Qui est l'auteur de ce portrait?
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30 décembre. Gaillon
A Paris, où je suis rentré deux jours, Alain Finkielkraut vient déjeuner. J'attendais un intello en blouson râpé, poil hirsute et barbe de trois jours, c'est un bon élève de Sciences po qui arrive, chemise bleue, pull jaune, pantalon marron et veste de sport grise, de bonne qualité. L'oeil est bleu, rieur, les cheveux mi-longs, le visage long, avec des traits fins corsés par une mâchoire forte et une bouche dessinée, large, gourmande, de garçon qui ne dédaigne pas les joies de ce monde.
L'intellectuel pas desséché. Du reste, par miracle, ce Saint-Cloudien, ancien élève de Barthes aux Hautes Etudes, n'est pas licencié de philosophie. Juste, si l'on peut dire, agrégé de lettres. Ex-mao, ex-gauchiste, encore un peu rocardien, il n'a jamais été en carte nulle part, et se démarque un peu de tout le monde dans ses opinions sémito-réformistes, qui heurtent la gauche parce que trop "sionistes" et la droite, parce que trop favorables néanmoins à la gauche... Il vit tout de même dans un monde conventionnel où l'univers est borné par
le Monde,
l'Obs,
Libé et - éventuellement -
l'Express. Mais là encore ce Cancer se sent brimé par Jean Daniel, Revel, Todd et même July, comme si ses exigences d'absolu étaient une conduite d'échec - un rien talmudiques car, pour rejoindre la judaïté perdue, il se plonge dans le Talmud, livre où, dit-il "le touche ce mélange de la plus haute spéculation avec le matériel le plus quotidien". Pas croyant - quel juif l'est vraiment? - ni pratiquant, il respecte cependant toujours Roshashana et Yom Kippour, passées entre papa qui a fait les camps, et maman, émigrée (de Pologne?) après guerre. Croyant, du reste, comment l'eût-il été? Son père, après l'expérience nazie, a perdu toute foi en Dieu.
Lui, dans sa quête, est un passéiste modéré, très pessimiste sur l'avenir d'Israël qui risque d'être détruit un jour par une guerre civile entre juifs, à laquelle ils ne résisteront pas.
Aime Kundera - et Philip Roth, qu'il va aller voir à Londres, prochainement.
Trente et un ans, toutes ses dents, mais dans son sourire quelque chose d'espiègle qui fait passer l'ambition. L'intelligence est encore incertaine d'elle-même, prête à s'étonner, à brûler, à se surprendre? Sa jeunesse n'est pas dominée, heureusement. Et le monde qui sera à ses pieds, sans qu'il en ait la tête enflée, c'est une variété intéressante. A suivre."