le qualificatif qu'en donne Mistral); ces ardoises ne sont pas valorisés par procédés, ce n'est pas un matériau cuit, on les taille un peu et les pose en couverture telles quelles. Le mot "dalle" évoque tout le contraire de cela: la dalle est romaine, civilisée, fabriqué, tandis que la lauze est gauloise et crue et trouve naturellement sa place dans le paysage sauvage qui est décrit ici (où seule se lit l'oeuvre de Dieu, avec l'aide des fées, mais sans la main de l'homme). "Dalle" fiche en l'air le montage poétique, tout simplement. Lire Mistral en français revient à perdre son temps, comme à lire de la "poésie" affichée dans le métro parisien.
Utilisateur anonyme
29 juin 2008, 20:45   Re : Museau
Plus spécialement encore, on dira, à Nice, du boudeur désagréable, que c'est un vrai "mourre de tolà" (gueule de tôle, aimable, en somme, comme une porte de prison.)
A Jmarc,
Votre soupçon est parfaitement fondé. Les langues romanes partagent une grand partie de leur lexique. Le français et le roumain moins que les autres. Le français a une grande part de son lexique dérivé des dialectes germaniques (notamment le lexique du travail de la terre, de la guerre...) ; le roumain contient de son côté beaucoup de mots dérivés des langues slaves voisines.
Toutes les autres langues romanes partagent un lexique d'origine latine.

Merci pour vos remarques touchant l'occitan dont je ne suis pas locuteur natif, à mon grand désespoir.
Utilisateur anonyme
29 juin 2008, 21:30   Re : Corse
En ce qui me concerne, cher jmarc, ma langue maternelle unique est le français.
Ce n'est qu'à l'âge adulte que je me suis "mis" à l'italien, ensuite au corse, puis (un peu) à l'espagnol.
Mon témoignage ne peut donc servir à votre enquête.
Pour moi, le corse est plus difficile à comprendre, en raison de sa prononciation (très) particulière, que l'italien, ou même l'espagnol, que je pratique pourtant nettement moins.
Reconnaître ces langues pourraient donner à ses derniers locuteurs naturels (et non à ses étudiants) l'assurance qu'ils peuvent et doivent les transmettre, lorsque ces langues sont encore "sauvables"...

Pourriez-vous préciser votre point de vue car j'ai vraiment beaucoup de mal à vous suivre : si l'enseignement des langues régionales vous semble inefficace, en quoi cette mention dans la Constitution le serait-elle davantage ? Il y aurait certes une sorte d'impact symbolique, mais je ne vois pas très bien ce que vous pouvez imaginer au-delà du symbole pour redonner vie à ces langues à partir de cette reconnaissance officielle. Les derniers locuteurs naturels attendraient donc le "feu vert" constitutionnel pour continuer à transmettre leur langue régionale ?
C’est dans le territoire de ce qui sera le comté de Hainaut en Belgique que l’on retrouve un des textes les plus anciens en langue d’oïl, tel la séquence (ou cantilène) de sainte Eulalie datant de la fin du IXe siècle. J’ai lu que les traits linguistiques de ce texte dans la copie qui nous en est parvenue (par l’intermédiaire de l’abbaye de Saint-Amand) seraient plus wallons que picards. (Pardon pour ce chauvinisme comme disait quelqu’un plus haut). Le texte administratif le plus ancien en ancien français, serait lui aussi originaire du Hainaut, soit la Charte de Chièvres(1194).

Les voici tels qu’on les trouve sur Wikipédia :


Texte en roman et adaptation française :

Buona pulcella fut Eulalia. Bonne pucelle fut Eulalie.
Bel auret corps bellezour anima. Beau avait le corps, belle l'âme.
Voldrent la ueintre li d[õ] inimi. Voulurent la vaincre les ennemis de Dieu,
Voldrent la faire diaule seruir. Voulurent la faire diable servir.
Elle nont eskoltet les mals conselliers. Elle, n'écoute pas les mauvais conseillers :
Quelle d[õ] raneiet chi maent sus en ciel. « Qu'elle renie Dieu qui demeure au ciel ! »
Ne por or ned argent ne paramenz. Ni pour or, ni argent ni parure,
Por manatce regiel ne preiement. Pour menace royale ni prière :
Niule cose non la pouret omq[ue] pleier. Nulle chose ne la put jamais plier
La polle sempre n[on] amast lo d[õ] menestier. À ce la fille toujours n'aimât le ministère de Dieu.
E por[ ]o fut p[re]sentede maximiien. Et pour cela fut présentée à Maximien,
Chi rex eret a cels dis soure pagiens. Qui était en ces jours roi sur les païens.
Il[ ]li enortet dont lei nonq[ue] chielt. Il l'exhorte, ce dont ne lui chaut,
Qued elle fuiet lo nom xp[ist]iien. À ce qu'elle fuie le nom de chrétien.
Ellent adunet lo suon element Qu'elle réunit son élément [sa force],
Melz sostendreiet les empedementz. Mieux soutiendrait les chaînes
Quelle p[er]desse sa uirginitet. Qu'elle perdît sa virginité.
Por[ ]os suret morte a grand honestet. Pour cela fut morte en grande honnêteté.
Enz enl fou la getterent com arde tost. En le feu la jetèrent, pour que brûle tôt :
Elle colpes n[on] auret por[ ]o nos coist. Elle, coulpe n'avait : pour cela ne cuit pas.
A[ ]czo nos uoldret concreidre li rex pagiens. Mais cela ne voulut pas croire le roi païen.
Ad une spede li roueret toilir lo chief. Avec une épée il ordonna lui ôter le chef :
La domnizelle celle kose n[on] contredist. La demoiselle cette chose ne contredit pas,
Volt lo seule lazsier si ruouet krist. Veut le siècle laisser, si l'ordonne Christ.
In figure de colomb uolat a ciel. En figure de colombe, vole au ciel.
Tuit oram que por[ ]nos degnet preier. Tous implorons que pour nous daigne prier,
Qued auuisset de nos xr[istu]s mercit Qu'ait de nous Christ merci
Post la mort & a[ ]lui nos laist uenir. Après la mort, et qu'à lui nous laisse venir,
Par souue clementia. Par sa clémence.

Charte de Chièvres:

Page1

[1] Sacent chil ki sunt present et chil ki a venir sunt ke mesire Nichole de
Rumegni et mesire Rasse de Gavre le vile et le sart de Cirve ont
mize a assize a LXXXXII l. de blans deniers, par tel condisiun ke a leur se[rs]
et a leur ancheles ne retienent se le parçon non a la mort, et as
borjois, afforains et a cels de chiesedé le meleur catel a la mort,
et le sanc et les burines et les altres forfais. [2] Se nul hom fiert altre
de arme molue, par LX sol. Le doit amender ; de cels LX sol. Ont li
segnor XXXVI sol. Et cil cui on fiert XVIII sol. Et li provos qui les porchace
VI sol. ; se il muert ne affole, a le paiz del païs. [3] AI sanc qui n’est fait
de arme molue ne puent prendre ke XXX sol. Si en on li segnor XVIII
sol. Et cil a cui li sans est faiz IX et li provos III. [4] De l’orbe colp, XV sol. ; de
ço on li segnor IX sol. Et Cil cui on fiert IIII et li prevos Il. [5] Del
desmentir, V sol. ; de ço on li segnor III sol. Et cil qui on desman II. [6] Sacent
bien li serf et les ancheles ke il ne se puent marier fors de le vile
sains congiet as segneurs, mais en le vile se puent il bien marier
sains congiet. [7] Et sacent bien li borjois qui a le loi de le vile sunt ke
il se puent bien marier sains congiet, u ke il vuelent, et se puent bien
le loi de le vile lassier, sauve leur issue, et li segneur les doivent
conduire sauvement fors de luer terre. [8] S’est en le paiz ke li eschevin et li
jureet par le consel les segneurs doivent metre provost por les droitures
warder ; et se il forfait vers le paiz de le vile, par les segneurs li eschevin
et li jureet l’en puent oster ; et se li provos mesfait vers les segneurs,
par les eschevins et les jureez li segneur l’en doivent oster et altre met[re].
[9] Sacent encore tot cil qui a le loi de le vile montente ke, se il font
sanc et il fierent autrui sains sanc ne il desmentent li uns l’autre, par II
homes de le paiz qui le loi ont juree leur puet on prover ; et se il i a homes
qui mainent dedens l’alu[et] de le vile qui n’aient le paiz juree, on leur doit
faire jurer et puis puent il porter tesmoing.[10] Et se aucuns se plaint
ke un li a sanc fait u ferut u desmentit, se n’en ait nul tesmoing,
il jurra sor sains ke il li a sanc fait u ferut u desmentit ; cil cui il
encolpe se puet escondire par jurer sur sains, lui settisme, entrepresure ;
et se il ne se puet escondire, il doit amender le forfait selonc le loi
de le vile. [11] Et sacent cil qui tienent les iretages ke, se il vont manoir
fors de le vile ne il y mainent, par le comun consel de le vile tallera on
lor iretage. [12] S’est en le loi de le vile ke, se hom afforains i vient
ki a borjois doive catel et il voit des borjois de le vile II u troiz, atenir
le puet sains batalle tant ke il soit devant le justice. [13] Et se aucuns est

La suite ici :
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A propos du Breton, un témoignage de quelqu'un qui ne le parle pas (mais qui a, lui a-t-on parfois dit, "l'oreille musicale").
Quand j'allais en vacances en Bretagne il y a quarante, quarante-cinq ans, les vieilles gens du village parlaient tous le breton entre eux et, quand ils utilisaient le français, c'était avec un accent breton facilement identifiable et rappelant la musique du breton (de la version Côtes-du-Nord). Aujourd'hui, on n'entend plus du tout parler breton dans ce village, ni même parler le français avec l'accent breton. En revanche, j'entends du breton à la radio , ce qui n'était pas le cas alors. Mais je ne reconnais pas du tout la musique du breton à laquelle j'étais accoutumé, et je perçois très distinctement le fait que ces jeunes animateurs, enseignants, ethnoschtroumpfs, etc. parlent ce "breton diwan" avec un accent français à couper au couteau.
Ce que vous nous livrez là m'attriste, Marcel Meyer, car cela décrit très exactement ce qui est arrivé ici, en Provence. Enfant, j'étais à deux doigts de pouvoir parler provençal couramment, c'est à dire d'y loger toute mon âme, mes affects, mon imaginaire: les mots retentissaient, fondateurs, de tout ce que j'éprouvais. Un exemple: je ne sais, très sincèrement, je ne sais pas vous dire comment on dit "lou dardaillas" (faire siffler le "s" final svp) en français, ni dans aucune langue que j'ai pu fréquenter. C'est le soleil. Mais ce n'est pas le soleil du "lou solhel me fay canta", non ce serait le soleil tel qu'il vient sur terre écraser les hommes. Il y a le mot "rai de soleil" en français qui traduirait les dards du dardaillas, mais hélas, les rais de soleil ne sont rien comparés au dardaillas. J'en suis muet, muré, comme en un sarcophage. Assombri.

JGL m'avait épinglé au sujet de la "draille" il y a peu ici même; il disait "c'est un mot de touriste". Hélas il a raison. Mais il a raison aujourd'hui. Hier, ça ne l'était pas; "draille", quand j'étais enfant et que tout le monde était vieux, n'était pas encore un mot d'émission de radio. On pensait ainsi, on pensait que dans le monde, partout, en Sibérie, en Equateur, il y avait des drailles. La mort est sombre, celle du dardaillas et de la draille l'est plus particulièrement. Hier, j'ai appris ici, par Virgile, que Max Rouquette était mort. Max Rouquette, qui parlait un "occitan" auquel je n'entendais à peu près rien (du toulousain, gonflé de lourdes chuintantes), était un grand linguiste, un savant; sa mort vaut "une bibliothèque qui brûle". Personne ne le sait.
Il est en effet à déplorer que la mort de Max Rouquette et celle de Manciet n'aient pas eu plus de retentissement.

Je vous livre ici les mots d'un grand poète français, né en Béarn :
" Cette terre de Béarn était ma mère et mon père, ce fut un langage que nous parlions couramment et qui n'était pas le français. Le français, c'était la langue endimanchée aux vêtements un peu raides et sans faux plis, que l'on nous enseignait pourtant avec amour. Nous savions manier le passé simple et l'imparfait du subjonctif comme on le sait toujours en Béarn alors que cet art s'est perdu dans la capitale. Notre langue de tous les jours , celle des choses et non des idées c'était le parler rude des ancêtres dont chaque vocable est une concrétion de l'énergie: la chose qui prend corps dans notre chair, l'aspérité de la chose dans notre gorge, son volume, sa densité, sa saveur particulière à notre palais.
Le béarnais m'a appris à aimer dans le langage un acte permanent d'incarnation : l'identité de celui qui dit et de la chose dite, de la nature et de l'esprit que le verbe connaît ensemble et fait un. Grâce à cette langue que j'ai un peu oubliée, mais qui me demeure toujours neuve, de sorte qu'à relire tels textes béarnais j'éprouve de nouveau le sentiment que la genèse vient d'avoir lieu. J'ai voué au vocable un respect bien au-delà de son sens intellectuel, une confiance qui tient à sa texture, à la matière dont il est fait, à la multiplicité des sens possibles qu'elle contient et que l'esprit pourra mettre en oeuvre. Un mot béarnais, c'est tout nerf et tout os, un centre de significations en alerte, un squelette de consonnes puissantes, une architecture dont les voyelles couvrent le vaste espace intérieur, une articulation de rythmes souples et sûrs comme le sens pyrénéen de la marche, un être charnel et spirituel tout ensemble, sec comme un sarment bien planté sur terre, sans trace de l'emphase qui empâte d'autres parlers, mais plein d'un souffle à la mesure du chant et si l'on veut de la rhétorique profonde, le vaste discours de l'âme emporte l'adhésion plus que la logique des concepts "
(Discours du gantois Pierre Emmanuel lors de sa réception à l'Académie des Lettres Pyrénéennes, en 1962)
Je ne crois pas être favorable à une inscription des langues régionales dans la Constitution, car ce n'est pas là leur place. Mais je suis favorable à une forme de reconnaissance officielle afin de sauver qui peut encore l'être. Lorsque j'entends que ces langues continueront de vivre dans les universités et quelques écoles (et à la radio), cela me peine, car cela signifie qu'on les maintient en vie artificiellement, que plus rien ne s'y vit.
Au fond, je crois la plupart de ces langues mortes. Le basque et l'alsacien s'entendent encore dans les petites villes, mais le béarnais ne s'entend presque plus, le gascon landais plus du tout et l'occitan ne s'entend guère.
C'est plus que dommage.
Je suis d'accord avec Marcel Meyer. Max Jacob, originaire de Quimper, entendait parler breton au café, couramment. Je passais une partie de mes étés en Bretagne dans les années 1980 et le breton ne s'entend déjà plus.
Aujourd'hui que le breton ne s'entend plus, paraît "Breton magazine" (ou quelque chose d'approchant) : dérisoire pierre tombale d'une civilisation.
30 juin 2008, 11:33   Musique de la langue
Ce point, auquel je n'avais pas pensé, me paraît à la réflexion essentiel. Dans mon cas, et concernant les langues romanes, c'est par leur "son" (je ne sais comment dire) que je comprends ce que veut dire mon interlocuteur, même s'il me manque des mots.

De la même façon, alors que mon expression dans ces langues est très perfectible (euphémisme), je parviens à avoir des conversations soutenues, et je pense cela possible uniquement parce que ce que je dis "ressemble" à de l'espagnol ou à du portugais (par exemple, en espagnol, je ne fais pas la confusion entre "ser" et "estar", et très rarement des fautes sur les accents toniques), au prix de nombreuses erreurs de vocabulaire. Ce même "son", curieusement, indique les principales fautes de syntaxe (cela "sonne" ou "ne sonne" pas espagnol, ou portugais... et cela sonnerait faux, aussi, en languedocien), mais c'est trop tard, on a fait la faute !

J'en viens donc à me demander si la maîtrise d'une langue ne passe pas d'abord par celle de sa musicalité.
30 juin 2008, 11:36   L'occitan
Bien cher virgil,

Vous avez raison, une personne extérieure n'entendra plus parler occitan.

En revanche, chaque fois que je suis dans mon montagneux village, les personnes âgées passent rapidement au patois, ou, plutôt, à un mélange entre patois et français (sans aucun empiètement d'une langue sur l'autre, les phrases étant consécutives).

Avez-vous fait de telles observations ?
Ce que je connais le mieux, ce sont les cas du béarnais et du basque.
Les voisins de mes grands parents (la maison fut malheureusement vendue) parlaient seulement béarnais entre eux. Leurs enfants ne l'apprirent pas, malheureusement. Ils désignent leur langue en usant du mot "patois" qui est la manière péjorative de parler d'une langue dont on a volontiers honte et dont on n'ose guère faire usage en dehors des cercles d'intimes (en gros, le village).
Ils parlent français, mais glissent sans arrêt des mots béarnais. Je me souviens d'une visite que je leur fis. Nous en vînmes à parler de la télévision. Le vieux fermier commença alors à déplorer qu'on parlât si mal français à la télévision. Et de continuer en évoquant un vieux film (un de Pagnol, je crois) passé récemment sur une chaîne publique. Je l'entendis dire alors : "On parlait bien alors ; on parlait un beau français, pas comme maintenant." Richard Millet fait une remarque proche au début de Ma vie parmi les ombres.

En pays basque, la langue survit asses bien dans les villages, notamment en basse Navarre. Il n'est pas rare d'entendre les gens, de toutes générations, discuter au café en basque.
Encore une fois, ce qui donne confiance à ces locuteurs, c'est l'exemple d'une possibilité vivre la modernité dans cette langue de l'autre côté des Pyrénées.
C'est plus difficile en occitan et en béarnais, le Val d'Aran n'étant pas comme le pays basque une province très moderne et industrielle.

Le gallois aurait pu (et dû) montrer la voie aux Bretons. Ce fut un peu le cas, mais le Diwan a tout détruit, de même que la langue banlieue est en train de remplacer partout les régionalismes français et ses accents, avec un seul accent partout et une seule manière de tout réduire 300 mots.
Cher Jean-Marc,
Je vous donne entière raison sur la question de la musicalité. Parler une langue, c'est savoir ce qu'on peut dire ou ne pas dire, non en vertu d'une connaissance extérieure de règles, mais grâce à ce que les Allemands nomment la Sprachgefühl (le sentiment de la langue, titre de Millet). C'est un sens, que je dirais volontiers musical, de la langue ; un sens de son rythme, de ses assonanes, de ses accents toniques, etc.
Je m'en remets souvent aux balbutiements de ce sens pour les langues que j'apprends. Plus on en apprend, plus ce sens se développe vite, car, comme en musique, les sens sont attentifs à ce qui compte et repèrent tout de suite ce qu'il est important de remarquer.
Arrêtez, arrêtez, Virgil, vous me plongez dans une angoisse noire !
Sentiment de la langue traduit imparfaitement l'allemand Sprachgefühl. Dans Gefühl il ya, tout autant que le sentiment, la sensation, ce que procurent les sens : avoir le "nez", le "toucher", etc. C'est-à-dire, ici, autant l'oreille que le sentiment. D'un autre côté, si l'on traduisait Sprachgefühl par "oreille langagière" (comme dans oreille musicale), ce serait tout aussi réducteur car le sentiment y est tout autant ; quant à "sens de la langue" (avoir le sens de la langue), sans doute le plus proche en un ... sens, il tirerait beaucoup trop la notion vers l'intellect, la raison, c'est-à-dire à l'opposé de Gefühl. Hum, difficile.
Cher Marcel Meyer,
Je vous donne entièrement raison. La Sprachgefühl est une certaine oreille pour la langue, son rythme, son idiomaticité, sa frappe. Je proposais l'expression de Richard Millet parce qu'il me semble que c'est en partie ce dont il parle dans son livre intitulé "Le sentiment de la langue".
C'est cette aptitude à dire si une chose est conforme au génie de la langue, aptitude qu'on est souvent bien en peine de justifier à l'aide de la grammaire. Une sorte d'intuition rythmique et grammaticale, si une telle chose a un sens.
À propos de cette musicalité de la langue, je n'ai jamais réussi à faire comprendre à mes amis québécois pourquoi je trouvais pénible, à l'oreille, leur habitude de prononcer les mots ou noms anglo-saxons avec l'accent américain (ou supposé tel), ce qui me semble toujours introduire une discordance dans la phrase française où ces mots sont enchâssés.

Remarquez que, de leur côté, ils se moquent copieusement de notre prononciation "à la française" de ces mêmes mots...
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