Humour involontaire à part, la lecture de cet ouvrage donne à penser.
Par exemple :
"Disons en dernier lieu, que la politesse bien pratiquée contribue puissamment à maintenir dans la société, et cela sans froissement ni violence, la hiérarchie qui doit exister entre les membres qui la composent. Chose digne de remarque, un des traits caractéristiques des moeurs et des habitudes, à l'époque de nos crises révolutionnaires, a été la suppression des règles de la politesse dans les relations. C'était la conséquence de l'égalité prétendue que l'on voulait établir entre les hommes. La politesse, en effet, est comme l'expression et la manifestation des inégalités sociales. Au moyen des formules de langage et des procédés qu'elle prescrit, elle fait très simplement et pourtant très nettement le discernement des classes; elle met chacun à sa place, subordonne l'inférieur au supérieur, et devient ainsi pour la société un principe d'ordre et d'harmonie. Supprimez-la, bientôt à cet ordre et à cette harmonie succédera la confusion. C'est donc avec raison que les hommes sérieux ne voient pas sans regret les vieilles traditions de la politesse française s'altérer parmi nous, et croient découvrir dans le sans-gêne qui tend à s'y substituer un symptôme de mauvaise augure. Il es impossible qu'avec la politesse, le respect dont elle est l'expression ne disparaisse pas plus ou moins. Or, on sent assez quelle funeste atteinte le défaut de respect porterait à la subordination et à la dépendance, sans lesquelles nulle société ne peut vivre."
(Et en effet, à lire ce guide, on s'aperçoit assez vite que la source de la politesse est à trouver dans la juste appréhension de la hiérarchie. Tout l'art du savoir-vivre pourrait se résumer à la capacité de distinguer avec pertinence qui est l'inférieur, qui le supérieur et qui l'égal (ce que n'est pas capable de faire Odette ni Madame Verdurin, qui
n'a pas l'habitude), dans toutes les occasions de rencontres avec ses
semblables, lesquels précisément ne le sont pas, semblables, ou ne le sont que devant Dieu, c'est-à-dire en aucun cas dans la vie en société, sur terre, ici et maintenant.
Dans ce guide des convenances ecclésiastiques, on pourrait extraire des recommandations qui iraient comme un gant au projet in-nocent. L'ancien supérieur du grand séminaire d'Orléans ne cesse d'insister sur le souci de ne jamais
nuire à autrui. Certains passages sont vraiment
cool, si je peux me permettre cette incartade lexicale, et j'y souscris entièrement. Cependant, après y avoir souscrit, il faut bien que j'admette que ce qui est écrit est entièrement dépendant du respect de la-dite hiérarchie sociale et c'est beaucoup moins
cool, tout à coup.
Serais-je certain d'être vraiment sûr de me ranger de bonne grâce à ce type d'usage que, d'un autre côté, je crois nécessaires :
"Quand on a pris des engagements avec une domestique, il est essentiel de lui tracer son programme, et de circonscrire d'une manière bien précise les limites de son département. Non seulement elle doit être rigoureusement exclue de tout ce qui, de près ou de loin, tient au gouvernement spirituel ou temporel de la paroisse; même en ce qui regarde le temporel du presbytère, il ne faut pas qu'elle ait un pouvoir sans borne et sans contrôle. Qu'en tout, elle sache et elle sente qu'elle n'est pas maîtresse.
En attendant que l'application des utopies socialistes ait mis tous les membres de la société humaine sur le pied d'une égalité parfaite, il importe que la distance qui sépare les maîtres des domestiques soit maintenue. Au presbytère, plus qu'ailleurs peut-être, cette distance pourrait être franchie [ah bon ?]; et cependant, on le sent assez, là surtout, elle est éminemment nécessaire.
En conséquence, le pasteur évitera, avec le plus grand soin, tout ce qui pourrait faire oublier à sa servante le rang inférieur qu'elle occupe par rapport à lui."
Il est possible que, sous un trait accentué, telles soient en effet les conditions mêmes de la politesse, ce qui, au fond, fait tout dépendre de "l'inférieur" et de sa bonne volonté à se voir désigné comme tel. L'histoire montre que tel n'a pas été le cas, pour le meilleur et pour le pire.
Autrement dit, le projet in-nocent envisage-t-il un usage de la politesse qui ne passe pas par un sentiment aigu de la hiérarchie sociale ?