Cher Alexis,
essayons de ne pas être naïfs.
a) L'administration de l'Education nationale date, pour ce qui est des principes sur lesquels elle est fondée (division du territoire en en "académies" - à leur tête un Recteur, nommé en Conseil des Ministres -, puis en départements, puis en secteurs correspondant à un canton ou à un groupement de cantons : chaque division est dirigée par un inspecteur : d'académie ou primaire), de deux décrets impériaux : 1806 et 1808 (rédigés, semble-t-il, par Fontanes, d'après les directives de l'Empereur) et évoqués par les historiens sous le nom de "refonte de l'Université". A ma connaissance, ces décrets n'ont pas été précédés de débats publics. Tous les régimes qui ont succédé à l'Empire s'en sont accommodés. On en comprend les raisons : l'Education nationale compte près d'un million (ou plus d'un million) de fonctionnaires ou assimilés. La hiérarchie ne doit pas excéder 5000 personnes (directeurs d'IUFM, inspecteurs d'académie, pédagogiques, primaires, généraux, directeurs du ministère). C'est peu. Il est aisé de la contrpoler, en plaçant des "hommes sûrs" (comme disait Jospin) à tous les échelons. D'ailleurs, parmi les innombrables conseillers qui exercent sous la responsabilité du Ministre de l'Education nationale ou du Président de la République, il y en a plusieurs dont la mission est de préparer les nominations de fonctionnaires d'autorité.
b) Un secteur échappait à l'arbitraire politique : l'inspection générale. Or, nous avons appris (c'était en 1984 ou 1985), à la suite de la nomination par Mitterrand comme inspecteur général d'un ancien séminariste défroqué, n'ayant pour diplôme qu'une licence de théologie ou un équivalent de cette licence (des associations ont essayé de faire casser la nomination par le Conseil d'Etat - ou une autre institution), que désormais les inspecteurs généraux ne se cooptaient plus parmi les professeurs de classes préparatoires et anciens normaliens, mais étaient nommés directement par le Ministre. Cela signifiait très exactement que la "pédagogie" n'avait plus d'autonomie (elle n'était plus soumise au jugement des meilleurs pédagogues), mais qu'elle relevait désormais d'une décision politique. D'autant plus que les socialistes ont élargi l'inspection générale en créant le corps des inspecteurs de la vie scolaire. La forme (l'administration) et le fond (les contenus à enseigner) dépendent désormais d'une même et unique instance. Cela a des conséquences dans les recrutements, dans la composition des jurys de concours, dans les carrières, dans les programmes, dans les examens et les concours, etc. C'est ainsi que Geismar a fini sa carrière comme inspecteur général. Deux affaires ont montré l'ampleur du phénomène. En 1994 ou 1995, Bayrou a nommé inspecteurs généraux un de ses amis personnels et son "écrivain" (un poéte qui lui rédigeait ses discours). Certes, il a fait ce que les autres ont institué avant lui. Les socialistes ou leurs affidés ont protesté contre le "fait du prince", prétextant que les deux élus en question n'étaient que professeurs certifiés et que l'un des deux avait été un étudiant médiocre.
c) La "gauche" tient l'école publique pour son bien ou son fonds de commerce, parce qu'elle est porteuse d'un projet messianique qui consiste à refaçonner la société. Dans les années 1970, la conviction dominante était que, pour changer la société, il fallait d'abord changer les hommes; et pour changer les hommes, il fallait éduquer leurs enfants suivant des principes nouveaux. L'éducation est, pour parler comme eux, un enjeu politique majeur. D'où les innombrables lois et réformes depuis un quart de siècle qui établissent une "école nouvelle", matrice de "l'homme nouveau"; d'où la nécessité de contrôler tous les rouages et, une fois le système mis en place, d'en faire la promotion dans les media en occultant les mauvais résultats ou en les relativisant, usant même de subterfuges grossiers : les examens sont maintenus, puisque l'opinion publique l'exige, mais ils n'évaluent plus rien, parce que, s'ils évaluaient la maîtrise de connaissances élémentaires, le BEPC et le baccalauréat, par exemple, se termineraient par des hécatombes.
d) En 1983, la "gauche" a fait le bilan de deux années de gouvernement. Ou elle continuait sur sa lancée et allait à la déroute. Ou elle effectuait un virage à 180° pour "sauver les meubles". Mitterrand a choisi le second terme de l'alternative, obligeant le Parti socialiste à renier tous ses engagements des années 1970. En théorie, les militants et adhérents ayant des convictions auraient dû démissionner. Il n'en a rien été. Les cadres sont restés. Pourquoi ? Au congrés de Valence (en 1981 ou 82), Quilès a parlé de "couper des têtes" : les media s'en sont indignés; la carrière de Quilès a été interrompue net. Mais si la question a été soulevée lors d'un congrès, qui a décidé de la ligne de ce parti pendant trois ou quatre ans, c'est qu'il y avait parmi les militants et adhérents une vraie impatience : de la victoire électorale, ils attendaient leur part de butin. Les illusions envolées, il ne reste plus que les intérêts. Autrement dit, le Parti socialiste n'a pas éclaté ou ne s'est pas vidé de ses adhérents (de toute façon, ils ne sont pas très nombreux), parce qu'il a changé leur vie - en leur ouvrant les portes de la carrière. Actuellement, ce parti compte un peu plus de 200000 adhérents, dont plus de la moitié sont des élus (conseillers municipaux, généraux, régionaux, députés, etc.). Les autres sont, pour la plupart d'entre eux, fonctionnaires d'autorité dans la hiérarchie de l'Education nationale.
e) Darcos (ou, avant lui, Ferry) croit qu'il remédiera au désastre en conservant le système, tel qu'il est. Il est le seul ou quasiment le seul à nourrir cette illusion.