Cette judiciarisation n'a pas attendu la disparition des conseils de discipline.
Une anecdote pour l'illustrer : voici quelques années, j'enseignais la philosophie dans un lycée de la région chartraine. Il arriva un jour que le traffice routier me mit un peu en retard. J'arrivai donc au lycée vers 9h05-09h10, soit 5-10 minutes en retard. Mes élèves m'attendaient devant la salle, dans le couloir, et faisaient évidemment un peu de bruit. Confus de ce retard et du désagrément que ma classe causait à mes collègues, qui commençaient à sortir de leur salle pour les rappeler à l'ordre, je fis rentrer très vite mes élèves en présentant mes excuse à mes collègues. Il ne restait presque plus d'élève dans le couloir. Arriva un petit groupe, qui venait de la cour, parmi lesquels figurait un de mes élèves. Ce groupe arriva et se mit à hurler, notamment mon élève, que je fis rapidement rentrer. Un sien ami du groupe se planta alors à la porte et lui hurla quelque chose derechef, alors que j'avais clairement intimé l'ordre de faire silence. Je me tournai alors vers lui furieux :
- Vous n'êtes pas bien d'hurler comme ça ?
- ça va !
- Non, ça ne va pas. Cela va encore moins de ce que vous me dites que ça va alors que vous hurlez dans ma classe et dans le couloir.
Je m'avance alors pour lui demander son carnet de liaison qu'il est tenu de me présenter dans la mesure où je suis un adulte identifié comme professeur. Il refuse et commence à partir. Je l'attrape alors par la manche : il porte un lourd blouson en cuir. Il y a peu de risque que je lui fasse le moindre mal ainsi. Je l'ai à peine touché qu'il me dit :
- Me touchez pas !
- Arrêtez-vous et présentez-moi votre carnet de liaison.
- Mais vous m'agressez, là !
Le ton monte. Heureusement arrive une surveillante qui connaît le garçon. Je lui expose en deux mots la situation et lui demande de l'emmener voir le CPE (Conseilleur pédagogique d'éducation), ce qu'elle fait. Je peux alors me consacrer à mon cours.
A la sortie, je vais voir le CPE avec qui heureusement je m'entends bien. Il a vu le garçon qui attends dans le bureau à côté du sien. Il me reçoit et avant toute chose me pose cette étrange question :
- Est-ce que tu es à l'Autonome ?
- ... ?
- Est-ce que tu as souscrit l'assistance juridique de la MAIF ?
- Heu... Non.
- Ne tarde pas à la souscrire, car avec ce que tu as fait, le garçon peut porter plainte et tu as les gendarmes dans ta classe demain matin.
- Mais je l'ai à peine touché.
- Je sais, mais aujourd'hui les familles portent facilement plainte : le lycée ne te défendra pas, le rectorat non plus. Il te faut un assistance juridique, au cas où.
Heureusement, il avait bien sermonné le garçon qui avait compris, n'étant pas un trop mauvais bougre. J'en ai conclu que les élèves pouvaient tout nous faire : nous ne pouvions réagir, à moins de risquer toutes sortes de tracas judiciaires allant jusqu'à la prison - puisque la moindre de nos violences (ou ce qui peut être qualifié de tel) sera ipso facto "aggravée" parce que nous sommes réputés "dépositaires d'autorité".
Nous sommes dépositaires d'autorité sans pouvoir, sans soutien de la part de notre administration (lycée et rectorat), à la merci de la première curée médiatique (les média aiment se farcir un enseignant de temps en temps - cela permet au public se venger de sa scolarité par procuration).
Nous étions loin, très loin, du conseil de discipline, lequel n'est convoqué que pour des choses gravissimes, relevant généralement des tribunaux tout simplement, et pourtant, la judiciarisation menaçait déjà.