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Télérama résiste

Envoyé par Louis Piron 
15 juillet 2012, 18:06   Télérama résiste
Sur le pont, en Avignon | Le collectif d'artistes KompleXKapharnaüM fête à sa manière le 100e anniversaire de la naissance de Jean Vilar, janséniste indépassable du théâtre français et inventeur du festival.

« Il y a un autre travail, unique, dont Vilar fut l'initiateur : le travail avec et sur le public. Son but fut de « le satisfaire sans le flatter » afin de procurer « le plaisir douloureux de l'intelligence et du cœur ». Il a initié des rencontres, à l'époque inédites, entre les comédiens et les spectateurs au Verger d'Urbain V, à Avignon, a suscité la constitution des CEMéA, encore aujourd'hui actives, a accompagné le Comité des amis du Théâtre populaire, a parlé, débattu, facilité les dialogues. Vilar a instauré la réciprocité de l'échange. Il a formé le célèbre vœu du « théâtre, service public » comme le gaz ou l'électricité. Sans cesse il a pensé et œuvré démocratiquement pour « le peuple » et « la nation ».

Tout pour les mots, tout pour l'acteur, voilà sa profession de foi. Il intentait ainsi le procès du théâtre de loisir ou du théâtre spectaculaire. Austère, Vilar a érigé le plateau nu dont Copeau, dès les années 1920, faisait l'éloge. Gérard Philipe s'y avançait d'une démarche traînante — Claude Régy s'en souvient encore — et les mots y résonnaient pleinement. Vilar, qui n'aimait pas Racine et préférait Corneille, reste le janséniste indépassable du théâtre français. Sur la scène ponctuée d'accessoires épars, la nuit avignonnaise reprise à Chaillot enveloppe les comédiens et permet au verbe de rayonner face à un public emporté par les pouvoirs du théâtre ; ce lieu où l'esprit prend corps, où le vent accompagne les paroles, où l'homme se dresse héroïquement face au destin.

Il y avait du de Gaulle chez Vilar, on s'accorde là-dessus. Et comme lui, il tombera lors de l'avènement d'une autre génération, d'un autre discours... en 1968. Le courant de l'histoire les emportera sans effacer leurs traces. La légende vilarienne est intacte et ressuscite, chaque été, à Avignon ; à Chaillot, on trouve à l'entrée la statue du « régisseur » assis à califourchon sur une chaise...

A l'heure de son centenaire, quand les rancunes se sont tues, les attaques oubliées, Vilar reste le repère indispensable du théâtre français. Le saluer, c'est, d'une certaine manière, résister. [Fin de l'article] »

(À Avignon, KompleXKapharnaüM rend un hommage décalé à Jean Vilar, Télérama)


Une simple question à l'intention des chers In-nocents : que signifie "résister", ici, dans sa forme verbale intransitive ?



15 juillet 2012, 18:16   Re : Télérama résiste
Résister à quoi ?
15 juillet 2012, 18:18   Re : Télérama résiste
C'est bien là ma question...
15 juillet 2012, 18:24   Re : Télérama résiste
Télérama, la culture, la propagande, ça commence à sentir mauvais. Jean Vilar janséniste, n'importe quoi ! Je crois qu'il faut libérer le théâtre de tous ces donneurs de leçons et des acteurs incapables d'incarner des personnages, des acteurs qui ne font que jouer aux acteurs.
15 juillet 2012, 18:53   Re : Télérama résiste
Le Festival d'Avignon fait partie de ces événements culturels qui accompagnent, voire activent, la déréalisation de l'époque. Il n'y a en effet pas plus de théâtre là-bas que de jazz au Festival de...jazz de Nice. Le rallye Dakar (anciennement Paris-Dakar), aussi, relève de la mystification, l'épreuve se courant désormais en Amérique du Sud.

Quant au "résister" en question, peut-être illustre-t-il l'intransitivité de l'époque repérée par Philippe Muray, une époque dépourvue de référent, de complément d'objet. C'est le triomphe de la parole vide, dont les mots ne renvoient à rien.

En ces temps de prolifération festivalière, il faut écouter France Culture: les propos qu'y tiennent organisateurs d'événements et artistes évaporés ne veulent strictement rien dire.
15 juillet 2012, 19:50   Re : Télérama résiste
Ah ces acteurs qui s'avancent vers un mur ! Et le mur est mur, et le personnage est femme qui marche avec ses jambes, et quand elle se tourne nous voyons son dos car son dos est dos. Car il faut savoir ce que c'est qu'un dos dans la cour du Palais des Papes ! Continuer à faire se déplacer la foule pour aller voir ça, voilà un acte de résistance inouï.
15 juillet 2012, 19:51   Re : Télérama résiste
D'un autre côté, si leur hommage est décalé, on ne peut plus rien leur reprocher, à ces braves gens.
16 juillet 2012, 00:07   Re : Télérama résiste
Il existe un petit texte en prose merveilleux ("mirifique" comme l'on dit dans les brochures du festival d'Aix) de Paul Verlaine sur le Résistant, dans ses oeuvres posthumes. Impossible de le retrouver ce soir. Le "résistant" de Paul Verlaine est un oiseau captif, dans une famille dont la femme est lavandière et l'homme tirailleur. L'oiseau choisit un jour de mourir en allant chier copieusement et successivement dans les bassines où blanchit le linge de la femme. Il périt fusillé, debout, le regard droit dans la bouche du calibre de l'homme qui l'exécute ainsi. Chaque protagoniste de cette courte histoire se montre en profond agrément avec les deux autres sur l'issue à donner à ce drame. La résistance, c'est d'abord et avant tout cela: être en accord profond avec son bourreau et le regarder droit dans les yeux, le fusiller du regard quand lui a besoin d'un flingue pour vous fusiller. La résistance exclut le roman. Il n'y a strictement rien à dire, rien à broder sur l'acte de résistance.
19 juillet 2012, 17:44   Re : Télérama résiste
J'ai beau lire et relire, dans les brumes de mon cerveau de vacancier atrophié, je ne saisis pas du tout ce que janséniste veut dire, et encore moins janséniste indépassable. A moins qu'il soit fait allusion aux ravages causés par le jansénisme paroissial du XVIII°s en France : la carte de la déchristianisation française, m'a-t-on dit, coïncide parfaitement avec celle des diocèses jansénistes. Le théâtre villardien serait donc peut-être le vaccin radical contre tout théâtre, comme le jansénisme français détourna à jamais notre peuple de la foi catholique.
19 juillet 2012, 18:27   Re : Télérama résiste
Il y a dans La Voie lactée de Bunuel, un passage très drôle où deux hommes se battent en duel (incarnés par Jean Piat et Laurent Terzieff) tout en discutant de la grâce. Nous avons là un condensé de la question du Jansénisme et cela n'a rien à voir avec Jean Vilar, Robert Bresson (lui aussi qualifié de janséniste), les convulsionnaires du XVIIIe siècle. Enfin le Jansénisme et Port Royal sont deux choses différentes mais les amalgames ont la vie dure.
Utilisateur anonyme
19 juillet 2012, 19:04   Re : Télérama résiste
Citation
Henri Bès
J'ai beau lire et relire, dans les brumes de mon cerveau de vacancier atrophié, je ne saisis pas du tout ce que janséniste veut dire, et encore moins janséniste indépassable. A moins qu'il soit fait allusion aux ravages causés par le jansénisme paroissial du XVIII°s en France : la carte de la déchristianisation française, m'a-t-on dit, coïncide parfaitement avec celle des diocèses jansénistes. Le théâtre villardien serait donc peut-être le vaccin radical contre tout théâtre, comme le jansénisme français détourna à jamais notre peuple de la foi catholique.

En parfait accord avec vous.

Début juillet je me suis rendu à Port-Royal des champs avec mon fils afin de lui montrer les portraits de ceux qui ont fait tant de mal à la foi en France et à la France. Même si l'endroit fut un lieu de vraie spiritualité.

Il y avait autrefois un musée privé et un musée géré par l'Etat. L'Etat a tout récupéré par donation, sauf le masque mortuaire de la mère Angélique.

La jeune fille qui servait de guide m' a avoué ne pas connaître grand chose au sujet et semblait avoir été rapidement formée. Elle découvrait ce qu'était la grâce efficace.

A l'entrée du musée une compatriote antillaise semblait particulièrement souffrir de son exil forcé en vallée de Chevreuse.
Utilisateur anonyme
19 juillet 2012, 19:06   Re : Télérama résiste
Citation
Marc Briand
Enfin le Jansénisme et Port Royal sont deux choses différentes mais les amalgames ont la vie dure.

Le point commun ne serait-il pas la même connivence avec les Parlements?
19 juillet 2012, 19:25   Re : Télérama résiste
Je veux dire que le Jansénisme est une doctrine qui s'écarte du dogme catholique, alors que Port Royal est un lieu autour duquel s'est constitué une famille intellectuelle. Pascal n'est pas janséniste, Racine encore moins, Philippe de Champaigne attaché pour l'amour de sa fille religieuse, La Fontaine et Boileau sympathisants, etc.
A noter que le petit cercle habitué de Marly, le duc de Chevreuse, Racine, la comtesse de Gramont, sont des élèves de Port Royal.
19 juillet 2012, 20:29   Re : Télérama résiste
Cher Marc Briand,

Pourriez-vous nous dire en quoi, selon vous, le Jansénisme s'écarte du dogme catholique ?
19 juillet 2012, 21:56   Re : Télérama résiste
Toute la querelle repose sur la réponse à cette question. Voici un exposé détaillé :
Les Amis de Port Royal

Ma position est proche de celle de Sainte Beuve, une sympathie pour certains personnages et les souvenirs de ma petite enfance dans une ambiance analogue.
Utilisateur anonyme
20 juillet 2012, 03:09   Re : Télérama résiste
Citation
Léon Dachary
Cher Marc Briand,

Pourriez-vous nous dire en quoi, selon vous, le Jansénisme s'écarte du dogme catholique ?

Assez simplement : pour les jansénistes Jésus-Christ n'est pas mort pour tous les hommes. Leur succès aurait signifié à terme la mort définitive du catholicisme.

Il reste de belles figures touchantes. J'aime beaucoup M. Hamon. Il en est d'autres assez inquiétantes comme Martin Barcos.
20 juillet 2012, 19:27   Re : Télérama résiste
Cher Brunetto,

Vous jugez bien cavalièrement et bien péremptoirement de points de théologie catholique scabreux et obscurs auxquels Pascal, à la fin de sa vie, a avoué ne pas tout comprendre clairement. Mais puisque vous m'emmenez sur ce terrain là, je ne me déroberai pas.

L'idée que "Jésus-Christ n'est pas mort pour tous les hommes" est bien évidemment hérétique. Elle a été condamnée avec d'autres par le pape Innocent X dans sa bulle Cum occasione. Mais là intervient la querelle du droit et du fait.

Cette idée hérétique est-elle défendue par Jansen ? C'est là tout l'objet de la querelle. Les Jésuites soutiennent qu'elle est dans l'Augustinus de Jansen. Les Jansénistes affirment qu'elle n'y est pas. Pascal demande aux Jésuites de citer un passage de Jansenius où cette figurerait cette affirmation. Les Jésuites se dérobent et parlent d'autre chose.

Voilà où j'en suis, monsieur, mais j'avoue humblement n'avoir pas lu l'Augustinus.
20 juillet 2012, 20:58   Re : Télérama résiste
« hérétique »

Ce mot a viellli, il faudrait dire dans la novlangue : « politiquement incorrect », ou je propose : « religieusement incorrect ».
Utilisateur anonyme
21 juillet 2012, 03:22   Re : Télérama résiste
Citation
Léon Dachary

Cette idée hérétique est-elle défendue par Jansen ? C'est là tout l'objet de la querelle. Les Jésuites soutiennent qu'elle est dans l'Augustinus de Jansen. Les Jansénistes affirment qu'elle n'y est pas. Pascal demande aux Jésuites de citer un passage de Jansenius où cette figurerait cette affirmation. Les Jésuites se dérobent et parlent d'autre chose.

Voilà où j'en suis, monsieur, mais j'avoue humblement n'avoir pas lu l'Augustinus.

Cher Monsieur,

Tout cela est connu et le point théologique de Jésus mort pour tous les hommes n'est pas scabreux.

La querelle de la grâce n'a été elle-même embrouillée qu'à force des distinctions judiciaro-théologiques des maîtres en chicanes de Port-Royal.

C'est à se demander si leurs arguties et trouvailles juridiques ne les ont pas hypnotisés au point de faire vaciller leur foi. Il y a comme une odeur de souffre là autour.

Je peux vous assurer que pour un chrétien qui s'agenouille et prie la question de la grâce ne pose aucun problème.

Le Pascal des "Provinciales" est brillantissime mais de mauvaise foi (dans tous les sens du terme).

Le Jansénisme est un peu comme le P.I. : il est composé d'individualités remarquable, admirables, sincères (mais la sincérité est-elle un critère de qualité en politique?) et dévouées à la cause mais ses fondements idéologiques le mènent à une impasse.
21 juillet 2012, 10:13   Re : Télérama résiste
Vous évoquez tous le jansénisme de la grande époque, qui fut lui-même aussi varié et multiple que ... le Parti de l'In-nocence. A preuve, bien des Messieurs de Port-Royal trouvaient Pascal outré et extrémiste dans ses propositions, et il leur faisait peur, pour des raisons évidentes. Le courage du concept s'accommode mal du gouvernement d'une communauté ou d'un groupe. Personnellement, je parlais du "bas-jansénisme", si j'ose dire, qui survécut dans le clergé paroissial au XVIII°s, parfois dans certains diocèses, et dans le peuple : on se souvient des convulsionnaires de Saint Médard, qui n'avaient pas lu Pascal et Jansen. On trouve encore des prélats et des clercs jansénistes après la Révolution, et c'est d'eux que l'histoire de la religion, et de la déchristianisation, se préoccupe : non comme mouvement d'élite mystique et intellectuelle, mais, si l'on ose dire, comme d'une tendance de base.
21 juillet 2012, 15:19   Re : Télérama résiste
Brunetto,

Le point théologique n'est pas scabreux. Mais vous dénoncez comme mauvais chrétiens des gens qui affirment que les propos que vous leur prêtez ne sortent pas de leur plume. Mais ils "s'écartent du dogme catholique". Cela doit être cru sur parole. Bon et puis maintenant que vous avez tranché, parlons d'autre chose. Je crois que j'évoquais cette manière de procéder à la fin de mon précédent post.

Alors, si vous refusez d'entrer dans les débats où personne ne comprend rien, ce que je ne saurais vous reprocher, qu'avez-vous contre les Jansénistes ? N'étaient-ils pas charitables ? Vivaient-ils en accord avec leurs croyances ? Ne priaient-ils pas assez ? C'est en cela qu'ils "s'écartaient du dogme catholique" ? Vous vous priez et ils ne priaient pas ? Est-ce ce que vous insinuez ?

Ou alors ce ne serait pas après eux que vous en avez ? Votre condamnation de ces morts comme mauvais et hérétiques cacherait-elle d'autres reproches que vous souhaiteriez adresser à des vivants ?

Je vous laisse votre assimilation de l'In-nocence et du Jansénisme. Il y a en effet de nombreux points communs entre les deux, comme entre un club de causeurs de droite et une assemblée de chrétiens persécutés, comme entre Renaud Camus et Jésus-Christ.


Monsieur Bès,

Je ne vous répondrai pas parce qu'il est au-dessus de mes forces et de mon désir de soutenir plusieurs conversations à la fois. Mais ce que vous dites est sérieux et vous le dites de bonne foi.
21 juillet 2012, 15:30   Re : Télérama résiste
Comme entre Renaud Camus et Jésus-Christ.


Je ne m'y attendais pas.
21 juillet 2012, 16:59   Re : Télérama résiste
La conversation, cher Léon Dachary, s'écarte un peu du propos, qui n'est pas de statuer si théologiquement, mystiquement, les jansénistes étaient de bons chrétiens. Je ne m'autoriserais pas à en décider : toutes les Ecritures attestent que la sainteté, dans son ordre propre, n'est visible que de Dieu. J'intervenais sur les curieuses variations du mot janséniste, sur ses harmoniques nouvelles dans Télérama et dans l'ignorance moderne. Il s'agit moins de discuter du jansénisme, que de l'incompréhension de ce mot chez nos contemporains, et, incidemment, des raisons qui font de ce mot un terme positivement connoté (comme cathare, ou au rebours, manichéen -- foi et discipline admirables devenues dans la langue commune synonymes de simplisme). Pardonnez-moi, je suis très indifférent aux idées et je ne m'intéresse qu'au langage et à ce qu'il dit sans le vouloir.
Utilisateur anonyme
21 juillet 2012, 17:02   Re : Télérama résiste
(Message supprimé à la demande de son auteur)
21 juillet 2012, 17:57   Re : Télérama résiste
Monsieur Bès,

Ce que vous avez à dire des Jansénisme, y compris les critiques, ou du mot de "janséniste" est fort intéressant. Mais je ne peux tout à fait vous répondre, malgré tout le désir que j'en aie, car j'ai l'esprit tout retourné par la mauvaise foi révoltante de certains beaux esprits d'ici.

La France officielle a profané les tombes des Jansénistes. Mais ce n'est pas assez cher payé aux yeux de certains pour "tout le mal qu'ils ont fait à la foi et à la France" pour qu'ils s'abstiennent de rajouter leur petit crachat virtuel.

Brunetto, par exemple, si attaché au respect du "dogme catholique" qu'il se révolte avec un zèle admirable que des morts s'en fussent tant écartés, et trop ami de la prière pour dire ce qu'il entend par ces mots, reproche aux Jansénistes d'avoir sacrifié leur foi à des "arguties et trouvailles juridiques". Mais il ne dit pas lesquelles. Sans doute songe-t-il à ces histoires de grâce efficace qui n'est pas suffisante, ou suffisante inefficace, je ne sais plus. Mais ce sont là des concepts de Jésuites.

Pour les Jansénistes, comme pour Augustin, la grâce est un don gratuit de Dieu qui permet de faire le bien. Voilà en tout cas ce que j'ai retenu et compris de ma lecture de Pascal et d'Augustin. Je n'ai peut-être pas tout compris, mais les choses ne me semblent pas assez abstruses pour faire "vaciller la foi". Ce sont les Jésuites qui compliquent inutilement les choses. Les Jansénistes répondent. Monsieur Brunetto, vous pratiquez l'inversion accusatoire. Vous en rendez-vous compte ?
21 juillet 2012, 19:56   Re : Télérama résiste
Vaste programme...


Voulez-vous la mort de quelqu'un, Didier ?
21 juillet 2012, 23:12   Re : Télérama résiste
Cette querelle est à première vue assez déroutante, parce que ceux qui font figure de conservateurs et de censeurs sont en fait plutôt des "progressistes", en un sens on pourrait presque les qualifier d'"humanistes" et de modernes, alors que les censurés apparaissent plus radicaux et même fondamentalistes : en effet, dans le cadre plus général dans lequel vient s'insérer ce cas particulier du problème, cadre qu'on pourrait définir comme la question infiniment rebattue et jamais résolue de l'articulation de la détermination et de la liberté humaine, les jésuites sont plus souples, moins catégoriques quant à ce qui spécifiquement relèverait de l'homme et de sa volonté, contre les nécessités, en l'occurrence divines, à quoi il serait inflexiblement et totalement soumis.
On retrouve, formulées presque à tâtons et de façon souvent maladroite, prêtant certes le flanc à la raillerie d'un esprit aussi mordant et brillant que Pascal, les idées de gradation, de distinction de niveaux opératoires entre la disposition et la concrétisation d'icelle, entre la puissance et l'acte (pour le coup Brunetto aurait eu raison de parler d'aristotélisme, même si c'est en flânant), contre les tenants du "tout ou rien" et de la logique dure qui assène et assomme son tiers exclu sans rien vouloir entendre d'autre.
22 juillet 2012, 12:22   Re : Télérama résiste
On retrouve les idées de gradation, de distinction de niveaux opératoires entre la disposition et la concrétisation d'icelle, entre la puissance et l'acte. (Alain Eytan)

Ah ! moi aussi, j'aurais plaisir à retrouver ces passionnants concepts s'ils avaient jamais été en ma possession. C'est d'Aristote ?
Utilisateur anonyme
22 juillet 2012, 13:44   Re : Télérama résiste
(Message supprimé à la demande de son auteur)
22 juillet 2012, 18:43   Re : Télérama résiste
Mais c'est incompréhensible. Je ne doute pas que Brunetto trouvera dans cette poésie toute la pureté du "dogme catholique", exempt d'argutie et de trouvaille, et qu'il jugera légitime, partant, toute persécution menée contre qui s'écartera de vérités aussi propres à soutenir la foi.
22 juillet 2012, 22:17   Re : Télérama résiste
» Ah ! moi aussi, j'aurais plaisir à retrouver ces passionnants concepts s'ils avaient jamais été en ma possession. C'est d'Aristote ?

La distinction entre puissance et acte ? Un peu oui !
Mais comment, cher Monsieur Dachary, ne disposez-vous pas de la faculté de faire une chose, ou de comprendre un raisonnement, à la différence de l'actualisation de cette puissance par ce qui la réalisera, ou du sens qui se fera jour dans votre esprit ?
23 juillet 2012, 21:16   Re : Télérama résiste
Cher monsieur Eytan,

Vous êtes bien cruel et assez peu charitable de pointer les capacités de mon esprit, qui est faible et limité.

Mais il ne faut pas désespérer de ma vieille cabosse au point de ne la pas croire capable, si on la traite avec douceur et aménité, et qu'on lui explique les choses pas à pas, d'accéder aux vérités du sens commun.

Pour utiliser votre langage, par exemple, un vocabulaire philosophique ayant en sa puissance d'aider qui en use à pénétrer le monde des Idées peut-il s'actualiser en une scolastique ? c'est-à-dire en un discours où les concepts tournent à ce point en rond sur eux-mêmes qu'ils ne s'attachent plus à décrire quoi que soit qui soit hors d'eux-mêmes, mais à être des supports de virtuosité pure ou de rapports de domination ? Cela serait un acte très vilain. Ou s'actualiser en pensées destinées à impressionner le péquin ou à se la péter un peu ? Au fond, ce serait le même acte, mais en beaucoup plus véniel -le goût de faire des phrases, en somme.

(Si la réponse est oui, me voilà devenu aristotélicien tout de bon et tout excité à cette idée.)

Reste la gradation, dont vous parlez, et dont je ne comprends pas à quoi elle fait référence : gradation de quoi à quoi ? ou entre quoi et quoi ?

Reste surtout que je ne comprends toujours pas à quoi rime votre phrase que j'ai mise en exergue : les concepts aristotéliciens que vous citez sont en commun aux deux parties de la querelle du Jansénisme. Et si l'attitude du "tout ou rien" est bien d'un côté plus que d'un autre, les idées de gradation, de distinction de niveaux opératoires entre la disposition et la concrétisation d'icelle, entre la puissance et l'acte m'apparaissent présentement comme les concepts usuels à l'époque et présents dans les boîtes à outils des deux camps.
23 juillet 2012, 22:49   Re : Télérama résiste
« Leur différend touchant la grâce suffisante, est en ce que les jésuites prétendent qu'il y a une grâce donnée généralement à tous, soumise de telle sorte au libre arbitre, qu'il la rend efficace ou inefficace à son choix, sans aucun nouveau secours de Dieu, et sans qu'il manque rien de sa part pour agir effectivement ; »

C'est l'incipit de la deuxième lettre ; prenez la "suffisance" comme la puissance, en l'occurrence, et l"efficace" comme l'acte : ainsi selon les jésuites la grâce serait en puissance chez tous les hommes, y mise par Dieu, mais son actualisation serait le fait des hommes, de leur libre arbitre, qui déterminerait "à son choix" l'action effective. Pour reprendre une analogie d'Aristote, la demi-ligne pourrait être tirée de la ligne entière comme la grâce efficace — l'agir effectif — de la grâce suffisante.
De cela au reste il ressort cette conclusion d'esprit très peu aristotélicien, pour le coup, que la puissance est de Dieu, et l'acte de l'homme ; mais peu importe, et bien que j'aie d'ailleurs convenu que les termes utilisés soient maladroits, le principe me semble être là.

« Et que les jansénistes, au contraire, veulent qu'il n'y ait aucune grâce actuellement suffisante, qui ne soit aussi efficace, c'est à dire que toutes celles qui ne déterminent point la volonté à agir effectivement sont insuffisantes pour agir, parce qu'ils disent qu'on n'agit jamais sans grâce efficace, voilà leur différend. »

J'ai l'impression que Pascal feint là d'ignorer la distinction entre puissance et acte contenue dans sa propre présentation de la position des jésuites, et qu'il résume celle des jansénistes en y nouant d'emblée la querelle autour d'une question sémantique d'acception des termes : comment peut-on dire d'une chose qu'elle soit "suffisante" si en fait elle ne l'est point pour remplir ce pour quoi elle est faite, c'est à dire agir ? Et en effet... à moins d'y marquer une légère gradation, pas si inconcevable pour une tête aussi bien faite que celle de Pascal : "suffisante" pour pouvoir agir.

Mais à vous de me représenter, si vous voulez bien, ce que professaient les jansénistes...
25 juillet 2012, 20:27   Re : Télérama résiste
Je vous remercie, monsieur Eytan, de votre réponse et du ton que vous y mettez. Si j'ai quelque chose à vous répondre, je vous répondrai, mais il me faudra en tout cas quelques jours de digestion.
25 juillet 2012, 23:17   Re : Télérama résiste
Cher Monsieur Dachary, si le ton de mes précédents messages a pu vous sembler cavalier, je m'en excuse, et vous assure qu'il n'y avait là aucune intention malhonnête.
08 août 2012, 22:32   Re : Télérama résiste
Cher monsieur Eytan,

Si vous vous êtes montré cavalier, je ne m'en étais pas rendu compte.

Pardonnez-moi le temps que j'ai pris pour vous répondre mais il me fallait, pour rester à votre niveau, bien réfléchir et bien lire. Dans ma villégiature estivale, la bibliothèque est menue mais le volume des Confessions de Saint Augustin qu'elle contient m'a procuré d'édifiants moments.

La présentation que vous faites de l'augustinisme, dont les Jansénistes se veulent des sectateurs stricts, est à la fois correcte et tendancieuse :

"De cela au reste il ressort cette conclusion d'esprit très peu aristotélicien, pour le coup, que la puissance est de Dieu, et l'acte de l'homme ; mais peu importe, et bien que j'aie d'ailleurs convenu que les termes utilisés soient maladroits, le principe me semble être là."

Certes, votre résumé correspond bien à un certain esprit augustinien, qui charge l'homme de ses péchés, parce qu'il dispose du libre-arbitre (livre VII, chapitre 3, par exemple), et loue la grâce divine de l'aider à bien agir ("Ô mon Dieu, mon Sauveur, combien par votre assistance et par votre grâce ai-je fait de retranchements en mon coeur dans cette vaste forêt pleine de tant d'embûches et de dangers ?", X, 35). Mais l'on voit bien dans cette dernière citation qu'Augustin s'impute à lui-même, qui est sujet de la phrase, le retranchement dont il se réjouit, la grâce jouant le simple rôle, même s'il est indispensable, de force auxiliatrice.

Dans le même esprit, on peut trouver ailleurs (VIII, 5) :

"C'était moi-même qui formais en même temps ces deux désirs [celui de l'esprit et celui de la chair] : et néanmoins c'était plus moi qui me portais au bien que je commençais d'aimer, que ce n'était moi-même qui me portais au mal que je haïssais." Bien sûr, il s'impute à lui-même le bien comme le mal. Il est vrai qu'à la fin du chapitre, Dieu intervient en lui parlant. C'est par l'intermédiaire de la Bible, lecture utile entre toutes, vous en conviendrez, et qui soutient certains d'entre nous d'une manière décisive. Voilà ce que peut-être la grâce et ce qu'elle est dans ce chapitre.

On m'objectera que la lecture de la Bible n'a pas toujours d'heureux effets et que les avertissements reçus ne sont pas toujours écoutés. Qui le conteste ? Mais quel besoin a-t-on pour ce cas de bâtir d'obscures théories de "grâce suffisante inefficace" ? Certes, vous le dîtes bien, le concept en question se tient droit en bonne logique aristotélicienne. Mais quel besoin a-t-on de ratiociner sur l'ineffable ? Pascal explique d'une manière qui me paraît convaincante que le compromis politique entre Dominicains et Jésuites est une de ces raisons.

Pourtant la grâce, telle qu'elle est chez Augustin, c'est-à-dire pas coupée en morceaux comme par des mathématiciens ou des notaires, est encore ce qui se fait de mieux pour résoudre l'énigme si courante et si humaine, et que chacun peut voir au-dedans de soi lorsque, voulant faire le bien, il fait le mal. Devant ce curieux mystère, qui fait toute l'oeuvre de Proust, la pensée grecque demeure muette, et Aristote aussi avec toutes ses catégories.

Enfin, retirés du monde pour prier et écrire des textes pieux, je crois que les Solitaires ont vécu en chrétiens. Ils ont peut-être eu tort sur tel ou tel point de doctrine, ont sans doute commis bien des erreurs et bien des fautes, mais je ne comprends pas, non, vraiment, je ne comprends pas la haine à leur égard qui se lit en ce fil. (Je ne parle pas de vous, monsieur Eytan.)

Accessoirement, la traduction des Confessions par Arnauld d'Andilly est belle au-delà de toute mesure.
10 août 2012, 04:03   Re : Télérama résiste
Merci de votre réponse, cher Léon Dachary.
Un petit malentendu, toutefois : cette phrase que vous citez de mon message ("De cela au reste...") n'était pas un résumé de la position janséniste (et donc "plus augustinienne"), mais de celle des jésuites.
En effet, voulais-je dire, la grâce suffisante, en tant que puissance, qui a besoin du libre-arbitre pour devenir efficace et s'accomplir, serait universellement présente chez les hommes, comme la graine divine qui appellerait la germination du truchement humain pour se développer pleinement, cette puissance est de Dieu, donc ; et l’acte de la germination, de l'homme et son "choix". C'est ainsi que je résumai, très sommairement, la position jésuite que présentait Pascal.
Aussi "la puissance est de Dieu, l'acte de l'homme" (proposition "peu aristotélicienne", parce que, bien sûr, le Dieu d'Aristote est "acte pur").
Mais le fait que même Augustin y pourrait trouver son compte vous donne en fin de compte partiellement raison : dans cette histoire, tant de pinailleries vous font perdre votre latin.

Il n'en demeure pas moins que cette référence obligée à la ressource humaine, pour parachever le don, en quelque sorte, est en l'occurrence le fait des jésuites, et c'est pourquoi je les qualifiai, presque à contre-emploi dans leur rôle de censeurs (cela dit...), de "progressistes" et d'"humanistes" auparavant.

Il n'est absolument pas question de "haine" d'aucune sorte à l'endroit des jansénistes, bien entendu, et quant à la question de savoir qui serait plus et mieux chrétien, houlà, je ne pourrais vraiment me prononcer là-dessus...
Utilisateur anonyme
10 août 2012, 05:49   Les jansénistes m'emm...... sauf vot' respect
Citation
Léon Dachary
Brunetto, par exemple, si attaché au respect du "dogme catholique" qu'il se révolte avec un zèle admirable que des morts s'en fussent tant écartés, et trop ami de la prière pour dire ce qu'il entend par ces mots, reproche aux Jansénistes d'avoir sacrifié leur foi à des "arguties et trouvailles juridiques". Mais il ne dit pas lesquelles. Sans doute songe-t-il à ces histoires de grâce efficace qui n'est pas suffisante, ou suffisante inefficace, je ne sais plus. Mais ce sont là des concepts de Jésuites.

Pour les Jansénistes, comme pour Augustin, la grâce est un don gratuit de Dieu qui permet de faire le bien. Voilà en tout cas ce que j'ai retenu et compris de ma lecture de Pascal et d'Augustin. Je n'ai peut-être pas tout compris, mais les choses ne me semblent pas assez abstruses pour faire "vaciller la foi". Ce sont les Jésuites qui compliquent inutilement les choses. Les Jansénistes répondent. Monsieur Brunetto, vous pratiquez l'inversion accusatoire. Vous en rendez-vous compte ?

Monsieur,

Vos jansénistes et toutes leurs criailleries me fatiguent à un point que vous n'imaginez pas. Ces querelles m'ont intéressé lorsque j'étais adolescent mais je ne comprends pas qu'un homme mur et sensé puisse encore consacrer quinze minutes de son temps à ces mômeries sur la grâce suffisante, efficace, pénétrante et je ne sais quoi d'autre encore.

Figurez-vous que j'ai visité ce tantôt avec mon fils le cloître d'Ephrata près de Lancater en Pennsylvanie. Nous avions visité en juillet Port-Royal des champs (rassurez-vous nous ne sommes pas aller cracher sur leur tombes qui n'y sont plus de toute manière).

Les disciples de Conrad Beissel se faisaient aussi appeler les Solitaires.Même esprit d'orgueil mêlé en outre ici d'une bonne dose de gnosticisme. L'histoire s'est terminée toute en en douceur. Ils auront au moins échappé au pathétique et au ridicule qu'on a connu en France avec nos Solitaires et leurs convulsionnaires descendants.

Cet attachement des Français pour leurs chers Jansénistes est vraiment étrange. Mais on le trouve aussi chez un esprit aussi parfaitement étranger à la spiritualité catholique que celui d'André Breton (peut-être pas si étrange après tout) :

"Jansénius oui je vous attendais prince de la rigueur
Vous devez avoir froid

Le seul qui de son vivant réussit á n'être que son ombre
Et de sa poussière on vit monter menaçant toute la ville la fleur du spasme
Pâris le diacre

La belle la violée la soumise l'accablante La Cadière

Et vous messieurs Bonjour
Qui en assez grande pompe avez bel et bien crucifié deux femmes je crois
Vous dont un vieux paysan de Fareins-en-Dôle
Chez lui entre les portraits de Marat et de la mère Angélique
Me disait qu'en disparaissant vous avez laissé à ceux qui sont venus et pourront venir
Des provisions pour longtemps


Extrait de "Pleine marge".

Je vous laisse avec vos provisions. Prenez-garde que ces nourritures frelatées ne vous fasse du mal.
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