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Conseils de discipline

Envoyé par Youssef Kalhoun 
16 août 2011, 22:14   Conseils de discipline
Une circulaire aurait pour objectif de supprimer les conseils de discipline dans les collèges et lycées ! C'était encore le seul moyen, un peu comme une soupape de sûreté, de ramener le calme. Quel message est envoyé ?
Entendu sur RMC et lu sur Fdesouche, comme vous.
Si la chose est avérée, c'est consternant. Connaissant un peu l'institution de l'intérieur, c'est le genre de la maison : on supprime les lois pour supprimer les crimes. Et ça marche ! Mais l'enfer est promis à toutes les bonnes volontés encore sur place.
J'en parlais avec Didier Bourjon sur un autre fil : le laxisme grignote les fondations de l'Ecole.
Les conseillers d'éducation expliquent déjà aux élèves qui crachent par terre que ce n'est pas bien de cracher par terre, et sitôt qu'ils ont le dos tourné, ils recommencent à cracher par terre !

Il arrivera un jour où on expliquera gentiment à un élève que c'est pas bien de rouer de coups son professeur de mathématiques avant de lui dire d'aller faire quelques paniers dans la cour pour se défouler !
La disparition envisagée des conseils de discipline indique à mon avis la perspective d'une "judiciarisation" programmée des conflits scolaires.
Cette judiciarisation n'a pas attendu la disparition des conseils de discipline.
Une anecdote pour l'illustrer : voici quelques années, j'enseignais la philosophie dans un lycée de la région chartraine. Il arriva un jour que le traffice routier me mit un peu en retard. J'arrivai donc au lycée vers 9h05-09h10, soit 5-10 minutes en retard. Mes élèves m'attendaient devant la salle, dans le couloir, et faisaient évidemment un peu de bruit. Confus de ce retard et du désagrément que ma classe causait à mes collègues, qui commençaient à sortir de leur salle pour les rappeler à l'ordre, je fis rentrer très vite mes élèves en présentant mes excuse à mes collègues. Il ne restait presque plus d'élève dans le couloir. Arriva un petit groupe, qui venait de la cour, parmi lesquels figurait un de mes élèves. Ce groupe arriva et se mit à hurler, notamment mon élève, que je fis rapidement rentrer. Un sien ami du groupe se planta alors à la porte et lui hurla quelque chose derechef, alors que j'avais clairement intimé l'ordre de faire silence. Je me tournai alors vers lui furieux :
- Vous n'êtes pas bien d'hurler comme ça ?
- ça va !
- Non, ça ne va pas. Cela va encore moins de ce que vous me dites que ça va alors que vous hurlez dans ma classe et dans le couloir.
Je m'avance alors pour lui demander son carnet de liaison qu'il est tenu de me présenter dans la mesure où je suis un adulte identifié comme professeur. Il refuse et commence à partir. Je l'attrape alors par la manche : il porte un lourd blouson en cuir. Il y a peu de risque que je lui fasse le moindre mal ainsi. Je l'ai à peine touché qu'il me dit :
- Me touchez pas !
- Arrêtez-vous et présentez-moi votre carnet de liaison.
- Mais vous m'agressez, là !
Le ton monte. Heureusement arrive une surveillante qui connaît le garçon. Je lui expose en deux mots la situation et lui demande de l'emmener voir le CPE (Conseilleur pédagogique d'éducation), ce qu'elle fait. Je peux alors me consacrer à mon cours.
A la sortie, je vais voir le CPE avec qui heureusement je m'entends bien. Il a vu le garçon qui attends dans le bureau à côté du sien. Il me reçoit et avant toute chose me pose cette étrange question :
- Est-ce que tu es à l'Autonome ?
- ... ?
- Est-ce que tu as souscrit l'assistance juridique de la MAIF ?
- Heu... Non.
- Ne tarde pas à la souscrire, car avec ce que tu as fait, le garçon peut porter plainte et tu as les gendarmes dans ta classe demain matin.
- Mais je l'ai à peine touché.
- Je sais, mais aujourd'hui les familles portent facilement plainte : le lycée ne te défendra pas, le rectorat non plus. Il te faut un assistance juridique, au cas où.
Heureusement, il avait bien sermonné le garçon qui avait compris, n'étant pas un trop mauvais bougre. J'en ai conclu que les élèves pouvaient tout nous faire : nous ne pouvions réagir, à moins de risquer toutes sortes de tracas judiciaires allant jusqu'à la prison - puisque la moindre de nos violences (ou ce qui peut être qualifié de tel) sera ipso facto "aggravée" parce que nous sommes réputés "dépositaires d'autorité".
Nous sommes dépositaires d'autorité sans pouvoir, sans soutien de la part de notre administration (lycée et rectorat), à la merci de la première curée médiatique (les média aiment se farcir un enseignant de temps en temps - cela permet au public se venger de sa scolarité par procuration).

Nous étions loin, très loin, du conseil de discipline, lequel n'est convoqué que pour des choses gravissimes, relevant généralement des tribunaux tout simplement, et pourtant, la judiciarisation menaçait déjà.
La disparition du conseil de discipline n'a rien à voir, si je peux me permettre, avec la judiciarisation.
Cette disparition n'a qu'un objectif très clair : garder les élèves à l'école.
Vous me direz qu'il n'y rien là que de très normal.
Oui en effet !

De plus en plus d'élèves sortent du système scolaire sans qualification. Sans diplôme en somme. Un élève exclu d'un établissement pour avoir insulté son professeur, exclu d'un autre établissement pour avoir frappé un CPE (Conseiller Principal d'Education et non pas pédagogique), puis exclu une troisième fois pour avoir bousculé son Principal, se retrouvera "descolarisé", et donc sans espoir de qualification.

Supprimer le conseil de discipline conduira à gentiment gronder l'élève qui se sera aimablement adressé à son professeur de mathématiques à l'aide d'un "ta gueule salope". Il restera dans les murs et ira bien sagement jusqu’au baccalauréat professionnel.

Ainsi tous nos jeunes élèves seront qualifiés...
Et par ailleurs ces jeunes dits sensibles ne seront pas dans les rues à fuir la police sur des scooters volés, non ils s'amuseront tout simplement à terroriser leurs professeurs très soucieux de leur apprendre à lire, écrire et compter !

Les chiffres de la primo-délinquance auront fortement diminués...
On fait d'une pierre deux coups : on fait baisser les chiffres de la primo-délinquance (à voir, cependant), mais surtout ceux du chômage, ou en tout cas on ne les fait pas augmenter, puisque ces jeunes gens ne s'inscrivent pas à Pôle Emploi. Beau cynisme : on sacrifie 90% des élèves au nom d'un petite minorité d'agitateurs, parfois déjà délinquants, voire criminels.
Tous les ans, au moment de l'orientation, en fin de troisième, tous les élèves suivis par le Juge pour enfants, ou "détectés" par les services de police sont prioritaires en seconde professionnelle, alors même qu'ils ont une moyenne de 2 ou 3 maximum. Cela permet de les occuper entre huit heures et cinq heures de l'après-midi !

D'autres élèves, qui ont presque la moyenne, sont "poussés" vers les filières générales, parce qu'il n'y a plus de place dans les filières professionnelles où ils seraient plus à leur place pourtant.

Le résultats en est que la filière professionnelle et la filière générale sont toutes les deux tirées vers le bas, et les élèves (qui voudraient travailler) avec elles...

Le festival du Cynisme, dans toutes les communes de France entre septembre et juin ! Entrée gratuite !
J'ignorais cet aspect de l'orientation, cher Youssef. Cela explique bien des choses. Je remercie le ciel de n'avoir pas à enseigner dans un lycée professionnel. C'est assez difficile d'enseigner la philosophie en classes technologiques.
"cet aspect de l'orientation" - analyse à laquelle je souscris entièrement - c'est l'ambition panique d'occuper les gens, faute de savoir quoi leur faire faire. C'est le syndrome des "encombrants".
Le pire dans toute cette entourloupette est que "les jeunes" finissent par ne plus être la dupe des politiques, et ils voient bien qu'on se moque d'eux, ils entendent tout à ces affaires, et ils ne croient plus à ce système, lassés qu'ils sont par ce cynisme comptable permanent.

Ce soupçon généralisé se généralise. L'ombre gagne...
Une mère à son fils dans le bureau du Principal : "Je t'ai déjà dit, on vole pas le vendredi" [histoire vraie]


Les dealers pendant le ramadan ne commencent à travailler qu'à partir du coucher du soleil !
Très bonne cette dernière anecdote !
21 août 2011, 08:53   Re : Conseils de discipline
Je me demande si cette suppression des conseils de discipline ne s'inscrit pas dans la suite logique des réformes scolaires qui ont conduit à la suppression du concours d'entrée en sixième, du redoublement, des devoirs à la maison en primaire, etc. Des "pédagogues" voulaient même, il n'y a pas si longtemps, supprimer les notes !

Je suis tombé par hasard sur ce texte de Raymond Boudon, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, dans lequel il donne, entre autres (beaucoup de thèmes différents sont abordés), une explication sur cette évolution dans le domaine scolaire :

"Autre exemple de l’influence de la vision illibérale de l’homme, de la société et de l’État : le phénomène dit de « l’inégalité des chances scolaires », à savoir le fait que le niveau scolaire soit statistiquement lié à l’origine sociale. Il a été interprété par la pensée illibérale comme le produit d’un complot de la classe dominante contre la classe dominée. La culture scolaire aurait une fonction latente : celle de consolider la division de la société entre dominants et dominés, sans que ni les uns ni les autres le sachent.
Ces idées ont eu et conservent une grande influence sur nombre d’enseignants, de syndicalistes, de journalistes et de politiques. Elles ont convaincu certains des responsables politiques qu’ils avaient, non seulement le devoir de chercher à réduire l’inégalité des chances scolaires, mais aussi que le pouvoir de le faire était à portée de main. Pour réduire l’inégalité des chances scolaires, il suffisait, pensaient-ils, d’allonger le tronc commun, de renoncer à évaluer les performances des élèves, de renoncer à les classer, à les récompenser et à les sanctionner. Ces idées ont été à l’origine d’une foule de réformes d’efficacité douteuse : non seulement du collège unique, mais aussi de l’introduction des mathématiques modernes ou de la grammaire structurale, les unes et les autres étant supposées – au vu de raisons plus ou moins obscures- plus « neutres » culturellement et par suite socialement que les mathématiques classiques ou la grammaire classique, et comme par conséquent moins susceptibles de favoriser les enfants des classes favorisées. On pouvait prévoir que ces dispositions n’avaient guère de chances d’atténuer l’inégalité des chances scolaires. En revanche, ces innovations ont puissamment contribué à la détérioration des systèmes d’éducation et au développement de la violence et de l’échec scolaires."
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