Petit cours accéléré de muflerie, à l'intention des personnes convenables qui manifesteraient le désir de se fondre mieux dans leur époque et d'adopter les manières d'icelle (avec figure en couleurs à l'appui)
Tout à l’heure, en plein déjeuner, la voisine du dessus a sonné à ma porte. J’ai ouvert et suis tombé sur une femme martiniquaise d’une trentaine d’années, assez disgracieuse, coiffée façon palmier des Îles, qui a commencé sa violente diatribe en commençant par me tutoyer (fig. 1). Elle criait très fort, le visage comprimé, refermé comme un poing, et avec force gestes ; je l’aurais prétendument « insultée », hier, en critiquant à mots couverts l’éducation de ses enfants devant la personne qui m’avait ouvert la porte, sa sœur, sans doute (la même arrogance, et la même façon de vous regarder comme si vous n’étiez qu’une blatte qu’elle allait écraser). Il faut dire que la veille je m’étais décidé à monter pour demander poliment le calme, à cause des cavalcades des enfants d‘un bout à l‘autre de la maison.
De même elle me reprochait de n’être pas venu la voir au premier bruit, et de crier contre eux sans cesse (ce qu’excédé par le vacarme et n’en pouvant plus je n’ai fait que trois ou quatre fois, je le reconnais). Car les rustres, après vous avoir réveillé le samedi à sept heures du matin, et rendu quasi fou depuis plusieurs mois, demandent qu’on s’adresse ensuite à eux poliment, pour implorer le calme. Après qu’ils vous aient consciencieusement pourri la vie, il faut ensuite prendre des gants avec eux, déployer des trésors de civilité à leur endroit, et surtout ne pas les malmener, ni les brusquer. Ils pourraient s’offenser. Elle était très énervée, donc, elle criait, j’ai cru un instant qu’elle allait se ruer sur moi pour me porter des coups (je tenais la porte entrouverte), et j’ai tenté sans succès de l’apaiser, sans pouvoir placer un mot.
Elle n’allait quand même pas « punir » ses enfants (ce qui revenait dans son esprit à les attacher, voire à les séquestrer), ni leur donner du rhum (sic) pour les endormir ! Ces gens-là sont complètement dépassés par l’éducation de leurs enfants, je l’ai bien vu sur le pas de l’immeuble, quand le père tentait sans succès de persuader son fils d’un an de ne pas s’engager sur une pelouse : aussi prennent-ils très facilement la mouche à la moindre remarque par laquelle on tenterait de leur mettre le nez dans leur cuisant échec.
Là-dessus le mari a rappliqué, plus calme, quoique ses propos continssent une violence sourde : «Tu veux qu’j’te dise, mec : ton travail, on n’en a rien à foutre. Rien à foutre. » Il faut dire qu’hier j’avais précisé à la sœur qui m’avait ouvert la porte que mon travail exigeait de la concentration. J’ai eu beau invoquer à un moment le respect, notion que cette catégorie de personnes est généralement encline à revendiquer (quoique dans un sens tout différent de celui que je lui prête) : mais il m’a rétorqué que le respect n’avait rien à voir là-dedans, que ses enfants avait un et trois ans, qu’ils étaient « pleins de vie » (ah non, ça, ce sont les mots de la harpie – bel argument, soit dit en passant), qu’il n’allait pas les « attacher » quand il faisait la vaisselle, etc.
« Si vous êtes pas content, déménagez. » Heureusement qu’en ce moment je ne suis pas précisément « chez moi ».
J’étais bien démuni, et pris de court par autant de goujaterie cyniquement assumée ; aussi n’ai-je point trouvé grand-chose à répondre, sinon que ma mère, qu’ils connaissent, avait toujours su m’interdire, quand j’avais l’âge de leurs enfants, de courir dans la maison. Comme un lâche et par esprit de conciliation je suis allé jusqu’à reconnaître qu’il y avait des torts des deux côtés. La dondon a recommencé de me tutoyer avant de me souhaiter une bonne soirée (il était une heure de l’après-midi), ce que j’ai repris avec ironie au moment de fermer la porte (ma seule petite victoire).
Comme dit Jean-Luc Lagarce dans son
Journal : saint Renaud Camus, priez pour nous !
Figure 1 :