Le texte (appel ? pétition ? adresse ?) que Mme Ernaux a publié dans Le Monde (de toute évidence, ce journal lui a ouvert toutes grandes ses colonnes et a rameuté des "soutiens") pour exiger on ne sait quoi - la condamnation, la relégation, l'exil, le licenciement, la disparition, la mort ? - de Richard Millet n'étonne pas ceux qui ont lu son oeuvre et savent la complaisance qu'elle a toujours manifestée à l'encontre des régimes tyranniques (communistes ou autres) et l'admiration aveugle et sans borne qu'elle voue à Bourdieu, le chantre de Lénine et du FLN. La lecture de La Distinction a été sa nuit de la destinée. Ce qu'elle appelle "fascisme" n'a rien en commun avec ce que fut la réalité du fascisme historique, celui des partisans de Mussolini ou d'Hitler, mais tout à voir avec l'épouvantail nommé "fascisme" que brandissent communistes et compagnons de route depuis 1934 ou 1935, quand Staline a appris à ses sbires à réduire tout adversaire du communisme au fascisme.
Ce qui est inquiétant dans son appel, c'est la haine : cette femme est mue par la seule haine et toute son argumentation consiste à décliner sa haine, tout en la camouflant derrière l'invocation de quelques principes universels. Elle n'est pas la seule femme écrivain à se laisser porter par ces mauvais sentiments. Il y a eu de beaux spécimens dans la Chine de Mao, dans le Viêt-nam de M. Ho, dans le Kampuchéa de Pol Pot, dans l'Allemagne nazie (Eva B, S. Undke) et même en France. Pierre Péan révèle dans son livre sur la jeunesse de Mitterrand comment Mlle Donnadieu, qui a écrit en 1940 un livre à la gloire de l'Empire français, puis a travaillé pour les services allemands, a pu se faire nommer en 1944 "procureur" dans un procès expéditif et a obtenu la mort d'un pauvre type qui avait fricoté avec les Allemands (selon Péan, la véritable raison de la condamnation à mort, suivie d'une exécution quasiment immédiate, était autre).
De Mme Ernaux, on connait tout : ses parents, son grand-père, ses baisades, ses hontes, ses "humiliations", ses haines, ses admirations. Ses parents étaient des gens admirables - des "gens de peu", pauvres, se contentant de ce qu'ils gagnaient, n'ayant guère d'ambition, très dignes et d'une moralité exemplaire. Ils étaient l'ancienne France. Jamais il ne leur serait venu à l'esprit de dire du mal en public ou en privé de leurs voisins; jamais ils n'auraient signé un appel appelant à tuer un concurrent ou un professeur de leur fille unique. Dans son récit "La Place", elle met en exergue une phrase de Genet : "je hasarde une explication : écrire, c'est le dernier recours quand on a trahi". De fait, il semble qu'elle veuille expliquer par la trahison le choix qu'elle fait de la "littérature" (ou de "l'écriture"). Pour elle, la trahison est sociale. Elle a trahi ses parents parce qu'elle est devenue une bourgeoise - n'exagérons rien, une (toute) petite-bourgeoise. En obtenant le CAPES de lettres modernes, elle aurait basculé, écrit-elle, dans un autre monde, celui des gens comme il faut, des gens d'en haut, des bourgeois. Elle se voit sans doute plus haut qu'elle n'est réellement, même si, dans son esprit, c'est en maîtrisant la culture, qu'elle juge bourgeoise (elle a lu La Distinction cinq ou six auparavant) (le CAPES, pour elle, c'est un brevet de bourgeoisie culturelle !), qu'elle a trahi ses parents et ses grands-parents ouvriers agricoles.
Il est évident qu'elle a trahi ses ancêtres, non pas parce qu'elle serait "cultivée" (et eux non), mais parce que, bien qu'elle soit nantie en tout et que, matériellement, elle jouisse de revenus très élevés, elle est mue par la seule haine, par le ressentiment, par la rancoeur et qu'elle est prête à faire couper la tête à un écrivain, dont elle ne partage pas les idées. Voilà qui était totalement étranger à sa mère et à son père. Pour continuer cette réflexion, on peut se demander ce qu'elle a retenu des années passées au lycée et à l'université. Je suis certain que les professeurs qui lui ont enseigné les lettres lui ont appris la grandeur de la liberté et que les fondements de la civilisation étaient la liberté d'expression. On a dû lui seriner cette belle phrase de Voltaire (en substance) : "je ne partage pas vos idées, mais je me batrtai pour que vous puissiez les exprimer". A quoi tout cela a-t-il servi ? A rien, apparemment, au point que l'on peut se demander s'il n'aurait pas mieux valu pour elle et pour la simple morale sociale ou "laïque" - la common decency, comme on dit - qu'elle restât, comme ses parents, modeste et humble sans doute, inculte ou mal instruite, mais épargnée par des pulsions de meurtre qui font d'elle une harpie digne de Pol Pot ou de Mao. Que penser alors de la centaine de crétins, ces prétendus "écrivains", qui ont lu son "papier" et qui ont approuvé ses envies d'ostracisme, de censure, d'élimination ? Que pour eux aussi il aurait mieux valu qu'à l'âge de 14 ans, ils devinssent apprentis boulangers ou plombiers ou apprenties couturières. Au moins, ils ne nuiraient à personne.