Nous sommes si nombreux déjà que de nous, il ne reste déjà plus que le visage et le nom. Lévi-Strauss s'exprimant sur ce qu'il nomme "l'empoisonnement interne" de l'humanité annonce et récapitule notre état. Il dit de son oeuvre qu'elle n'est déjà, au vingtième siècle, qu'
intertextualité et, a-t-on le droit d'ajouter, qu
'interaction.
Sept milliards d'humain font qu'il n'y a plus d'action des hommes mais que de l'interaction.
Ce soir, conversation trouble, "philosophique" avec un vieille amie thaïlandaise:
"- Que connais-je de toi, hormis ton nom et ton visage ?
- Moi non plus, hormis ton nom et ton visage, et ton corps qui n'est qu'une extension opaque de ton visage je ne sais rien de toi, de ce qui serait tout toi, des pensées, des sentiments qui n'appartiendraient qu'à toi."
Donc, la pollution interne de l'humanité par sa surabondance serait ceci: la perte du mystère de la singularité, et non la seule perte de cette dernière.
Lévi-Strauss, pourtant créateur de méthodes (ce qui est supérieur à une singularité d'oeuvre) ne tient pas à se présenter à ses contemporains autrement que comme répercuteur de pensées, un grand transtextuel, en quelque sorte.
Faute de place, nous, humains sommes tous devenus cela: des lieux d'emprunt; d'un homme et d'un auteur tel que Lévi-Strauss, Jean-Pierre Vernant, Renaud Camus, il ne reste qu'un visage, irremplaçable, plus-qu'unique, et un nom singulier, cependant que tout l'oeuvre revendiquée et signée, tout le vaste continent de l'oeuvre de Renaud Camus, n'est que transtextualité, territoire transtextuel.
Facebook, machine d'identification par le nom et la gueule, suffit à combler ce monde. L'oeuvre personnelle n'est rien, elle n'emporte avec elle, loin du nom et du visage, aucune singularité.