Sévère ? Je ne sais pas. J'espère que non. Je pense que réduire la pensée de Finkielkraut à quelques prises de position publiques (ce n'est pas le contenu de ses positions qui importe, selon moi, ni même la forme qu'il leur donne, mais le fait qu'AF s'efforce toujours de revenir au réel, aux faits, aux choses, malgré les discours tout faits), assez rares à dire vrai (après tout, c'est lui qui est invité sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, il ne sollicite pas d'invitation), ou la réduire à une amplification des thèses d'Arendt, oubliant Péguy, Heidegger, les romanciers de l'Europe centrale et sa propre pensée, c'est le rabaisser. Si ses prises de position étaient allées dans le "bon" sens - celui du Monde -, il aurait été couvert de lauriers; on l'aurait dit vigilant ou "engagé", et non pas qualifié de "missionnaire" ou "d'imprécateur". L'émission qu'il anime le samedi matin est l'une des rares que l'on écoute sans ennui et sans le sentiment de déroger : ce que j'admire le plus chez lui, c'est le soin avec lequel il lit les livres de ses invités - ce que les journalistes ne font pas. Ce dont je suis persuadé (peut-être à tort), ayant longtemps lu Le Monde quotidiennement, c'est qu'il n'y a pas d'article gratuit dans ce journal : tout est pesé ou calculé, rien ne doit être laissé sans but à atteindre. Malgré toutes les campagnes calomnieuses dont il est la cible, AF conserve du crédit, même chez les lecteurs du Monde, à gauche et parmi les "enseignants". Plutôt que de l'attaquer de front, on le rabaisse ou on limite la portée de sa pensée. "Imprécateur", c'est Savonarole ou les gardiens du dogme. "Missionnaire laïque", c'est Combe ou les civilisateurs par la colonisation.