Quel opéra chinois? L'opéra de Pékin? Oui, sans doute. Parce qu'il y a des lustres qu'il fut enterré par une certaine Mme Mao pour des raisons sur lesquelles il est préférable de ne pas épiloguer ici.
Mais tous les autres. Presque chaque province, campagne chinoise, a son opéra, ses codes opératiques, ses modes de représentations. Celui de Shanghaï, différent de ce que l'on peut montrer dans les campagnes du Zhejian à 600 km de là et ô combien étranger à l'opéra cantonnais, qui triomphe sur un territoire grand comme l'Europe des 12. Je me souviens de certaines troupes, certaines venues du Continent, dont les artistes que j'admirais comme un gosse et que je venais féliciter en balbutiant leur langue dans ce qui pouvait leur servir de "loge" (des tréteaux bâchés), étaient de toute beauté, d'une beauté irréelle, et d'une belle et totale rigueur, celles d'artistes pauvres, exigeants, légers et gais, inaccessibles de gaité et d'adresse : ils vous touchaient et vous étaient inaccessibles. Ils posaient leur main de gymnaste sur votre bras en riant et en vous remerciant de votre venue et vous ne sentiez aucune main vous toucher; seuls leurs yeux, mobiles et expressifs, roulants, n'étaient ni rose vif, ni bleu de ciel; ils étaient le dernier élément humain et battaient comme des coeurs.
Ces artistes se produisaient des journées entières - les représentations duraient la journée, littéralement, du milieu de la matinée au lever de lune, dans des villages,
sans une minute d'entr'acte; dans ces gros bourgs sans importance d'un sub-territoire insulaire de Hong Kong, pour les familles distraites, fascinées, bruyantes, indifférentes, pour la foule villageoise de la Chine de toujours, l'opéra, c'était l'air qu'on respire, la mer où l'on vogue, le champ que l'on cultive ou que l'on abandonne, le sel indifférent des choses.
Que cela puisse disparaître en si peu de temps, j'en doute.