Le site du parti de l'In-nocence

Eloge du crime

Envoyé par Henri Rebeyrol 
05 septembre 2012, 11:00   Eloge du crime
Karl Marx a écrit entre 1860 et 1862 une « notule » d’une page environ, incluse par les éditeurs dans le tome IV du Capital (« la théorie de la plus-value ») et dans laquelle on peut lire un vibrant « éloge du crime », titre sous lequel cette « notule » est connue et a été rééditée à part en 1976 par la librairie Tschann et en 1998 par les éditions Deleatur.

Il n’est pas dans mes intentions de mettre en parallèle cet éloge du crime et celui de Breivik. Le second est littéraire, sinon « ironique », du moins « distancié » ; il tient de la négativité ; il n’a rien en commun avec le premier, qui est de l’ordre de la positivité économique et sociale. Millet n’approuve pas le crime de Breivik ; Marx tient le crime pour le moteur qui n’apporte à la société que des bienfaits et qui participe au règne de la plus-value : amélioration des techniques de protection des biens (serrures), de l’argent (innombrables clés informatiques (aujourd’hui) qui rendent quasiment impossible l’impression de faux-billets), de recherche des criminels (police scientifique) ; multiplication des « emplois » de gendarmes, policiers, juges, professeurs de droit, criminologues ; accroissement de la division du travail ; fourniture aux écrivains, artistes, journalistes, de « sujets » porteurs et qui font vendre, etc.

Marx va même par justifier le crime par l’argument suivant (je cite) : « le crime retire du marché du travail une part de la population en surnombre (…) Il réduit ainsi la concurrence entre travailleurs et contribue à empêcher les salaires de tomber au-dessous du minimum ». Le XXe siècle a été le siècle des crimes de masse, dont ont été victimes des fractions importantes des peuples arménien, ukrainien, juif, chinois, cambodgien, etc. Aujourd’hui les disciples de Marx feraient la peau de l’imprudent marxiste qui aurait l’audace ou l’inconscience d’inscrire en épitaphe sur les mausolées érigés à ces peuples martyrs cette extension au crime de la théorie de la plus-value…

Le problème est ailleurs, non pas dans l’argumentation de Millet, mais dans celle de Marx. Marx a inventé homo oeconomicus. L’homme, dès qu’il vit en société (et il ne peut vivre qu’en société), fabrique ou produit. Il est condamné à produire et par son travail à produire de la plus-value. De cette observation, sur la pertinence de laquelle je ne me prononce pas, il fait une loi qu’il étend à toutes les activités humaines : « le philosophe produit des idées, le poète des poèmes, l’ecclésiastique des sermons, Le professeur des traités » et, bien entendu, puisque la porte est ouverte à tous les délires, « le criminel produit des crimes ». Le philosophe ne produit pas des idées, mais il arrange dans une configuration nouvelle des idées, dont certaines sont fort anciennes ; le poète ne produit pas de poèmes, c’est son éditeur, s’il en trouve un, ou son imprimeur qui produit des livres qui sont des recueils de poèmes. De même le professeur dispense un enseignement ; s’il publie cet enseignement sous la forme d’un livre, c’est son imprimeur qui produit quelque chose, en l’occurrence, un livre, en x exemplaires, qu’il vendra ou ne vendra pas. Le criminel ne produit rien, sinon du malheur quand il commet ses crimes, etc.

Marx fonde ses raisonnements sur la seule analogie et une analogie qui ne tient pas au réel, mais seulement aux mots. Il lui suffit de désigner par le verbe « produire » les différentes actions accomplies par tel ou tel individu, par exemple "écrire", « rédiger », « composer », « commettre » et le tour est joué. Il a étendu à toute la société et à toutes les sociétés humaines, qu’elles se soient succédé dans l’histoire ou qu’elles soient contemporaines, mais dispersées sur la terre, sa théorie de la production, fondement de la théorie de la plus-value. C’est ainsi que procèdent tous ses disciples : Bourdieu ne fait pas autre chose, ainsi que tous les « chercheurs » en « sciences sociales », Mucchieli, Dubet, Benbassa, etc. On pourrait dire, citant Bergson, que c’est de la mécanique plaquée sur du vivant. Le problème, car il y en a un, c’est que ces individus n’ont pas enfin de rigoler ; ils n’écrivent pas des comédies de boulevard ; ils ne sont pas Flers et Cavaillet, ni Fédeau, ni les Grosses Têtes de Bouvard.

Bouvard, justement. Il est un écrivain français qui a représenté, sur le mode de la dérision évidemment, ces analyses de Marx et à la Marx. C’est Flaubert, le contemporain « parfait » de Marx. Le vrai Marx, le Marx comique, le Marx de la dérision, c’est un personnage de la littérature français. Il se nomme Pécuchet et il procède de la même manière que Marx dans Eloge du crime : il étend à toutes les réalités du monde le petit fragment de savoir qu’il vient d’appendre. Pécuchet anticipe de quelques jours les raisonnements (dois-je écrire résonnements) par analogie verbale de Marx et de plus d’un siècle les mêmes résonnements de ces petits messieurs des sciences sociales, Bourdieu Muchielli, Dubet, Dakhlya, Touraine, etc.
Utilisateur anonyme
05 septembre 2012, 11:12   Re : Eloge du crime
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Utilisateur anonyme
05 septembre 2012, 11:42   Re : Eloge du crime
Citation
JGL
Karl Marx a écrit entre 1860 et 1862 une « notule » d’une page environ, incluse par les éditeurs dans le tome IV du Capital (« la théorie de la plus-value ») et dans laquelle on peut lire un vibrant « éloge du crime », titre sous lequel cette « notule » est connue et a été rééditée à part en 1976 par la librairie Tschann et en 1998 par les éditions Deleatur.

Il n’est pas dans mes intentions de mettre en parallèle cet éloge du crime et celui de Breivik. Le second est littéraire, sinon « ironique », du moins « distancié » ; il tient de la négativité ; il n’a rien en commun avec le premier, qui est de l’ordre de la positivité économique et sociale. Millet n’approuve pas le crime de Breivik ; Marx tient le crime pour le moteur qui n’apporte à la société que des bienfaits et qui participe au règne de la plus-value : amélioration des techniques de protection des biens (serrures), de l’argent (innombrables clés informatiques (aujourd’hui) qui rendent quasiment impossible l’impression de faux-billets), de recherche des criminels (police scientifique) ; multiplication des « emplois » de gendarmes, policiers, juges, professeurs de droit, criminologues ; accroissement de la division du travail ; fourniture aux écrivains, artistes, journalistes, de « sujets » porteurs et qui font vendre, etc.

.


Attention il y a de l’humour chez Marx, pas chez les marxistes.
Marx est trop bourgeois pour approuver le crime.
Et il a raison, que feraient les pénalistes sans le crime.
05 septembre 2012, 11:50   Re : Eloge du crime
La notule en question :

[www.valas.fr]


Ce texte n'était probablement pas destiné à la publication. On dirait du Swift.
05 septembre 2012, 12:38   Re : Eloge du crime
Marx dans cette notule analyse le crime dans son écologie. Il se montre ici aussi écologue qu'économiste. Sa caractérisation du crime dans sa théorie de la plus-value et de la production est superposable, pour ainsi dire dans sa totalité, à celle de la prédation dans les chaînes alimentaires ou les écosystèmes. Le criminel se montre "utile" à la société comme l'est le prédateur dans la chaîne alimentaire des espèces. Le prédateur assure plusieurs rôles positifs : c'est un producteur (de protéines) en même temps qu'un épurateur des populations qui lui fournissent ses proies.

Crime et prédation sociale (saccages actuels des régimes sociaux par des populations prédatrices, qui se comportent en France comme des nuages de sauterelles dans leurs pays) pourraient se ressembler en effet, n'eût été le grave facteur de déséquilibre des prédateurs exotiques introduits dans les milieux qu'ils abordent pour la première fois, qui par leur action peuvent anéantir les écosystèmes préexistants.

Marx n'a pas tort de souligner que le crime, lorsqu'il ne déstabilise pas la société, aiguillonne l'innovation technique (et celle des systèmes experts intégrés), aiguise la vigilance, comme la présence de l'aigle, du cobra, du jaguar, dans les populations animales où ces animaux trouvent leurs proies.
05 septembre 2012, 12:41   Re : Eloge du crime
Le texte de Marx, pour les personnes pressées :

Non seulement le crime est normal, mais il est facile de prouver qu’il a bien des utilités.

Un philosophe produit des idées, un poète des vers, un curé des sermons, un professeur des bouquins, etc. Un criminel produit la criminalité. Mais si les liens entre cette branche soi-disant criminelle de la production et toute l’activité productrice de la société sont examinés de plus près, nous sommes forcés d’abandonner un certain nombre de préjugés. Le criminel produit non seulement la criminalité mais aussi la loi criminelle ; il produit le professeur qui donne des cours au sujet de la loi criminelle et de la criminalité, et même l’inévitable livre de base dans lequel le professeur présente ses idées et qui est une marchandise sur le marché. Il en résulte un accroissement des biens matériels, sans compter le plaisir qu’en retire l’auteur dudit livre.

De plus, le criminel produit tout l’appareil policier ainsi que de l’administration de la justice, détectives, juges, jurys, etc., et toutes ces professions différentes, qui constituent autant de catégories dans la division sociale du travail, développent des habiletés diverses au sujet de l’esprit humain, créent de nouveaux besoins et de nouveaux moyens de les satisfaire. La torture elle-même a permis l’invention de techniques fort ingénieuses, employant une foule d’honnêtes travailleurs dans la production de ces instruments.

Le criminel produit une impression tantôt morale, tantôt tragique, et rend un « service » en piquant au vif les sentiments moraux et esthétiques du public. Il ne produit pas seulement les livres de droit criminel, la loi criminelle elle-même, et ainsi les législateurs, mais aussi l’art, la littérature, les romans et les drames tragiques dont le thème est la criminalité, tel que Oedipe et Richard III, ou Le Voleur de Schiller, etc.

Le criminel interrompt la monotonie et la sécurité de la vie bourgeoise. Il la protège ainsi contre la stagnation et fait émerger cette tension à fleur de peau, cette mobilité de l’esprit sans lesquelles le stimulus de la compétition elle-même serait fort mince. Il donne ainsi une nouvelle impulsion aux forces productrices. Le crime enlève du marché du travail une portion excédentaire de la population, diminue la compétition entre travailleurs, et jusqu’à une certaine limite met un frein à la diminution des salaires, et la guerre contre le crime, de son côté, absorbe une autre partie de cette même population. Le criminel apparaît ainsi comme une de ces « forces équilibrantes » naturelles qui établissent une juste balance et ouvrent la porte à plusieurs occupations soi-disant « utiles ».

L’influence du criminel sur le développement des forces productrices peut être détaillée. Est-ce que le métier de serrurier aurait atteint un tel degré de perfection s’il n’y avait pas eu de voleurs ? Est-ce que la fabrication des chèques bancaires aurait atteint un tel degré d’excellence s’il n’y avait pas eu d’escrocs ? Est-ce que le microscope aurait pénétré avec autant d’efficacité le monde commercial de tous les jours s’il n’y avait pas eu de faux-monnayeurs ? Le développement de la chimie appliquée n’est-il pas dû autant à la falsification des marchandises et aux tentatives pour y remédier, qu’aux efforts productifs honnêtes ? Le crime, par le développement sans fin de nouveaux moyens d’attaquer la propriété, a forcé l’invention de nouveaux moyens de défense, et ses effets productifs sont aussi grands que ceux des grèves par rapport à l’invention des machines industrielles.

Laissant le domaine du crime privé, y aurait-il un marché mondial, est-ce que les nations même existeraient s’il n’y avait pas eu de crimes nationaux ? L’arbre du mal n’est-il pas aussi l’arbre du savoir depuis le temps d’Adam ?



Il y a, dans la littérature française, bien des textes de ce genre, en voici un :

De l'esclavage des Nègres

Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :

Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.

Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu'il est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une manière plus marquée.

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, était d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.

Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

Des petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains : car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter