(ah bon ben alors en voilà un autre, té...)
« N'est-ce pas un signe extraordinaire, aussi, que Jean Birnbaum, le petit journaliste qui m'avait attiré dans un piège, l'année dernière, et m'appelait “candidat de l'Occident”, avec tout ce que ça implique, pour la seule raison qu'il avait écrit un livre sur
Les Maoccidents (quel titre idiot, entre nous…), que ce garçon de trente-cinq ans, sans œuvre, sans prestige journalistique, dirige les pages littéraires du
Monde ? Faut-il qu'il n'y ait vraiment
personne d'autre ! Faut-il que plus personne, ni même
Le Monde, n'attache à ces pages la moindre importance ! Faut-il que la littérature ait peu de place parmi les livres pour que la place échoie à un petit commissaire idéologique, comme au Kremlin on offre tout naturellement la direction des affaires politiques et de l'État à ceux qui ont fait leurs classes au sein du KGB ! Et certes on n'arrive pas à si enviable poste sans multiplier les preuves et les marques enthousiastes d'allégeance, celles qui font les carrières, à la dictature antiraciste. Aujourd'hui il s'agit par exemple de laver de tout soupçon de complaisance nationale ou de non-haine de la France le prix Goncourt proclamé à midi, Alexis Jenni, auteur de
L'Art français de la guerre — le jeune Birnbaum s'emploie énergiquement à la tâche :
« “A tous les petits-enfants, aux femmes et aux hommes qui sont nés un peu tard, le livre d'Alexis Jenni permet donc de nommer ce trouble commun : la présence insistante, revenante, de la “pourriture coloniale”. Sans prendre de gants, il nous y plonge jusqu'au cou. On dira sans doute que ce texte nous coûte à lire. C'est le signe qu'il mérite son prix.”
« En effet : s'il dénonce la
pourriture coloniale de la France, on pouvait difficilement lui refuser le Goncourt : il n'y a pas de tâche plus urgente, ni plus courageuse, ni plus neuve...
« Si malgré cela Jenni risquait de paraître un peu suspect, c'est, ainsi que l'explique Raphaëlle Leyris dans
Le Monde tout court, qu'il aurait pu être “contaminé par son éditeur chez Gallimard, Richard Millet, peu connu pour son ouverture à la différence culturelle et religieuse, et duquel il se distancie respectueusement.”
Ouffa, quoique
respectueusement soit sans doute de trop, une imprudence. Le roman de Millet,
La Fiancée libanaise, que je suis en train de lire, fait l'objet, lui, quelques pages plus loin, et de nouveau dans les pages littéraires, d'une très brève recension critique, un entrefilet au ton poli, mais qui,
in coda venenum, se termine ainsi :
« “Référence étrange à un livre biblique célébrant l'amour accompli, chair et âme mêlées, cette évocation donne le ton d'un roman où Richard Millet se donne et se reprend sans cesse. Il se conduit avec son lecteur comme son narrateur avec la jeune femme, créant une intimité parfois bouleversante, puis le repoussant, lui préférant son splendide isolement, la contemplation narcissique du désastre de sa vie.”
«
Désastre de sa vie, on peut relire, c'est bien de Millet qu'il s'agit. Et pourquoi la vie de Richard Millet est-elle un désastre ? Parce qu'il n'adhère pas à la dictature idéologique et culturelle, parce qu'il refuse de voir blanc quand on lui montre noir, parce qu'il a le front de faire sécession du fauxel, le règne du faux. Position douloureuse en soi, d'autant que c'est la douleur qui la suscite : mais si elle ne l'était pas on se chargerait en haut lieu, et dans les officines du
Monde, d'assurer qu'elle le devienne, la menace est clairement impliquée. Moi-même je ne me sens pas très bien, ce soir.
« À midi j'ai fait savoir aux Bernardins, qui n'avaient toujours pas annoncé ma participation à leur débat, que dans ces conditions je préférais m'en retirer. Ils m'ont deux fois relancé depuis, assez mollement, avec des explications en argument du chaudron qui aggravent plutôt leur cas. Ainsi ils n'avaient pas eu le temps, malgré mon acceptation rapide de leur proposition, d'inscrire mon nom sur leur programme. Mais je ne devais pas croire au moindre piège, ni qu'ils aient voulu me cacher quoi que ce soit : Nathaniel Dupré La Tour (qui, lui, figure sur le programme) n'avait été invité qu'
après moi…
« Ah oui : et si l'on n'avait pas pu m'inscrire c'est qu'on ne savait pas en quelle qualité le faire — est-ce qu'
écrivain ça allait ? (Déjà il y a un an ou deux Daniel Picouly trouvait qu'
écrivain c'était parfait pour Azouz Beggag, il n'y avait pas de doute là-dessus, mais moi, comment souhaitais-je être présenté ?) »