"Ces partis déçoivent leurs électeurs potentiels quand ils se trompent d'objectif, sacrifient à l'excès à l'économisme dans leurs discours et s'engagent contre l’Europe, contre la monnaie européenne ou la construction européenne."
Certes, il faut jouer vache sacrée contre vache sacrée, au cas particulier, l'Europe contre l'immigration. Diaboliser qui réclame plus d'Europe contre l'immigration exposerait le parquet à nuancer ses réquisitoires, à admettre qu'il y a de bons et de mauvais européistes, que "le repli" (de l'Europe sur elle-même) n'exclut par "l'ouverture" (des nations sur l'Europe), qu'il existe de bons eurosceptiques (parce qu'immigrationnistes), etc.
Néanmoins, il y a un risque à abandonner, par stratégie, la construction des institutions européennes à l'hyperclasse mondiale dans la mesure où il en est qui rendent tout débat impossible, comme il est impossible, par exemple, de réclamer à la fois plus d'Europe et la fin de la monnaie unique, de réclamer une monnaie commune pour sauver l'Europe.
En effet, qu'une telle idée soit seulement débattue supposerait que le pluralisme soit en vigueur. Or, le panier de crabe demeure encore et toujours l'unique métaphore du pluralisme. Il suffit qu'il y ait débat pour qu'on déclare le pluralisme en vigueur, fût-ce d'une politique unique qu'accouchent les débats.
D'ailleurs, à regarder de plus près, il n'y a aucun débat, décidément rien pour accréditer le prétendu pluralisme de l'hyperdémocratie : chaque parti ne fait que tenir sa place dans l'apologétique bien réglée de l'ordre établi, aux eurosceptiques d'incarner le Mal, aux européistes d'incarner le Bien.
Enfin, sous prétexte de réalisme et de modération, la tyrannie du fait accompli parasite régulièrement les raisonnements. Ainsi, Nicole Catala s'exprimait, un jour, dans le cadre d'un débat parfaitement théorique : "aujourd'hui, on peut dire que, si la république fonctionnait bien, la démocratie s'épanouirait. Car la république est en France la forme d'expression et de réalisation de la démocratie. Notre Constitution s'opposerait d'ailleurs à ce que l'on puisse envisager d'autres formules." Que vient faire ici la Constitution ? En quoi le fait qu'elle interdise ceci ou cela modifierait un raisonnement qui, sans ignorer l'histoire, s'autorise, par définition, à envisager d'autres formules que celle établie par la constitution du lieu et du moment ? Sous cette tyrannie du fait accompli, les débats ne sont donc que des spéculations oiseuses qu'on abandonne bientôt (puisque l'on ne peut sérieusement envisager d'autres formules) pour leur substituer la grande question : êtes-vous pour ou contre la marche des choses selon l'ordre des choses, pour l'Europe ou contre l'Europe ? Mieux vaut être pour, bien sûr, sinon, forcément, on est contre, et c'est dommage... Mais du moment que la grande question est posée et qu'il existe, paraît-il, des gens qui sont contre et qui ont encore un éditeur, preuve est faite que les crabes bougent encore, que le débat est vivant.
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L'assimilation de l'Europe à l'Etat et de l'Etat au gouvernement ressort à l'aplatissement, à l'indistinction hyperdémocratique. L'Union européenne ne contribue donc pas peu à retirer à l'Europe toute substance. Que des sentiments plus européens investissent enfin le machin, s'il n'était pas au plus vite réformé, il est à parier que ces sentiments meilleurs feraient long feu.
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On doit soixante ans de paix à la guerre froide et au dégoût de la guerre que la Première Guerre mondiale inspira aux Français et la seconde aux Allemands. Que les Européens en retrouvent le goût, ils sauront gré à l'Union européenne d'avoir accumulé en soixante ans tous les motifs d'une guerre. D'ailleurs, d'aucuns prétendent, dans un fil voisin, que la France est en guerre mais que personne ne veut le dire.