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Parentalité, égalité des rôles : même les psychanalystes s'alarment

Envoyé par Mathieu 
Voici la conclusion d'un texte intitulé Fonction maternelle, fonction paternelle, de Jean-Pierre Lebrun, psychiatre psychanalyste belge :

« Même si la parentalité donne à penser le contraire, les fonctions de la mère et du père restent bien différenciées. Paradoxalement, parce que nous n’avons pas à nous référer à la seule anatomie mais au langage définitoire de l’espèce humaine. La famille nucléaire reste le lieu où se transmettent à l’enfant les exigences de l’humanisation, celles qui vont lui permettre de soutenir sa parole comme sujet singulier. Celles-ci supposent de soutenir l’irréductible discordance entre les mots et les choses, l’impossibilité pour les mots de dire tout le réel. Pour ce faire, chaque enfant en passera par les voies que les premiers autres qui l’entourent ont tracées pour faire face à cette condition.
L’enfant a d’abord un lien avec un premier autre, qu’on appelle la mère, qui inclut une intimité, un corps à corps, une manière d’être parlé par cet autre… et ensuite, un lien avec un deuxième autre, qui se soutient davantage de la dimension symbolique, simplement parce qu’il n’a d’existence que par les mots. Il n’y a de père que dans le langage.
Pour soutenir cette tâche, le père, dans son intervention concrète, a besoin de l’appui de la reconnaissance de la mère, mais aussi d’une légitimité qui lui vient d’ailleurs. C’était, pendant des siècles, le patriarcat. Le règne de celui-ci est terminé et le père d’aujourd’hui peine à trouver une nouvelle légitimité dans la démocratie, souvent confondue avec un “égalitariat”. On pourrait dire que sous le patriarcat on ne voulait pas se passer du père, alors que sous “l’égalitariat” on ne veut pas s’en servir. Autrement dit, sa légitimité tient à ce qu’exige l’humanisation mais, aujourd’hui, elle se voit récusée parce qu’elle vient rappeler la dissymétrie irréductible qu’introduit le langage dans la sexualité humaine.
S’ensuit une défense inédite contre le sexuel qui consiste à prôner la parité, l’égalité, la virginité d’un hors sexe, la symétrie qu’exigerait l’égalité démocratique, tout cela pour éviter le hiatus et pour ne pas avoir à se mouiller dans cette affaire.
En toute logique, ceci entraîne un affaiblissement de tout ce qui équivaut à une intervention paternelle concrète, qui entraîne à son tour un estompement du pacte d’humanité. De ce fait, le rapport que nous avons à la parole n’a plus la même force, le même poids. Entendons nous bien, il ne s’agit pas de dire que la prévalence du langage a disparu, mais que la façon dont chacun se l’approprie est plus lâche et que le pacte institué par la parole n’a dès lors plus force de référence tierce.
C’est ce changement qui favorise ce que j’ai appelé la mèreversion, et qui provoque de plus en plus fréquemment le tableau clinique d’un enfant qui n’est plus l’enfant que de sa mère, même si le père est toujours présent. Lacan nous avait d’ailleurs appris à discerner le symptôme de l’enfant qui renvoyait à ses deux parents et celui qui ne relève que de la subjectivité maternelle.
Ceci nous donne peut-être la possibilité de mieux repérer ce dans quoi se trouvent englués pas mal de sujets contemporains. À condition évidemment de ne pas croire que la référence au langage est acquise d’emblée, mais qu’elle doit en passer et par des premiers autres parentaux et par le discours social.
Car, il faut le rappeler, le discours social a toujours contraint les sujets à quitter cette position d’enfant de la seule mère. C’est une obligation que la société humaine impose depuis toujours. Il n’y a pas de société où il ne soit question d’aider et de contraindre l’enfant à quitter le monde maternel. C’était d’ailleurs la fonction de nombreux rites de passage, aujourd’hui souvent disparus.
Nous sommes peut-être la première société qui, croyant s’être débarrassée de la complexité humaine – « Compliquée est la vie propre aux hommes parce que double est leur source. Biologique et culturelle. Sexuelle et linguistique » écrit encore Pascal Quignard – ne met plus au programme la nécessité de se confronter à cette duplicité. Ainsi, nous voulons que l’enfant soit autonome et nous estimons qu’il suffit de le déclarer tel pour qu’il le soit effectivement. C’est alors désormais à la seule charge de l’enfant de se décoller de sa mère, sans une main tendue qui lui vienne en aide, fût-ce par la “contrainte” d’avoir à s’en séparer. Ceci laisse une série de sujets en difficulté, voire en panne. Et produit par ailleurs de plus en plus souvent une économie psychique différente de la névrose que, traditionnellement, nous connaissions. C’est ce changement et ses effets dont nous avons à rendre compte aujourd’hui, fût-ce pour pouvoir, si tant est que cela soit possible, aider celui qui le souhaite à davantage s’humaniser. »

Texte complet en libre accès (56 pages) : [www.yapaka.be]
Magnifique texte, très utile et très éclairant. Mon intention et d'en faire bon usage. Merci, seigneur Mathieu.
Il me semble que beaucoup plus qu'un problème de différenciation des fonctions, c'est le nombre important de familles dites "monoparentales" ou de familles avec "garde alternée" qui crée le principal problème. Que les fonctions soient négociées au sein d'un couple ne me paraît ni absurde ni devoir entraîner obligatoirement des difficultés. Encore faut-il que toutes les fonctions puissent être réalisées et identifiées dans un jeu de différences. D'ailleurs l'enfant doit quitter et sa mère et son père...
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Mais non, mais non... Je refuse seulement les stéréotypes obligatoires. Je ne dénie pas une fonction maternelle dépendant du statut biologique et la construction (par déduction de la différence à la mère) d'une fonction paternelle. Mais il ne faut tout de même pas exagérer et renvoyer en tous temps en tous lieux chaque sexe à un rôle pré-défini.
Vous devriez lire entièrement le texte chère Ostinato. Ce monsieur fait une analyse beaucoup plus fine et intelligente du problème. D'ailleurs, il est précisé en préambule :

"Disons-le donc d’emblée : ce livret ne s’adresse qu’à ceux qui souhaitent s’interroger sur les enjeux actuels
– particulièrement cruciaux – de l’éducation et donc, forcément, de ce qu’impliquent les places différentes de père et de mère. Il renvoie dos à dos les défenseurs de l’évolution des moeurs et du progrès automatique que celle-ci devrait inéluctablement entraîner, aussi bien que les nostalgiques d’un passé définitivement révolu, qui refuseraient de prendre en compte les changements cruciaux propres à notre époque."

Merci, cher Mathieu, ce texte est vraiment très intéressant.
J'ai lu très rapidement (je suis pressée) l'ensemble de l'article et ne pense pas avoir de divergence avec son contenu.
Non seulement l'enfant doit quitter son père et sa mère, ou ce qui lui en a tenu lieu (parfois une peluche), il doit en outre quitter son non-père et sa non-mère, si tel a été son lot parental.

Mais le plus fort est encore que l'enfant doit quitter l'enfance ! Toute la psychanalyse est bâtie sur cet axiome de l'homme-canon de son enfance (laquelle le propulserait vers la réussite, la cible du cirque social, ou la chute dans les ballots de paille ou la poussière). Or cette vision est partielle, partiale et en fin de compte tout à fait fausse. La plupart des hommes et des femmes sont des adultes autres que ce que pouvait laisser prévoir leur enfance dans ce schéma. Quitter l'enfance, ce départ, doit s'opérer, et le plus souvent s'opère, en rupture non seulement avec le domaine, la sphère maudite et close de l'enfance mais aussi en liberté avec tout le faisceau de directions qu'elle n'avait de cesse que d'indiquer quand l'enfant en était le prisonnier. Tout, ou presque tout, est faux dans la psychanalyse à cause de son ignorance de la dimension complexe de cet affranchissement, qui doit consister à tout démentir de son enfance. Du reste, le monde objectif lui-même évolue plus vite que ne s'opère généralement cette sortie, et ce faisant rend caduques toutes projections futures (ou constituées à postériori chez les analystes) ou spéculation des formes et des chemins que le vie de l'adulte affectera ou empruntera. La psychanalyse est une immense perte de temps. Fort heureusement elle est devenue elle-même, comme l'enfance chez l'adulte, largement surannée.
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