C'est dans ce type d'article, me semble-t-il, que l'on trouve l'angle d'approche le plus juste de ce qu'est la vie politique chinoise et le fonctionnement des mentalités dans ce pays. La diplomatie française, qui possède l'art et la manière de se prendre les pieds dans les tapis, de se fourrer les doigts dans les mauvais engrenages, vient d'alimenter tous les travers les plus détestables de ce fonctionnement. La "Chine éternelle", vous l'avez ci-dessous, présentée et expliquée en quelques paragraphes, par un journaliste du Figaro, dont le journal publie l'article aujourd'hui:
C'est la rengaine dans toutes les ambassades de Pékin : dès la fin des JO, la France sera balayée hors de Chine. Dans les milieux intellectuels, on s'en désole parfois : Les intellectuels aiment la France et la connaissent, ils ne sont pas dupes des manœuvres actuelles», explique Zhao Guo-jun, qui dirige une ONG rassemblant des avocats.
Des «manœuvres» ? Dans les cercles politiques, on n'en doute pas : «La gaffe de Sarkozy, de lier sa présence aux JO à la question du Tibet, a été exploitée à fond par le clan conservateur du Parti communiste chinois (PCC). La France a ensuite commis des erreurs en envoyant ici des émissaires, c'est-à-dire en s'excusant, votre président passe ici pour être un provocateur imprévisible, un homme de peu d'expérience. Même George Bush n'a pas fait ces gaffes», explique poliment un haut fonctionnaire du Conseil des affaires d'État (l'équivalent du gouvernement), à Pékin. Il suffit de parcourir quelques provinces chinoises pour comprendre l'étendue des dégâts entre les deux pays. L'incompréhension entre les deux opinions publiques est totale. Autant, pour le public français, la cohorte des policiers chinois entourant la flamme à Paris et le geste de ce policier chinois l'éteignant dans les mains de David Douillet a rejeté la Chine dans le club des États obscurantistes, autant les Chinois ont été indignés par les images de violence entourant le passage de la flamme dans la capitale française. La nomination du dalaï-lama comme «citoyen d'honneur» par Bertrand Delanoë a été vue comme la trahison de trop : dans l'esprit des Chinois, pour lesquels un maire de capitale ne peut appartenir qu'au parti du chef de l'État, c'est Nicolas Sarkozy qui a souffleté la Chine.
Les images diffusées en Chine sur ce passage de la flamme à Paris ont été soigneusement sélectionnées, entre une Chinoise handicapée agressée par un manifestant tibétain et le portrait du dalaï-lama accroché sur le fronton de l'Hôtel de ville. Le résultat ne s'est pas fait attendre : le patriotisme chinois s'est violemment tourné contre la France. «Cette violence à Paris a été ressentie ici comme une réaction antichinoise. Les Français semblaient dire : “Vous ne méritez pas les JO.” Cela a été une humiliation nationale» , explique Andrée, une Française qui vit depuis trente ans à Canton. «C'est comme si on m'avait jeté un seau d'eau glacé sur la tête», dit Hua, une étudiante qui apprenait le français. «J'ai immédiatement arrêté d'apprendre cette langue.» Li, une traductrice qui travaille pour des journalistes français, raconte que dans la rue, les gens l'insultent lorsqu'elle accompagne une équipe de la TV française : «Ils me crient : Traître !».
Lin Fang, le jeune animateur du site Alliance des patriotes, explique : «Les Chinois voulaient que la flamme défile dans la joie, et le gouvernement de France a affiché un soutien à des sécessionnistes. La France a un double langage : lorsqu'il y a des émeutes en France, son gouvernement est très dur. Mais lorsque cela se passe en Chine, les émeutiers sont des héros. Les médias ont donné de fausses informations.»
Complot international
Dans un pays comme la Chine où l'information est étroitement tenue en laisse, cette diabolisation de la France n'est pas neutre. Selon plusieurs interlocuteurs chinois, elle est le fruit d'un bras de fer subtil entre les conservateurs du PCC, majoritaires, qui cherchent toutes les occasions pour attiser un chauvinisme antioccidental, et des «libéraux» du PCC, qui souhaiteraient profiter des JO pour relâcher la censure. Le contrôle de l'information est le terrain de cette bataille. Ainsi, juste après le terrible tremblement de terre qui a ravagé le Sichuan, les médias ont reçu l'ordre impératif de ne pas en souffler un mot. Deux heures plus tard, contrordre : il fallait tout dire !
La manipulation de l'opinion, après la lourde faute diplomatique française, cadre bien avec cette lutte d'influence au sein du PCC. D'autant que depuis mars, l'ambassade de Chine en France, réputée animée par des ultraconservateurs, n'a pas cessé de verser de l'huile sur le feu, afin que Nicolas Sarkozy soit définitivement déconsidéré à Pékin.
Les clans du PCC se querellent aussi sur l'économie. La Chine a déjà perdu des fortunes (370 milliards de dollars) dans la crise américaine des subprime, alors que 30 000 entreprises viennent de faire faillite à la suite du ralentissement de l'économie mondiale. «Les conservateurs estiment que c'est un complot international pour ruiner la Chine, et que notre pays s'est beaucoup trop ouvert au monde», explique un économiste du Conseil des affaires d'État. Il ajoute : «Les plus libéraux expliquent que l'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, et que c'est le bon moment pour acheter des entreprises étrangères. Enfin, la tendance générale est à moins dépendre des investissements étrangers.» L'appréciation du yuan par rapport au dollar (+ 8 % cette année) devrait donc être stoppée. Car la montée du chômage pourrait entraver les réformes, alors que le gouvernement doit créer entre quinze et vingt millions d'emplois par an pour que la situation sociale n'empire pas. S'il faut punir la France pour calmer les communistes conservateurs et ainsi pouvoir mener les réformes indispensables, ce n'est pas cher payé…