Je vous trouve, Noémie, bien optimiste.
Bien entendu, la situation dépend de ce que vous entendez par "activité agricole" car la situation d'un éleveur de chevaux, d'un gros céréalier, d'un maraîcher, d'un volailler, d'un laitier, ne sont en rien comparables ni les contraintes qui pèsent sur les uns ou sur les autres.
Pour bien comprendre le sens de mon propos, je crois donc indispensable que nous parlions de la même chose. Or je note que vous évoquez d'entrée de jeu deux statuts très différents : celui du non-professionnel, "cotisant solidaire" qui s'assure un complément de revenu en vendant 4 tomates et 3 goldens ; celui du professionnel soucieux de créer les conditions d'une exploitation pérenne et rentable et dont l'agriculture ou l'élevage constitue l'activité première et principale source de revenu. Ces deux situations ne sont pas superposables et c'est exclusivement ou presque de la seconde qu'il est question dans mon intervention.
Dans tous les cas la situation est plus complexe que ce que vous décrivez car les problèmes à surmonter ne se résument pas à la cotisation MSA. Je rappelle que la cotisation de solidarité MSA, si elle autorise bien à vendre les produits de la ferme, ne confère pas un statut social puisque le cotisant n'a droit en retour ni à la sécurité sociale ni à la retraite ; raison pour laquelle elle est effectivement réservée à des personnes qui exercent à titre principal une activité non-agricole, une opportunité à laquelle tout le monde n'a pas accès, spécialement dans les campagnes les plus reculées.
Qu'en est-il des éleveurs ?
Prenez le cas des législations sur la vente du lait et des produits laitiers, des fromages ou la production/commercialisation, avec ou sans transformation, de volailles ou d'autres viandes.
De telles activités exigent l'aménagement ou la construction d'ateliers de traitement ou d'abattage équipés du matériel conforme pour stocker, assommer, saigner, plumer, vider, recueillir les abattis, les évacuer ; cuve à lait, cumulus en laiterie, groupe électrogène éventuel, aménagements comprenant plusieurs pièces, une chambre froide, un ou des robinets à commande non-manuelle, tables de découpe ou d'égouttage en inox ou dans un matériau neutre lavable, revêtements hydrofuges et lavables du sol au plafond, joints adaptés, portes et fenêtres en pvc, syphons de sol, sas d'entrée, respect des règles dites "de marche en avant" etc.etc. pour ne rien dire de l'obligation connexe de disposer, bien évidemment, sauf à pratiquer exclusivement la vente à la ferme, d'un véhicule équipé d'un caisson réfrigéré (respect de la chaîne du froid). La législation, sauf erreur de ma part, exige qu'il soit réservé à cet usage et à lui seul ; exigence, encore, de ne pas transporter produits laitiers et volailles dans un même caisson, ces denrées n'étant, nous assure-t-on, pas sensibles aux mêmes pathogènes ; nécessité de tenir une vitrine réfrigérée sur les marchés, etc.
Toutes contraintes légales qui s'imposent aussi bien aux producteurs fermiers qu'aux industriels et ces fermiers fussent-ils cotisants solidaires.
Ajoutons les frais inhérents à la déclaration et à l'identification des cheptels, déclaration annuelle/identification-bouclage, électronique désormais, obligatoires, frais vétérinaires pour la prophylaxie, les frais de soins courants, frais d'analyses obligatoires et volontaires, tous frais en croissance constante ces dernières années qui finissent par représenter des sommes non-négligeables, sauf à tricher sur les déclarations.
Ajoutons les frais d'installation d'éventuelles fosses à fumier et à lisier pour l'éleveur de bétail, d'épandages, de micro-centrales de retraitement des eaux blanches pour les fromagers ...
Ajouterais-je encore, pour faire bonne mesure, qu'on ne cultive pas, même deux ou trois hectares, qu'on n'élève pas même 15 ou 20 chèvres sans disposer d'un matériel adapté : cornadis, rateliers, loges, tracteur et outils d'attelage ; sans entretenir ce matériel ; sans disposer de hangars ou de granges pour y stocker les fourrages et les instruments et qu'avec la mégalomanie venue des Etats-Unis il est de plus en plus difficile pour le foin, la paille ou la luzerne de se procurer autre chose que des balles rondes qui pèsent entre 200 et 400 kg, sont grosses dévoreuses d'espace et impossibles à manipuler sans posséder une tracteur armé d'une fourche adaptée.
Le moindre tracteur d'occasion, Noémie, sans le moindre instrument, coute au bas mot 5000 euros. L'agriculture s'est bien modernisée depuis les années 1960, mais elle a aussi cédé aux sirènes de la mégalomanie.
Dans ces conditions, excusez-moi, je ne vois pas très bien comment il serait possible aujourd'hui, sauf, encore une fois, pour un petit maraîcher, par exemple, mais ce n'est qu' un cas d'espèce nullement généralisable, de commencer "petit", à moins de posséder d'emblée soit les locaux, soit un capital de départ substantiel.
Pour une fromagerie "fermière" équipée et "aux normes", aujourd'hui, c'est un minimum de 1000 euros par mètre carré qu'il faut compter. J'en parle en connaissance de cause.
Encore une fois c'est une chose de vendre trois asperges et deux concombres, c'en est une autre d'élever et produire véritablement pour gagner sa vie ; mais c'est tout l'objet de mon intervention.
En réalité, cotisation solidaire ou pas, professionnel ou pas, celui qui élève et manipule des oeufs, du lait, des volailles, fabrique et commercialise des fromages est tenu au respect de normes contraignantes, aux frais afférents et ces frais ne sont nullement négligeables.
Les jeunes professionnels, Noémie, à moins d'avoir hérité de l'exploitation de papa et du foncier, cas de loin le plus fréquent, ne parviennent pas pour la plupart sans s'endetter très lourdement à vivre de leur activité. Y parviennent-ils, les sacrifices sont énormes, les abandons, fréquents, et leurs exploitations sont maintenues vivantes à bout de bras à grands coups de primes, d'aides, de subventions, de prêts bonifiés, tout un arsenal d'artifices financiers et comptables qui n'est probablement pas destiné à perdurer dans la crise économique qui s'annonce.
Pour finir, les primes octroyées à l'hectare ont encouragé les plus gros exploitants à phagocyter les plus modestes, érigeant un obstacle solide à l'obtention par les "petits nouveaux" d'une surface exploitable garantissant l'autonomie indispensable à une exploitation viable. Je vous accorde que la pression foncière n'est pas égale partout sur le territoire hexagonal mais en de nombreuses régions elle est considérable.
Par ailleurs, s'agissant de transformation, les normes imposées aux producteurs fermièrs sont, pour nombre de producteurs, rédhibitoires.
Ce n'est pas un hasard si depuis la mise en oeuvre de la PAC le nombre d'unités d'exploitation a connu un phénomène de fonte comparable à celui de nos glaciers de montagne.
Ce n'est pas un hasard si, dans mon petit coin de pays ne résistent que 4 ou 5 coqs de village, de ceux que vous appelez les industriels, sur les 40 fermiers qui vivaient de la terre il y a trente ans, gros exploitants qui ont peu à peu, avec l'appui zélé et enthousiaste des instances nationales et européennes, fini par confisquer la terre à leur profit exclusif et se comportent comme des seigneurs médiévaux jaloux de leurs privilèges, se livrant perpétuellement à une course à la prime en écrasant au passage celui qui, pour survivre, se suffirait de 5 à 6 hectares quand eux en séquestrent 150, 200, 500 ; centaines d'hectares dont ils peuvent tirer jusqu' à 260 euros de DPU par an et par hectare !! ce qui leur assure un confortable revenu indépendamment du volume effectif de leurs ventes propres.
Ce n'est pas un hasard si le profession connaît un taux de suicides record. Je vous invite à vous pencher sur ces chiffres-là, plus qu'éloquents.
Voilà la réalité, Noémie, et je pourrais en dire plus long si l'heure pour moi n'était venue de soigner mes bêtes.