Les autres journaleux ont fait semblant de ne pas entendre sa remarque.
C'est là un point crucial, Véra, où vous risquez de faire fausse route. Il est probablement erroné de supposer que les autres journaleux bouffeurs de micro aient fait
semblant de ne pas entendre cette objection. Il faut leur faire crédit de la sincérité, de l'honnêteté intellectuelle:
ils ne l'ont pas du tout entendue.
Savez-vous bien que l'équipage du vol Air France Rio-Paris qui s'est abîmé dans l'Atlantique il y a deux ans
n'avait pas entendu l'alarme de décrochage qui pourtant leur a beuglé aux oreilles pendant de longues minutes que l'avion était en perdition. C'est ce que supputent les experts en aéronautique qui étudient cette tragédie. L'oreille est commandée par le cerveau, lequel, par parti pris inconscient, par inconscience pure, est capable de ne rien ouïr de ce qu'elle lui transmet. Quel que soit le volume du cri, de l'alarme, ce qui
ne doit pas exister, ce qui
ne doit pas être en train de se produire, ce qui ne fait pas partie du système du monde, et notamment l'annonce de l'imminent et irréversible trépas, ou celle de l'approche de tout état irréversible entraîné par une fatale erreur de jugement, demeure
inaudible, échappe à la sphère du sensible.
Tarik Aziz qui chantait victoire devant les cameras pendant la prise de Bagdad en 2003 alors qu'un char américain apparaissait en contre-champ
était sincère, comme l'était Caucescu dans son dernier discours à la foule de Bucarest, qui le huait.
Nos Amis du Désastre, nos sociologues à micros et à plateaux de télévision, nos docteurs en idéologie qui diffusent à longueur d'année sur les radios officielles la religion d'Etat multiculturaliste-vivrensembliste et qui chérissent le 9-3 comme il y a trente ans leurs prédécesseurs la Bande de Gaza, à l'instar des cadres de la Stasi à Berlin Est en 1989,
ne font semblant de rien.