La semaine de la Bêtise

Le 22 ou 23 décembre, les deux chaînes publiques, la 2 et la 3, ont "ouvert" (comme cela se dit) leurs journaux du soir sur le transfert d'un joueur de football anglais au PSG (avec de 5' de reportage), "information" que les journalistes du service public il y a 40 ou 50 ans auraient eu honte d'annoncer ou qu'il leur aurait été interdit d'annoncer ou qu'il ne leur serait jamais venu à l'idée d'annoncer. La télévision alors était la "voix de la France". Elle était sans doute assez peu "plurielle" (comme on dit aujourd'hui - ce que la télévision publique d'aujourd'hui n'est pas non plus, puisqu'elle campe dans le même camp depuis 30 ans), mais elle avait de la dignité, du moins elle était désireuse de préserver la dignité de la France. Il y a 40 ou 50 ans, les professeurs de vertu s'indignaient que l'ORTF consacrât 30 secondes par semaine aux courses de chevaux et au tiercé; aujourd'hui, ils ne disent rien quand les chaînes qui ont remplacé l'ORTF consacrent une heure ou deux par semaine au transfert à Paris de ce milliardaire ou à d'autres sujets dignes de France Soir ou du Parisien d'il y a 40 ans. Ce qui suscite leur indignation, c'est le salaire mensuel de 800000 €, et non que la télévision publique s'y attarde dans tous ses journaux et avec une complaisance extrême.


Le 23 ou le 24, le journal Le Monde a publié dans son site un article dont le titre était incompréhensible à cause d'une syntaxe boiteuse : "ce que coûte la France aux étudiants étrangers" (l'article n'était plus dans le site le 24 dans l'après-midi). On pouvait s'attendre à un article traitant de "ce que coûtent à la France les étudiants étrangers" (puisqu'il y en a près de 200000 inscrits dans les universités françaises et qu'ils bénéficient d'aides diverses et paient des droits d'inscription qui sont parmi les moins élevés du monde). Non, l'auteur de l'article annonçait que les études en France coûtaient très cher aux étudiants étrangers (en fait, dans son esprit, c'était "plus cher aux étudiants étrangers qu'aux étudiants français"), mais on ne comprend pas logiquement, sauf à vouloir instruire un procès en sorcellerie contre la France, ce en quoi notre pays est responsable de cet état de fait. Après tout, ces étrangers choisissent librement de venir faire leurs études en France, personne ne les y contraint, et rien ne dit que les familles de ces étudiants étrangers n'ont pas des revenus bien supérieurs à ceux des Français. En réalité, il suffisait de lire entre les lignes de l'article, totalement faux dans ses a priori et ses conclusions, pour comprendre que les études supérieures en France sont une très bonne affaire pour les étrangers, qu'elles leur coûtent de cinq à dix moins cher qu'aux USA ou en Grande Bretagne ou même dans leur propre pays (différence payée par les contribuables français), que les aides et bourses sont nombreuses et généreuses et que, même quand elles sont payantes, elles paraissent gratuites en comparaison du montant des écolages à Oxford, Yale ou Stanford.


Il est possible que quelqu'un au Monde se soit rendu compte a posteriori ou à la suite de protestations de lecteurs que cet article était nul, même par rapport au niveau très médiocre des articles de ce journal, et qu'il ait décidé de l'enlever du site. Encore que l'on puisse en douter, car, le même jour, Le Monde a publié dans son site (et peut-être aussi dans l'édition papier) le "point de vue" d'un "directeur de recherches au CNRS" - "Etre laïque en terre d'islam" - qui ne vaut pas mieux que "ce que coûte la France aux étudiants étrangers". L'auteur y enfile les perles dignes de la Foire aux cancres. Ainsi les Français croiraient à une "équation magique", du type République = démocratie = laïcité, etc.; l'islam n'existe pas (d'un point de vue politique, certes : mais qu'il explique cela à Sa Majesté le Roi du Maroc, Commandeur des Croyants, ou au Roi d'Arabie saoudite ou à l'Emir du Qatar ou aux Frères musulmans, etc.); la France a subi cinquante d'antisémitisme républicain avant 1940, alors que les Républicains ont été philosémites; Vichy a collaboré avec les nazis (avec l'Allemagne oui, mais pas avec le parti NS des travailleurs allemands), etc. Ces énormités encadrent la thèse exprimée : "en terre d'islam" (syntagme figé qu'un savant devrait bannir, car il n'a pour raison d'être que d'effacer le très désuet syntagme, figé lui aussi, de "Terre Sainte"), on peut être aussi laïque qu'en France, sans le dire ou sans en avoir conscience, car les conflits en terre d'islam ne sont pas religieux, mais "sociaux" de part en part.... On pourrait accorder un brin de crédit à cette thèse si elle n'était pas préparée par des propositions délirantes qui trahissent chez celui qui les assène une ignorance crasse. On se demande pourquoi Le Monde publie de telles âneries : ou bien ce journal tient ses lecteurs pour des demeurés, ou bien les rédacteurs de ce journal sont à peu près du même niveau que ce directeur de recherches du CNRS et ne s'aperçoivent pas des énormités exprimées, ou bien le journal est retors et il entendrait démontrer par l'absurde la nullité des directeurs de recherches du CNRS et l'inutilité de cette institution prétendument "scientifique".

Je crois que Le Monde est tout simplement un journal en « fin de vie », qui accueille la prose de gens qui, de façon tout à fait anachronique, trouvent encore prestigieux de « publier un article dans Le Monde ». Quant aux gens qui font le journal, je soupçonne qu’ils ne croient pas un mot des mensonges qu’ils publient. Ils sont comme les Est-Allemands à la fin du communisme.

Quant aux gens qui font le journal, je soupçonne qu’ils ne croient pas un mot des mensonges qu’ils publient.

C'est bizarre, j'aurais tendance à penser exactement le contraire (bien que ne disposant d'aucune preuve pour étayer cette hypothèse).

Chatterton,

Il y a pire : les gens qui l'achètent ou qui s'y abonnent, et qui lui donnent les moyens de nuire.

En revanche, il est recommandé de lire ses articles gratuits.

Stéphane, on trouve naturellement de tout, mais j’écrivais en ayant à l'esprit deux souvenirs, le premier d’Est-Allemands (que j’ai marginalement connus) qui récitaient la doxa, et qui ensuite, en privé, tout bas, convenaient que c’était fichu, le second de piliers de l’Éducation nationale qui (je vous passe les détails) expliquaient avec d'authentiques arguments qu’on devait valider des compétences linguistiques à des candidats à un examen quelconque qui déclaraient simplement parler l’anglais, l’allemand, ou ce que vous voudrez (vous avez bien compris : il était interdit d’engager la conversation avec le candidat dans les langues en question) — piliers de l’Éducation nationale qui, lorsqu’on les prenait à part ensuite, expliquaient que tout cela était bien compliqué mais qu’ils seraient bientôt à la retraite.

Les journalistes du Monde, eux, seront bientôt chômeurs si je ne m’abuse.

Les journalistes du Monde, eux, seront bientôt chômeurs si je ne m’abuse.


Dieu vous entende.

Chômeurs et pour de bon, Jean-Marc. Car je ne vois pas qui embaucherait quelqu’un qui aurait un pedigree pareil. « Ah vous étiez chargé du bourrage de crâne au défunt Le Monde ? »