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Un mémorialiste de mai 68

Envoyé par Thomas Rhotomago 
« Tout ce petit monde altéré de pouvoir, ou macéré dans ses rances nostalgies, qui aurait adhéré à n’importe quelle aventure pourvu qu’elle portât des coups de bélier au régime, prit aussitôt le parti des contestataires et descendit dans la rue.

Presque tout ce que Paris comptait de privilégiés y descendit avec lui, les uns, par conviction, d’autres, pour des motifs moins avouables : la peur, qui, un mois plus tard, devait rallier à la personne du général de Gaulle et à son gouvernement une partie non négligeable de la « majorité silencieuse », peut aussi jeter dans les extrémités du désordre la foule fluctuante des timorés, des indécis et des neutres. La révolution recrutait ses enthousiastes et ses suiveurs dans la bourgeoisie ; et comme toujours, on vit jouer des coudes et se pousser au premier rang les ouvriers de la dernière heure, et des beaux quartiers, plutôt que ceux des H.L.M. D’ailleurs, les étudiants n’étaient-ils pas pour la plupart issus des classes aisées ? On assista aux revirements les plus étranges. Des conservateurs rassis se découvrirent, du jour au lendemain, une vocation d’anarchiste, qu’une trop persistante assiduité à la Bourse avait sans doute tenue sous le boisseau. Ils vitupérèrent, avec leur fils, contre les méfaits du capitalisme, sans négliger pour autant de transférer leurs capitaux en Suisse et d’acheter à la hausse, par crainte d’une dévaluation, lingots d’or et biens immobiliers. Des femmes du monde couvertes de bijous allèrent s’extasier, à la Sorbonne, sur les slogans égalitaires. Des hommes de lettres, soudain galvanisés par l’odeur de la poudre, se constituèrent en commandos de la mort pour affronter les vieilles poétesses et les feuilletonistes retraités de l’Hôtel de Massa. Un ilustre écrivain, chantre officiel du stalinisme, également réputé pour son élégance vestimentaire et sa dévotion conjugale, haranguait les étudiants, boulevard Saint-Michel, et se faisait vertement rappeler à la décence par leur leader. Les fonctionnaires de la Radio-Télévision française, incrustés depuis des années dans la coquille de l’avenue Kennedy, s’avisaient tout à coup qu’ils étaient au service d’un organisme d’Etat, et protestaient contre cette situation intolérable par une marche circulaire autour de l’établissement, marche dont on pourrait conjecturer qu’ils durent l’effectuer à cloche-pied, puisqu’ils en avaient déjà un dans la maison. Enfin, à tous les niveaux de la classe sociale la mieux pourvue d’Europe, l’opportunisme et sa sœur la frivolité se partagèrent les cœurs les moins sûrs. »


L'auteur n'est pas indiqué à dessein, en guise de devinette.
Utilisateur anonyme
20 juin 2011, 21:05   Re : Un mémorialiste de mai 68
Renaud Camus
Alors là ça m'étonnerait...
20 juin 2011, 22:17   Re : Un mémorialiste de mai 68
Moizaussi...
20 juin 2011, 22:37   Re : Un mémorialiste de mai 68
Maurice Druon.
Dutourd ?
Cocteau ressuscité ?
Lacouture ?
Moi-même ? Alors là ça m'étonnerait...
Althusser.
Trop fort, Alain, trop fort...
Chardonne?
Cau?
Peyrefitte?
... ou un pastiche?
Chardonne, non, le style est trop tranchant. Jean Cau et Druon, cela ne peut être eux, il y a trop d'idées. Peyrefitte (lequel ? pour le Peyrefitte d'Afrique, c'est possible si cela a été écrit vingt ans plus tard ; pour celui d'Asie, ce ne peut être lui, il n'y a pas d'affaires de moeurs).

Hints ?
Il s'agit en effet d'un pastiche, extrait d'un prétendu tome V des Mémoires du Général De Gaulle, dû à l'invention de Jean-Louis Curtis dans La Chine m'inquiète (1972), recueil au long duquel différents auteurs, sur le thème des événements de Mai 68, sont singés par l'auteur, avec talent et drôlerie. (De Gaulle, Proust, Céline, Bernanos, Léautaud, Valéry, Claudel, Giraudoux, Giono, Breton, Chardonne, Malraux, Green, Aragon, Beauvoir, Sarraute.)
" Lundi 24 juin 1968
Renoult me raconte que Genevoix lui a dit que l'on avait écrit sur les murs de l'Institut : "Nous encullons les académiciens!" (et le pire, avec deux l!). Le lendemain, Chamson en venant à l'Institut n'effaça pas l'inscription mais se contenta de barrer un l..."
Agendas de Jean Follain 1926-1971, p.481, éditions Claire Paulhan, 1999.
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