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Conseil de lecture

Envoyé par Michel Le Floch 
21 janvier 2012, 11:11   Conseil de lecture
Le supplément du Monde, Culture et Idées, paraît le vendredi soir. La dernière livraison mérite particulièrement l'attention tant la conception de la culture que se fait le quotidien et la sociologie martelienne s'y étalent avec une sorte de candeur remarquable. On y trouve à côté d'un entretien complaisant, cela va sans dire, avec un rappeur, un certain Mister You, ancien trafiquant de drogues, un reportage extraordinaire sur l'évolution des bibliothèques municipales. Avec enthousiasme, Pascale Kremer, la journaliste, décrit le tournant qui voit les bibliothèques transformées en "cyberlab" à grands renforts de déclarations enthousiastes de communicants et de managers, pilotes pour le compte des municipalités de la grande mutation, qui saluent bien évidemment ce tournant majeur que constitue la néobibliothèque sans livres (ou presque). Le ton des cyberlaborantins, éperdu de lyrisme, est comique à force de millénarisme modernoeuds. Extrait : "Nous touchons un nouveau public jeune, habitué des smartphones, et de l'Ipad, pour qui le bouquin est rébarbatif". A lire et à placer précieusement dans les archives de l'In-nocence.
Le titre de l'article : "Ma médiathèque mute"

PS : Je ne suis pas parvenu à le trouver sur le oueb.
21 janvier 2012, 11:58   Re : Conseil de lecture
Citation
Le Monde Culture et idées

Ma médiathèque mute

Les 4 400 bibliothèques publiques en France sont en perte de vitesse. S'adapter à l'ère numérique est une question de survie

Pascale Krémer

Vraiment trop cher, les livres. Il y a quelques mois, Muriel Barbottin, 64 ans, qui, par tradition familiale, « achetait toujours », a pénétré pour la première fois dans l'immense médiathèque de sa commune, l'Astrolabe de Melun (Seine-et-Marne). Au rez-de-chaussée, pas le moindre ouvrage, de l'espace, beaucoup, et deux tables ovales couvertes de Macintosh dernier cri. Là, elle s'est sentie « un peu perdue ». D'autant que, peu après, on lui proposait d'emprunter une liseuse. « Je surfe sur Internet pour mes recettes de cuisine mais ces tablettes pour lire, je n'en avais jamais vu. » Muriel, à l'usage, a trouvé l'appareil « léger, facile à utiliser pour tourner les pages, revenir en arrière, agréable à la lecture. Quand je suis partie en voyage, c'était parfait, au lieu des trois bouquins qui pèsent une tonne. » Conquise, elle songe à s'acheter sa liseuse. « Mais avec rétro-éclairage, pour mes insomnies. » Et s'imagine, un jour, « repartir en ayant chargé n'importe quel livre de la médiathèque ».

Construite en 2004, l'Astrolabe laisse présager la bibliothèque du futur. Dans ces 5 000 mètres carrés en pleine mutation numérique, l'omniprésence des écrans surprend. Dès l'entrée, « l'informatique est centrale, pour attirer d'autres publics, en faire un lieu innovant, où les usagers sentent qu'ils peuvent être acteurs », a voulu la direction. Au « cyberlab », les adultes viennent retoucher leurs photos, monter leurs films de vacances; les ados changer leur profil Facebook, jouer en réseau, peaufiner un reportage multimédia sur un groupe de rock du coin.

Au premier étage, d'autres ordinateurs pour rédiger son CV, le mettre en ligne, avec de l'aide si nécessaire. Au deuxième, un espace jeunesse, qui ne dépare pas. Aux côtés des livres, des CD-ROM ludoéducatifs, des jeux en réseau, des sites d'aide aux devoirs... Bientôt la Wii sera installée, comme c'est déjà le cas au-dessus, à l'étage des adultes. Là, un studio permet de visionner ou d'écouter CD ou DVD; on vous prête un casque et une place sur le canapé géant. Une grande télévision diffuse les chaînes du monde entier pour la maîtrise des langues. Dans un avenir proche, des logiciels de « serious games » offriront la possibilité de simuler un entretien d'embauche. Et six liseuses sont à disposition - avant l'arrivée des premiers iPad.

La visite ne dévoile pas l'essentiel : le site Internet, plate-forme sophistiquée qui permet de gérer son compte (prêts en cours, réservations), de donner son avis sur tel titre que pourront lire tous ceux qui consultent le catalogue, enrichi, donc, de commentaires, mais aussi de biographies, de bandes-annonces, d'interviews d'auteurs ou de cinéastes...

Grâce au site, le public accède gratuitement à une flopée de services en ligne. La médiathèque dispose même d'une page Facebook pour annoncer ses ateliers, expositions, conférences... ou un changement de moquette. « Histoire de casser notre image, d'avoir l'air moins sérieux, moins institutionnel. De toucher un public autre. Bref, de disséminer la médiathèque », espère son concepteur, Philippe Diaz.

Partout en France, dans les quelque 4 400 bibliothèques et médiathèques publiques, la même révolution numérique est en cours, ou envisagée. Question de survie, ont compris leurs directeurs. Leurs propos sont teintés d'inquiétude. Tous craignent, dans un proche avenir, de voir leurs bibliothèques dépassées, inutiles. La fréquentation connaît du reste une érosion lente mais régulière : 31 % des 15 ans et plus en 1997, 28 % en 2008. Les lecteurs inscrits pour emprunter des livres ? Seulement 14 % des Français. Et ce sont en grande partie des enfants (21 % ont moins de 14 ans).

Avec l'entrée en masse des écrans dans les foyers, dopée par la connexion Internet, la bibliothèque a perdu de son pouvoir d'attraction. Selon la dernière étude de fond du ministère de la culture, en 2009, un jeune passe chez lui deux heures par jour en moyenne sur Internet. Conséquences : la lecture des livres et journaux s'érode, les gros lecteurs reculent, surtout chez les jeunes, les visiteurs réguliers de bibliothèques et médiathèques sont moins nombreux.

D'où un changement de climat en France. A quoi bon investir dans les bibliothèques quand on trouve tout sur Internet ?, confient déjà certains élus. On est loin des années 1980 et 1990, quand, dans le cadre de la décentralisation, chaque maire de ville moyenne, voire petite, voulait sa médiathèque. Il trouvait que c'était l'instrument le plus efficace pour démocratiser la culture, faire en sorte qu'elle s'adresse à tous. C'était aussi un lieu de pouvoir. Eric Rohmer en a fait un film, L'Arbre, le maire et la médiathèque (1993), dans lequel le maire d'un village de Vendée se bat pour obtenir une subvention du ministère de la culture afin de pouvoir doter sa commune de ce lieu culturel. Son but : se faire élire aux élections législatives.

André-Pierre Syren, à la tête de l'Association des directeurs de bibliothèque des grandes villes, ose la question qui fâche : « A quoi sert une bibliothèque quand l'information est partout ? » Jusqu'à il y a dix ans, remarque-t-il, la bibliothèque était, dans la ville, le lieu le plus dense en informations. Ce n'est plus le cas. Evincées par les écrans, les bibliothèques doivent à leur tour proposer des écrans. Il faut redéfinir leur rôle, changer leur image pour que l'usager ait l'idée d'y venir chercher des contenus dématérialisés, déployer un nouveau marketing culturel.

Du reste, les directeurs ne parlent que de « virage » et de « changement d'ère ». « Il y a un rôle d'intermédiation avec le monde numérique à développer. Faire de la guidance, aider à se repérer sur Internet, à découvrir des choses intéressantes que la bibliothèque valide », croit le directeur adjoint du livre et de la lecture au ministère de la culture, Nicolas Georges. L'Etat a créé une commission des bibliothèques numériques et s'est fixé pour objectif qu'en 2015 toutes les villes d'au moins 20 000 habitants puissent proposer ce genre de lieux.

Cette mutation a démarré dans les années 1990, quand sont apparus, entre les linéaires de livres, les premiers postes connectés à Internet. Au milieu des années 2000 naissent les sites Internet de bibliothèques, avec catalogue en ligne, gestion de leur compte par les usagers. Les fonds anciens sont numérisés. Depuis 2010, nouveau palier : les abonnés se voient offrir des services en « streaming », du téléchargement gratuit en toute légalité - livres numériques, BD, livres audio, presse, autoformation (langues, code de la route, informatique, aide aux devoirs), musique et vidéo, jeux vidéo, etc.

Les sites des médiathèques s'enrichissent en contenus. Et l'on commence à mettre à disposition des iPad. A prêter, aussi, des liseuses. C'est même la mode du moment. Depuis une première expérience en 2009 à La Roche-sur-Yon, puis en 2010 à Issy-les-Moulineaux, tout le monde s'y met. La médiathèque du Grand Troyes prête neuf eBooks, en achètera une douzaine de plus cette année. « Il y a une vraie curiosité. Deux mois d'attente. Certains s'inscrivent en bibliothèque juste pour ça. » Le Motif, observatoire du livre en Ile-de-France, vient d'expérimenter le prêt de liseuses dans sept bibliothèques des Yvelines et du Val-d'Oise, avant de faire de même en Seine-Saint-Denis. Paris s'est tout juste doté de vingt-cinq liseuses pour ses bibliothèques.

Il faut accompagner le mouvement vers ces nouvelles manières de lire. Rares sont les occasions de prise en main, pour l'instant, et surtout de lecture d'un ouvrage en entier. « Plutôt que de laisser l'usager découvrir seul ces nouveaux médias, nous gardons le contact avec lui, et, éventuellement, nous touchons un nouveau public jeune, habitué des smartphones et de l'iPad pour qui le bouquin est rébarbatif », espère Pierre Gandil, à la médiathèque du Grand Troyes.

Sa consœur de la médiathèque de Levallois-Perret, Sophie Perrusson, voit l'urgence de lutter contre un « fossé numérique qui se creuse », et surtout d'innover. Levallois n'a pas barguigné. Dix iPad, bientôt, à disposition. Commandes possibles via le site Internet et livraison à domicile en 24 heures des livres, CD et DVD. Tapez sur le site « Aznavour » pour avoir la liste des disques, partitions, livres le concernant à la bibliothèque, ainsi que des articles de presse, livres numériques, films directement consultables en streaming... Sophie Perrusson voit les effets : « Nous gagnons de nouveaux inscrits, notamment des étudiants pour la presse en ligne et toutes les ressources consultables à distance, à n'importe quel moment. »

Pour Sophie Perrusson, il faut au moins cela « pour ne pas disparaître ». Le déclin est-il enrayé ? Trop tôt pour le dire. Car nombre de freins doivent être levés. Réticences des bibliothécaires face à ce monde numérique qui chamboule leur métier, le rend plus technique, les oblige à se former. Faiblesse et coût rédhibitoire de l'offre de livres numériques en France. Encadrement législatif insuffisant : dans quelles conditions acheter ces fichiers et les prêter ? A combien de personnes, sur combien de liseuses ? Nul ne sait. Selon Michel Fauchié, qui préside l'Association pour le développement des documents numériques en bibliothèque, « le paysage du livre numérique n'est pas très favorable aux bibliothèques. Pour l'instant, il est difficile d'offrir un service fiable et correct. On ne trouve qu'un livre sur cinq en numérique. »

Mieux vaut, en attendant, produire ses propres contenus. « Les sites Web, anticipe M. Fauchié,deviendront des plates-formes communes aux bibliothèques, libraires, lecteurs, avec une production éditoriale créant de la valeur autour du livre. » Le ministère de la culture tente déjà d'inciter bibliothèques et librairies à collaborer sur le livre numérique afin d'éviter que le marché ne leur échappe. Pas de concurrence à craindre : les mêmes gros lecteurs (statistiquement, des femmes) empruntent et achètent à la fois.

André-Pierre Syren va plus loin : « Pour se dynamiser, une bibliothèque doit construire une offre spécifique sur la Toile : être en synergie avec la création locale, diffuser de jeunes groupes de musique, être à l'écoute du public défavorisé, des élèves et des étudiants, valoriser nos fonds, faire connaître les événements culturels que nous organisons auprès de ceux qui ne savent même pas que nous existons. » Bref, la bibliothèque, naguère dépôt de médias, devient elle-même un média. A Metz, la médiathèque a lancé un blog sur la création du cru et un journal tabloïd diffusé à 50 000 exemplaires. Toulouse podcaste ses conférences. A Lyon, on peut lire une mise en perspective hebdomadaire de l'actualité sur le site de la bibliothèque municipale.

Le coeur de l'activité de la BPI (bibliothèque de Beaubourg), à Paris, sera bientôt de traiter l'actualité du monde, à en croire son directeur, Patrick Bazin, qui entend, via un Web magazine, « fournir des contenus sur des sujets, pour les contextualiser ». Plus tard, il sera sans doute question d'une agence de presse des bibliothèques, susceptible de fournir en contenu les sites des collègues. S'il parvient à convaincre ses bibliothécaires de se transformer, un peu, en journalistes.


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Utilisateur anonyme
21 janvier 2012, 12:43   Re : Conseil de lecture
« Plutôt que de laisser l'usager découvrir seul ces nouveaux médias, nous gardons le contact avec lui, et, éventuellement, nous touchons un nouveau public jeune, habitué des smartphones et de l'iPad pour qui le bouquin est rébarbatif », espère Pierre Gandil, à la médiathèque du Grand Troyes.

Pour ce « nouveau public jeune », le bouquin est moins rébarbatif qu'inabordable, car insupportable. On ne peut lire un livre, c'est-à-dire traverser et tourner patiemment page après page, prendre le large dans le silence que suppose l'expérience littéraire, avec un talkie-walkie greffé sur l'oreille. L'ordinateur, l'iPad, l'iPhone, l'iBidule, permettent, grâce à la magie du nouvel onglet, du multi-task, de l'exécution parallèle, le libre exercice d'une versatilité privilégiant la curiosité à la concentration, les sautes d'humeur à la constance, l'aliénation maniaque à la quiétude du recueillement, le babil du groupe à la solitaire majesté de la langue. En se soumettant à l'air du temps, on encourage l'hyperactivité, le bruit, l'agitation perpétuelle de comportements psychotiques. Excusez-moi de me citer, mais l'on a préféré me railler que discuter la mesure que j'ai proposée. Comment diable contrer ces pratiques addictives, réapprendre aux jeunes à se concentrer, à se défaire de temps à autre de la tyrannie du groupe ?
21 janvier 2012, 13:39   Re : Conseil de lecture
Vraiment trop cher, les livres.

Quelle bêtise... Quiconque cherche des livres à bon marché, et d'occasion, les trouve très aisément (n'importe quel roman de Balzac à un ou deux euros). Encore faut-il vouloir vraiment lire.
21 janvier 2012, 13:40   Re : Conseil de lecture
Les livres ont toujours existé, du temps de nos générations et des générations de nos parents et grand-parents; la dissipation aussi. Ceux et celles qui aiment lire étaient, sont et resteront toujours une minorité, une frange marginale dans une population d'individus; avant que n'advienne l'ère des doudous électroniques et des psychotropes récréatifs existaient d'autres formes de dissipation (le sport pratiqué n'importe comment, le sexe, la bagarre, les sorties alcoolisées, mille comportements à risque et à poussées d'adrénaline, la broderie pour les filles, etc.) qui tenaient les individus "normaux" loin des livres. Quand j'étais jeune, il n'existait pas de doudous électroniques, la lecture n'en était pas moins une occupation de freak.

Le goût de la lecture ne s'induit pas, il découle d'une curiosité naturelle, d'un penchant inné, oui, inné, indépendant du "milieu", du "bagage des parents", etc. Et c'est tant mieux !

Le goût pour la lecture, pour l'ennui, etc. est le signe d'une inadaptation supérieure qui n'est nullement à encourager. Ce goût n'est qu'un signe (de caractère, d'un avenir possible, etc.) et n'est point une arme, ni un "outil" ni rien d'utilitaire qu'il conviendrait de promouvoir dans les populations.
Utilisateur anonyme
21 janvier 2012, 15:26   Confiteor !
Cher Francis, je vous suis. Il est vrai que la lecture est dangereuse et ne saurait se partager, s'étendre, se promouvoir. Les lecteurs resteront en effet une minorité — c'est une pratique qui dépend des caractères (« signe d'une inadaptation supérieure », dites-vous), mais non des modes.

Je pense néanmoins que certaines natures talentueuses pourraient être gâchées, du moins détournées, perverties, par l'attrait que suscitent lesdites techniques de dissipation, ces iBidules. Mais l'intelligence, sans doute, sait résister aux sombres délices de l'abrutissement et ne pas trop se gaspiller. Chacun se divertit selon son degré d'intelligence, et la lecture divertit l'un lorsqu'elle ennuie l'autre. Ces différences naturelles sont insurmontables, ce qui justifie votre réalisme, pour ne pas dire votre cynisme, qui n'est en somme que l'expression d'un constat, celui d'un élitisme de fait, inflexible et sourd aux naïfs sermons des hyper-démocrates.
Utilisateur anonyme
21 janvier 2012, 17:41   Re : Conseil de lecture
Autre exemple où la dissipation que vous évoquez envahit le livre et la lecture dans un fourre-tout, [www.decitre.org].
21 janvier 2012, 18:16   Re : Confiteor !
Les "natures talentueuses" se nourrissent de tout, ibidule peut leur ouvrir l'accès aux livres si les livres les attirent. Pour ces natures, il n'est point d'empêchement à trouver la matière dont leur voie à besoin. Comme aux grands cancres, aux infirmes du QI, l'éducation ne sert de rien aux "natures talentueuses" et il n'est pour elles aucune instruction dirigée possible.

La lecture de livres ne conduit nulle part (on s'informe mieux aujourd'hui par les moyens audiovisuels), nulle part ailleurs qu'à soi, et ceux qui aiment lire ne savent pas dire pourquoi. Dans le meilleur des cas, la lecture, forme déjà marginale d'occupation de l'esprit et de construction de soi, conduit à une autre marginalité: l'écriture, autre grand cul-de-sac, voie de garage de l'existence.
Utilisateur anonyme
21 janvier 2012, 19:11   Re : Confiteor !
Holzwege, peut-être, eût dit un grand lecteur — quoique écrivain laborieux —, mais wegen, surtout, chemins. Toute voie est un leurre, la fin n'étant jamais vraiment distincte de la recherche de la fin... L'art pour l'art, marcher pour marcher, errer sans autre but que d'errer, à la recherche d'un détail, d'un ressenti, d'une expérience nouvelle, c'est cela que l'on recherche dans la lecture, par delà le souci de vérité, qui n'est lui-même qu'un leurre, vous ne me contredirez pas, cher M. Marche...
21 janvier 2012, 19:20   Re : Conseil de lecture
La plupart des bibliothèques de France, qu'elles soient municipales ou même universitaires, ne sont pas des bibliothèques au sens ancien et juste de ce terme, tel qu'on l'entendait encore au XIXe siècle (collections de livres, revues, publications qui couvrent la totalité d'une époque ou d'un art ou d'un domaine donné), mais des "cabinets de lecture" - ce qui en soi n'est pas infamant, c'est-à-dire des lieux, non pas de connaissance ou d'érudition, .mais où l'on peut emprunter des livres - souvent des "bouquins" se rapportant à l'actualité ou censés divertir des lecteurs... Il en faut, puisque le besoin existe. Que ces cabinets de lecture se transforment peu à peu en médiathèques où des abonnés pourront emprunter des DVD ou avoir accès au net est dans l'ordre des choses. Cela ne porte guère à conséquence, si les bibliothèques subsistent et qu'elles s'enrichissent régulièrement, tout en restant des bibliothèques au sens ancien du terme. Et qu'au journal Le Monde l'on confonde les bibliothèques et les cabinets de lecture et les médiathèques (tout ça dans le même sac conformément à la grande loi de l'indifférenciation généralisée, variante de "tout se vaut") n'étonne pas ceux qui ne le lisent plus depuis trois décennies - c'est ce qu'est devenu ce journal (cf. ce qui a été écrit dans ce forum et en termes très pertinents de la redéfinition de la culture assimilée à l'industrie du spectacle ou du loisir de masse).
22 janvier 2012, 10:45   Re : Conseil de lecture
Dans son enthousiasme cette journaliste à la plume bien maladroite et pataude oublie une chose. Rien ne connaît l'obsolescence aussi vite que nos machines contemporaines. A vouloir suivre la course à la technologie, ces petites institutions locales aux ressources limitées se trouveront bien vite dans une impasse : lors de sa visite la journaliste fut éblouie par la modernité de l'équipement. Elle oublie de dire que cette modernité n'a une durée de vie que d'une année à peu près. On ne peut attirer ces "nouveaux publics" qu'à la condition de satisfaire son besoin sans cesse rouvert de nouveauté, d'innovation, de gadget et changement.
Un livre est moins rébarbatif qu'une ordinateur trop ancien, pour qui aime lire. Un certain nombre de livres ne se démodent tout simplement pas, ne cesse pas d'être utilisables, compatibles et attractifs. S'il existe bel et bien des livres dont l'intérêt est lié à l'air du temps et qui deviennent donc plus ou moins obsolètes passée l'actualité dont ils sont le symptôme, les classiques, les livres d'histoire, les biographies, les bons romans, la poésie, le théâtre, beaucoup d'essais méritent d'être conservés et le sont jusqu'à présent.
Que feront-ils des équipements informatiques (ipads, ordinateurs, wii, liseuses...) qui seront devenus trop anciens ? Seront-ils envoyés en Afrique ou dans d'autre partie du monde frappée par la pauvreté ? Pire : en cas de coupure de courant, ces établissements sont des espaces devenus inutiles.
22 janvier 2012, 11:00   Re : Conseil de lecture
Autre incohérence : ces cybermédiathèques devraient attirer les jeunes. Or, il est dit que ce sont les moins de 14 ans qui forment le gros des troupes en matière de fréquentation des bibliothèques.
Ce ne serait donc pas le jeune âge qui serait un frein à la lecture du livre papier...
22 janvier 2012, 11:10   Re : Conseil de lecture
Autrefois, les ordinateurs étaient des appâts pour attirer les jeunes générations dans ces lieux où étaient les livres, afin de les conduire à emprunter des livres. Ils étaient un moyen, les livres la fin. Désormais, comme souvent dans notre modernité, le moyen a remplacé la fin. On les fait venir pour les ordinateurs. En bonne logique, on a donc supprimé les livres. C'est un schéma qui se reproduit sans cesse : on fait faire des concessions en invoquant une mesure stratégique et en assurant du maintien de la fin, et une fois la mesure adoptée elle devient la nouvelle fin de toute l'entreprise...
22 janvier 2012, 13:46   Re : Conseil de lecture
A propos des "Conseils de lecture"...


N'y a-t-il pas, en France, un problème d'élitisme quant à la lecture ?

Prenons un exemple.

On m'a dit que, tant que je n'avais pas lu Celan, je n'avais rien lu.

J'ai lu Celan, je n'ai pas trouvé cela renversant. On m'a expliqué qu'il fallait que je trouve Celan important, que nier cela était une sorte de blasphème.
22 janvier 2012, 14:09   Re : Conseil de lecture
Figurez-vous, cher Jean-Marc, que j'ai eu avec La Princesse de Clèves le même sentiment que vous avec Celan, tant et si bien que la petite phrase du président de la République à l'égard de ce roman ne m'a pas paru une hérésie digne du bûcher médiatique qu'il a subi en conséquence. J'ai même trouvé suprêmement comique le spectacle de tant de gens qui se révélaient subitement, ô surprise, des La Fayettistes de toujours, et qui saisissaient là l'occasion d'expliquer doctement les séductions de l'ouvrage, et de déclarer privée de goût et de jugement toutes les personnes qui ne s'en étaient jamais délectées, et perdue pour l'humanité celles qui ne se rendaient dès lors pas à l'évidence de la puissante réalité de ces charmes grâce à leur médiation aussi lumineuse que charitable...
22 janvier 2012, 14:09   Re : Conseil de lecture
Mais oui, c'est exactement ça : notre problème, c'est que nous sommes beaucoup trop élitistes. Eurêka, Jean-Marc a trouvé !
22 janvier 2012, 14:31   Re : Conseil de lecture
C'est probablement une partie du problème : au lieu de donner des bases solides aux élèves, on cherche l'oiseau rare, l'auteur difficile, et là on est content.


Pour prendre l'exemple de William, il n'est pas stupide de dire que le XVIIème c'est Molière, Racine, Corneille et La Fontaine, plus que la comtesse de La Fayette.
22 janvier 2012, 14:41   Re : Conseil de lecture
J'en profite pour dire que le Salon du livre ancien de Toulouse aura lieu les 17 et 18 Mars à la Médiathèque José Cabanis, espace Vanel (avec vue imprenable sur la Ville Rose). Ce n'est pas organisé par la Municipalité (Dieu merci) mais par une association de libraires.
22 janvier 2012, 14:55   Re : Conseil de lecture
Nous nous y retrouverons peut-être, Marc.

Mais au fait, José, est-ce bien français ? il est vrai que nous pouvons compter sur Josée de Chambrun, née Laval, qui épousa d'ailleurs un descendant de La Fayette (du marquis, pas de la romancière, je m'embrouille).
22 janvier 2012, 15:02   Re : Conseil de lecture
Le prénom de José n'est pas rare dans le midi. Du coup je recommande l'œuvre de José Cabanis, ses romans, bien sûr mais aussi ses livres sur Chateaubriand et Saint-Simon.
22 janvier 2012, 15:11   Re : Conseil de lecture
Mais le Midi, est-ce bien la France, finalement ? ne serions-nous pas, nous méridionaux, mâtinés de Dieu sait quoi, des métèques en quelque sorte ? il me semble avoir lu quelque part que l’ADN nous rapprochait davantage des Berbères que des paysans normands…
Utilisateur anonyme
22 janvier 2012, 15:12   Re : Conseil de lecture
(Message supprimé à la demande de son auteur)
22 janvier 2012, 15:22   Re : Conseil de lecture
Ha, l'Eternel retour...


Je crois d'ailleurs que Jean Marais avait été blondi pour l'occasion, afin sans doute de faire plus français... c'était à la mode, la blondeur, à cette époque, ça ne faisait pas moricaud du sud... il est dommage que Delannoy n'ait pas saisi l'occasion pour tourner "Wotan en emporte le vent".

Et puis, l'Eternel retour, quel beau titre...
Utilisateur anonyme
22 janvier 2012, 15:27   Re : Conseil de lecture
(Message supprimé à la demande de son auteur)
22 janvier 2012, 15:34   Re : Conseil de lecture
Du Même ?
Utilisateur anonyme
22 janvier 2012, 16:12   Re : Conseil de lecture
(Message supprimé à la demande de son auteur)
22 janvier 2012, 22:46   Re : Conseil de lecture
"Nous nous y retrouverons peut-être, Marc."

Comme d'habitude, depuis vingt ans, j'y serai à la première heure le samedi matin.
23 janvier 2012, 19:38   Re : Conseil de lecture
Trop élitistes...


Peut-être, Marcel, peut-être...

Permettez-moi cependant de considérer qu'il n'est pas forcément nécessaire de rechercher des auteurs incompréhensibles et imbitables (mot courant pour dire "difficiles"). Il y a des degrés.

Permettez-moi de considérer qu'on a une vue plus pertinente de la poésie française si on s'intéresse à Péguy plus qu'à Roussel et à Bonnefoy plus qu'à Celan, pour prendre des auteurs de deux générations.
Utilisateur anonyme
26 janvier 2012, 04:04   Re : Conseil de lecture
Au sein d'un forum où il est question de lecture, quel étonnement de trouver des fautes dans les messages. Le PI doit sévir.

Ceci étant dit, filons aux choses.
Lors d'une visite dans la succursale de la Fédération Nationale d'Achat des Cadres la plus proche de chez moi, j'ai été témoin d'une bien triste scène dont la narration me serre le cœur.
Par parenthèse, ces magasins m'apparaissent comme l'équivalent direct des médiathèques dont il est question ici. En fait, quelqu'un qui voudrait en équiper une peut faire là tous ses achats.

Donc, devant moi dans la file d'attente d'une caisse parlait un vieil homme avec une caissière (pardon, il faut dire hôtesse de caisse). L'objet longuement en question était la liseuse que vend cette chaîne de magasins, dont l'appellation évoque à la fois quelque chose de japonais et le nom d'un personnage d'un film d'animation de Pixar, bref, un truc bien abstrait dont on peut faire son ami et que l'on peut désigner par son petit nom.
Visiblement, l'homme avait du mal. Il fallait qu'il revienne le lendemain pour qu'un technicien règle l'engin, on prenait rendez-vous. Il m'avait l'air dépassé, un peu perdu. Il m'a fait de la peine.
Que quelqu'un qui a passé soixante-dix ans de sa vie à lire sur du papier se sente obliger de commencer à lire dans du plastique parce que la chose est possible m'a fait douter des vertus de la vieillesse et de la sagesse qu'on prétend qu'elle confère. Encore une victime de la réclame. Et du coup, certainement à son corps défendant, il est un Ami du Désastre, enfin, au moins un collabo.
Derrière moi se trouvait un autre homme, plus jeune, à la main la boîte qui contient la liseuse. Que lui, dans la force de l'âge, en plein dans son époque, jette son dévolu sur la dernière nouveauté de la civilisation mécanique se comprend. Mais qu'un vieillard qui a connu un monde où il n'y avait rien de tout cela s'y précipite me dépasse.

Allô maman kobo.
26 janvier 2012, 11:54   Re : Conseil de lecture
Jean-Michel, je connais un couple âgé qui a retrouvé, grâce à deux liseuses, le plaisir de la lecture.

C'est un engin très adapté pour ces personnes, car le confort de lecture est remarquable.
Utilisateur anonyme
26 janvier 2012, 13:24   Re : Conseil de lecture
Alors dans ce cas...

Mais vous reconnaitrez, Jean-Marc, que d'une part, la publicité pour les liseuses vise toutes les générations, et que d'autre part les gens dont vous parlez étaient déjà venus au livre par l'objet, par le livre lui-même. Ce sont donc des textes qu'ils retrouvent. Pensez-vous pour autant que l'on puisse amener au livre tous les jeunes gens qui pourraient l'être par le biais de ces liseuses ?
Et puis, comme le disait Frédéric Beigbeder à Répliques, des maisons, des pièces sans livres, ce n'est plus humain !
26 janvier 2012, 14:55   Re : Conseil de lecture
Ah ben oui mais s'il faut se référer à l'avis de M. Beigbeder, alors...
26 janvier 2012, 15:51   Re : Conseil de lecture
Vous nous parliez de personnes âgées dont le comportement vous "dépassait", je crains fort qu'une file in-interrompue ne se présente à votre gauche. Voyez plutôt.

[www.pcinpact.com]
Utilisateur anonyme
26 janvier 2012, 17:27   Re : Conseil de lecture
Donc, les jeunes qui ne lisent déjà pas ne liront pas plus avec les liseuses et donc, leur invention n'est pas un progrès.
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