Cher Alain Eytan,
Oui, ce président n'a pas brillé par son attitude, c'est vrai. Mais enfin, il conforte tout de même cette idée de liens historiques étroits entre ces deux peuples...
Je suis bien d'accord avec vous quand vous écrivez qu'il n'y a aucune raison d'être tranquille, ni de se réjouir qu'un tel régime possède l'arme atomique, quand il ne s'agirait de n'être qu'une menace sourde et permanente. Cela dit, je persiste à penser que les dirigeants iraniens actuels sont beaucoup plus "rationnels" qu'on veut bien le dire. On ne saurait dire, par exemple, qu'ils gèrent ce pays de 60 millions d'habitants en
fous d'Allah (ce qui ne les empêche pas de le gérer mal, et de façon classiquement totalitaire). La CIA a maintes fois employé, pour qualifier le comportement géopolitique du régime, cet adjectif :
rational. Cela m'avait marqué.
Quant à la collusion du religieux et de la mafia, je crois qu'on assiste surtout à une éviction du religieux par la mafia. Paradoxalement, il n'est pas impossible que le clergé soit le grand perdant de la révolution islamique. Après avoir liquidé ses alliés gauchistes au début des années 1980, il se fait — de façon encore relative — liquider à son tour depuis une dizaine d'années. Tout a commencé à la succession de Khomeini, quand Khameyne'i, pourtant notoirement incompétent en matière de théologie, a obtenu le poste de Guide Suprême. Depuis, il n'a cessé de s'appuyer sur le réseau des commandos pasdaran, bien plus que sur le clergé, pour régner durement. Il a largement permis le "devenir mafia" du régime, en lien plus ou moins heureux avec Rafsandjani, autre théologien de seconde zone mais au demeurant très roublard, qui s'est chargé de partager le gâteau en devenant milliardaire au passage.
De nombreux "vrais" ayatollahs ont pris leurs distances avec le régime, et certains sont même entrés ouvertement en dissidence. Le régime n'ose pas (encore) les exécuter, mais ils vivent en résidence surveillée dans la ville sainte de Qom.
Il semblerait donc qu'après avoir perdu l'estime du peuple, les religieux perdent à présent une partie importante de leur pouvoir politique au profit d'une génération qui participa au front irakien dans les années 1980, et dont un Ahmadinejad est le parfait représentant (le Guide Suprême l'a porté à bout de bras en 2009, même au plus fort de la contestation : c'est donc bien sur lui et ses épigones qu'il a tout misé).
Certes, il reste maints ayatollahs postiches, ou alors très âgés, au sein des multiples instituions du régime, mais il sont de moins en moins ayatollahs et, à dire vrai, de plus en plus gangsters. On ne leur laisse pas le choix, de toute façon. C'est que, voyez-vous, Khomeini n'est plus là pour faire régner un semblant d'ordre et de piété...
Pour répondre à Rogemi, je pense que les gens au pouvoir à Téhéran s'en fichent, du "millénarisme chiite". George W. Bush, à mon avis, croyait bien plus en son millénarisme qu'eux en le leur.
Bref, n'oublions pas que ce régime a d'innombrables facettes ; et qu'il s'agisse de ses ayatollahs, de ses pasdarans ou de ses bureaucrates chi'ites, il est avant tout composé d'Iraniens — autrement dit, d'individus terriblement pragmatiques.