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Autre cas bathmologique : les mères et les mamans, ou qui est petit-bourgeois ?

Envoyé par Thierry Noroit 
Extrait du recueil de nouvelles de Patrick Modiano Des Inconnues paru chez Gallimard en 1999.
Une jeune domestique parle du fils de famille. Province. Années 1960.

Cet été-là, il était venu à Talloires pour une longue permission. Un blond avec une mèche et un visage que mon amie Sylvie aurait trouvé "romantiques". Je l'avais vu à plusieurs reprises jouer au tennis et chaque fois avec une fille différente. D'après ce que j'avais cru comprendre, il était le préféré de sa mère, et lui aussi éprouvait un très fort attachement pour elle.
Avec moi, il se montrait dédaigneux. Un soir, il m'avait demandé, d'un ton sec, de lui servir un jus d'orange. Un matin, d'un air plus aimable, mais comme si la chose allait de soi, de lui cirer ses mocassins. Un autre jour, il m'avait dit : Si vous voyez maman, vous lui dites que je passe la soirée à Genève... C'était la première fois que j'entendais quelqu'un dire : maman de cette manière-là. Moi, si j'avais parlé de ma mère à quelqu'un, j'aurais dit tout simplement : ma mère.

Proust dans sa correspondance écrit assez couramment : « votre maman... » (à ma grande horreur, faut-il le dire, mais enfin je suis obligé de reconnaître le fait). D'autre part “Maman” pour parler de sa mère est assez “gratin” (ce qui n’est nullement une garantie de bonne langue, cf. Basin de Guermantes, justement). Ce qui me semble avoir été, à l’origine, typiquement petit-bourgeois (et donc être aujourd’hui d'usage général, la petite-bourgeoisie étant notre notre grand logothète), c'est “maman” substantif (“la maman de Nathalie Sarraute, etc., ou l'exemple proustien ci-dessus). Je suis plus indigné, dans la phrase citée de votre beau blond, par le hideux et très grossier indicatif “vous lui dites”, au lieu de "dites-lui” ou des polis “veuillez lui dire” ou “ayez la gentillesse de lui dire”.

(Mon Dieu, pourvu que [...] ne repère pas ce fil...)
[...] est, je crois, trop occupé à ne pas lire les livres dont il publie les recensions.
Oh, à part sa mèche romantique, le beau blond a tous les défauts. Il n'est pas étonnant qu'il s'adresse de cette manière hideuse à la jeune fille : ça lui ressemble bien.

Il me semble que la majorité de nos contemporains, s'ils viennent à parler de leur propre mère diront, continueront à dire : ma mère - même si une minorité de plus en plus significative (et irritante) dira : ma maman.

C'est si l'on s'adresse à une tierce personne que la tendance s'inverse. Il n'y aura plus guère que des : votre maman...

Cela fait partie de l'euphémisation des rapports sociaux : on choisira toujours dans ce cas-là, un mot apparemment plus doux, plus chargé de sentiments, plus enfantin, moins net.

C'est tout à fait désolant, confine au ridicule ou même y plonge : "la maman de Nathalie Sarraute"...

Mais suis-je le seul ici que le mot mère gêne un peu, dans sa dureté, sa sonorité, sa pure "génitalité" ?

(message corrigé)
« Mais suis-je le seul ici que le mot mère gène un peu, dans sa dureté, sa sonorité, sa pure "génitalité" ? »

J'espère...

Mais je dois reconnaître qu’on m’a prévenu qu’il y avait de maîtresses d’école pour dire aux enfants qu’un gentil petit garçon ou une gentille petite fille ne disait pas «ma mère» mais «ma maman »...
joli cas ce matin au cours de "ça se dîspute", sur I-télé : la présentatrice, avec un ton tout plein de pathos, nous a parlé de la maman d'une des victimes de Mérah (Zemmour a vite corrigé mais l'a-t-elle remarqué ?)

Et comme un clin d'oeil à notre cher président (Renaud Camus hein, pas François Hollande), Domenach nous a gratifié d'un très beau sur comment ("la mère d'une des victimes de Grenoble a tenu un discours très émouvant sur comment...").

Une bien belle émission.
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