Mercredi 2 juillet, TF1 a diffusé à partir de 20 h 50 un long reportage de M. Hulot sur la forêt amazonienne, sur la faune et la flore, sur les poissons et autres animaux de la forêt immergée : admirables photos, cadrages soignés, lumière soignée, images léchées, etc. Du point de vue de la technique télévisuelle, ce reportage est un chef d'oeuvre : l'équivalent de la photo d'art sur papier glacé.
L'objectif était double : faire comprendre le rôle joué par la forêt primaire dans la survie de la planète (poumon de la terre, réserves de molécules pharmaceutiques, diversité biologique, etc.) et donc protester contre la déforestation mise en oeuvre pour cultiver du soja et autres plantes d'exportation ou destinées à l'industrie agro-alimentaire; et développer le thème du "bon sauvage" : les Zoés, des enfants, des femmes, des hommes, tous très bons, innocents et purs par nature, vivant en harmonie avec leur milieu, etc.
Or, vers 21 h 45, pendant la diffusion de ce reportage luxueux et très bien pensant, a été annoncée, dans un bandeau, la libération de Mme Betancourt et de 14 autres otages, retenus par les FARC depuis 6 ans ou plus, dans la forêt colombienne, à quelques centaines de kilomètres du lieu où la nombreuse équipe de M. Hulot filmait les Zoés et les dauphins d'eau douce, etc.
Que nous a appris Mme Betancourt au cours de ses nombreux témoignages le lendemain ? Que la forêt est un enfer, même pour l'écolo qu'elle est, que le milieu est hostile et dangereux, qu'elle n'a pas vu le ciel pendant 6 ans, qu'elle était obligée de porter en permance un très large chapeau pour se protéger des fourmis, des insectes, des tiques et autres saletés qui tombaient en permanence des arbres... En bref, elle a démoli, en quelques phrases, le mythe (beau mais mensonger) diffusé au même moment par M. Hulot. Le réel s'est invité dans un écran de (beaux) mensonges et a dissipé en un instant ce factice écran de luxe qu'est la télévision. Ce fut la revanche du réel. Un grand moment de télévision : mais involontaire.
Si M. Hulot avait un peu de culture et s'il avait lu Lévi-Strauss ou même Pierre Clastres, il aurait appris ce qu'une expérience malheureuse a fait subir pendant 6 ans à Mme Betancourt : que le bon sauvage n'existe pas, que les tribus indiennes se sont aussi entre-massacrées, que la vie dans la forêt est une épreuve, que les dangers y sont innombrables, que, même si les indiens travaillent peu (2 h par jour, dixit M. Hulot : deux fois moins que les 35 heures de Mme Aubry), ils s'ennuient beaucoup, que leur vie sociale est réglée par d'innombrables règles ou contraintes, souvent absurdes, dont la signification échappe même aux esprits les plus acérés de l'ethnologie, etc.