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Communiqué n° 1474 : Sur la mort d’Elliott Carter

Communiqué n° 1474, mardi 6 novembre 2012
Sur la mort d’Elliott Carter

Le parti de l’In-nocence salue avec affection, tristesse et respect la belle figure du compositeur américain Elliott Carter, qui vient de mourir à l'âge de cent trois ans, quelques jours à peine après son confrère allemand Hanz-Werner Henze. La longue et féconde carrière de Carter a fait de lui des décennies durant une des incarnations modernes les plus convaincantes et attachantes de la grande tradition de la musique occidentale, aujourd’hui menacée par la déculturation bien plus gravement que par la crise économique. Son œuvre austère et variée, savante entre toutes mais en même temps vibrante de sentiments et de passions, est l’une des plus sensibles expressions de la communauté de culture qui deux siècles durant et davantage a uni les deux rives de l’Atlantique nord.
En même temps que l'on apprenait la mort d'Eliott Carter était annoncée celle, à l'âge de 96 ans, de l'écrivain sino-belge Han Suyin, née de père chinois, de mère belge, (elle était née, dit-on, et sans que cette date n'ait pu être attestée, en 1916). Cette dame passa le plus clair des six décennies de sa carrière d'écrivain comme chantre du régime communiste chinois. Le métissage chez un individu produit parfois de ces aberrations: un fanatisme forcené dans le parti pris en faveur d'une moitié de soi contre l'autre moitié. Elle chanta la gloire immense de la Révolution culturelle, qui tua et martyrisa des millions d'hommes et de femmes en Chine et réduisit le pays à la misère, et la gloire de Mao, affameur de son peuple, traître à sa patrie (attaquant les armées nationalistes chinoises en lutte contre le Japon).

Le premier mari de Mme Han Suyin était le général Tang Pao-huang, de l'armée nationaliste révolutionnaire de Tchiang Kai-shek; le couple ne fut pas heureux. Selon les dires de la dame, l'homme était brutal, violent et tyrannique. Il fut tué sur le front de Manchourie dans les années 40. Ce mariage malheureux explique-t-il les choix politiques ultérieurs de la dame, sa mise au service, corps et âme, du régime qui compte parmi les plus monstrueux qu'a connus le siècle, pourtant très fourni en la matière ? On ne s'avancera pas à le conjecturer.

On se contentera d'admirer ces images fascinantes de la Chine prises par le photographe américain Sydney David Gamble (1890 – 1968) de 1917 à 1919. Les vrais amateurs de photographies, dont je ne suis pas, nous diront sans doute ce qui l'en est de leur qualité véritable. Quant à moi, je reste subjugué.

Le lien vers ces images, une cinquantaine environ, se trouve ici


Un grand merci, cher Marche.
On notera avec intérêt qu' Elliott Carter avait commencé par écrire une musique largement à racines populaires, et qu'il changea ensuite de style.

AC: How would you describe the kind of music you were working on at that time? (dans les années 30/40)

Carter: A lot of my work from the '30s and early '40s contained elements of jazz and popular music in general. But then I stopped composing that sort of stuff when I realized that this wasn't the reason I wanted to be a composer, and I was tired of it. So I went off and began writing this other stuff which was so hard and complicated. [laughs]


[www.edwebproject.org]
Utilisateur anonyme
07 novembre 2012, 17:05   Re : Communiqué n° 1474 : Sur la mort d’Elliott Carter
Bien plus que « changer de style » (quelle prudente formulation !), sa phrase dit qu'il a, comme tous les grands artistes, décidé de s'arracher aux pénibles genres populaires qui l'ennuyaient et ne le satisfaisaient plus en rien.

Si bien qu'il ne s'est pas contenté de changer de style : il a délesté son oeuvre de ce qui ne relevait pas (ou pas vraiment) de l'art ; il a radicalement changé d'univers intellectuel et esthétique, changé de régime existentiel — bref, il a fait le choix de la musique, de la culture.

On le comprend.
Autre citation d'Eliott Carter:

As a young man, I harbored the populist idea of writing for the public, I learned that the public didn't care. So I decided to write for myself. Since then, people have gotten interested. (*)

Ce qui semble confirmer la thèse que certains défendent ici contre M. Davoudi: à l'origine de "la culture", la soupe populaire, laquelle, dans le cas Carter, fut ratée.

________
(*) Citation extraite de la chronique mortuaire donnée par Margalit Fox au New York Times du 7 novembre 2012
Utilisateur anonyme
07 novembre 2012, 17:23   Re : Un Joe Dassin qui aurait échoué ?
La soupe populaire, dont il faut nécessairement s'écarter, s'extraire, tôt ou tard — je ne dis rien d'autre (et Carter, probablement, non plus).
Soyons crus: si sa soupe initiale avait marché, s'était vendue, Carter n'eût, possiblement, rien fait d'autre de toute sa vie. Il y a donc mille voies pour "accéder à la culture", y compris la voie par défaut de l'échec du populaire. Un enseignement demeure sur la musique créative (plutôt que savante, ou classique) et son ontogenèse: elle manque singulièrement de pudeur quand elle nie son amont (ce qui n'est pas dire "ses origines") populaire.

A propos d'aveu, et du caractère ambigu voire dangereusement vicié de la notion de populaire, et toujours dans ce jeu de miroir entre ces deux morts illustres du même jour, cette citation de l'infâme Han Suyin:

"I'm afraid that some people don't understand my conduct. But it doesn't matter. If one billion Chinese like me and think that I've done good, I don't care about a couple of foreigners who don't understand me".

Outre la xénophobie méprisante, et très remarquable chez cette métisse ("a couple of foreigners" pour un lectorat de dizaines de millions de personnes, son oeuvre ayant été abondamment traduite) : si je plais à un milliard de Chinois décérébrés et qui m'ont à peine lue alors j'ai bon, alors je suis contente de moi. C'est la définition de l'artiste populaire moderne, médiatisé, propagandiste propagandisé. Michel Drucker, on suppose, ou n'importe quel autre pitre audiovisuel pire que lui, pourra rejoindre par de semblables sentences sa consoeur -- il suffira d'y remplacer "une paire d'étrangers" par "une paire d'intellectuels" --, au paradis des artistes faux, et faussement "populaires", quand l'heure aura sonné de sa promotion à la chronique mortuaire des journaux de référence.
Utilisateur anonyme
08 novembre 2012, 12:30   Re : Un Joe Dassin qui aurait échoué ?
Comme quoi l'échec a une grande vertu, celle d'être souvent un haut lieu de l'indépendance d'esprit. L'exemple de Carter, comme celui de tant d'autres avant lui, le montre bien.
Utilisateur anonyme
09 novembre 2012, 10:34   Re : Communiqué n° 1474 : Sur la mort d’Elliott Carter
France Musique rend hommage ce matin, à 11h, au compositeur.

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