Citation
Éric Veron
Je voulais dire, tout simplement, qu'il y aurait quelque contradiction à vouloir imposer l'in-nocence à tout autre que soi-même.
Mais
imposer l'in-nocence, n'est-ce pas justement la tâche que se donne toute éducation véritable, M. Veron ?
Citation
Orimont Bolacre
On dira que tous ces gens se trompent, qu'ils croient aimer le tintamarre et que l'on va leur ouvrir les yeux (ou les oreilles), leur faire re-prendre conscience que s'abandonner au bruit c'est mal et s'efforcer au silence c'est bien, que le monde feutré appelé de ses vœux par Renaud Camus est infiniment plus désirable que le monde rugueux du soi-mêmisme.
Vivre continument dans le bruit est évidemment nuisible, mais festoyer, ripailler, « s'abandonner au bruit », pour reprendre votre expression, lorsque cet abandon n'est ni quotidien ni trop prolongé, ne procure-t-il pas l'
ivresse brève que l'homme du commun recherche et trouve dans l'illusion de détention de puissance, par
fusion au bruit ? Et quoique la violation de l'interdit soit nécessairement et farouchement punie au sein de toute société,
elle n'en reste pas moins nécessaire : aussi la fête est-elle cet
excès permis par lequel l'individu se trouve dramatisé et, porté par l'
ivresse de la puissance, de la transgression,
réalise un mythe, du moins le
rejoue, lequel mythe, suivant Roger Caillois, « représente à la conscience l'image d'une conduite [interdite] dont elle ressent la sollicitation »*. Freud reprenait déjà cette définition classique de la fête lorsqu'il écrivit, dans
Totem et Tabou : « Une fête est un excès permis, voire ordonné, une violation solennelle d'un interdit. Ce n'est pas parce qu'ils se trouvent, en vertu d'une prescription, joyeusement disposés que les hommes commettent des excès : l'excès fait partie de la nature même de la fête ; la disposition joyeuse est produite par la permission accordée de faire ce qui est défendu en temps normal. »
En somme, puisque les instincts humains n'ont guère évolué, et quoique le rite — la fête — se soit dissociée du mythe qui le fondait, le cinéma s'étant approprié ce dernier, le besoin de violation de l'interdit par l'excès permis perdurera aussi longtemps que l'homme vivra en société. Le malheur est que, aujourd'hui, l'amplification du bruit des fêtes a atteint son faîte par des possibilités techniques qui les rendent manifestement plus nuisibles qu'autrefois — ce qui n'entame point leur nécessité, aussi âpre soit-elle.
C'est pourquoi je vous rejoins, Orimont, et pense avec vous que « tous ces gens »
aiment vraiment le tintamarre, autant sinon plus qu'ils «
croient [l']aimer » — j'irais même plus loin : ils l'aiment
pour de légitimes raisons.
* Le mythe et l'homme