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Quand les êtres cultivés deviennent une insulte aux nouveaux "profs"

Envoyé par Marie Bal 
Un professeur, appartenant à cette engeance sûre d'elle détenant la toute puissance de la vérité sur l'autre (je parle des mauvais profs), s'étonne qu'un enfant qui a des réflexions intelligentes pendant les cours de Français ou d'Histoire ne sache pas faire des fractions "plus vite que ça" ou comprendre comment produire des raisonnements grâce à la nouvelle méthodologie qui exclut absolument la pensée et est basée uniquement sur la répétition parfaitement idiote de la chose. Une mère lui répond : "il est tout simplement cultivé, madame." Le professeur se décompose.
Utilisateur anonyme
19 décembre 2012, 11:13   Re : Quand les êtres cultivés deviennent une insulte aux nouveaux "profs"
C'est fort pertinent.

Enseignant la philosophie, j'ai pu maintes fois constater qu'en ce qui concerne les matières "littéraires" quasiment tout le monde s'estime compétent (les élèves les plus mauvais au premier chef) pour reprocher au professeur ses méthodes et critiquer le contenu de ses cours…
Par contre, on s’interroge rarement sur les raisons intellectuelles pour lesquelles tant de jeunes gens, par ailleurs intelligents et curieux, "bloquent" sur les mathématiques. Je parle d’une vraie réflexion épistémologique, qui ne se limite pas aux seules études sur la psychologie génétique de l’enfant (issues de Piaget puis des sciences cognitives), études certes fort utiles mais qui n’ont de pertinence que pour les très jeunes enfants).

Peut-être faudrait-il s’interroger sur le fait que cette matière est trop souvent enseignée comme l'égrenage d'une suite d'évidences, le cours "théorique" (en fait une suite de théorèmes et de consignes...) étant immédiatement suivi d'exercices répétés ad nauseam.
Pour le dire autrement, on fait comme si les mathématiques et les sciences de la nature ne relevaient pas aussi de la culture mais de simples capacités techniques ne réclamant qu’un esprit discipliné et une forme d’intelligence innée. De sorte que rares sont les professeurs (il y en a, heureusement) qui mènent dans leur métier une vraie réflexion sur la nature de l'erreur mathématique.
Pourtant, depuis Bachelard, on sait bien que le progrès dans la connaissance passe avant tout par le dépassement des pseudo-savoirs hérités du sens commun et qu’il faut donner à l’élève le goût de réformer son entendement en lui faisant ressentir cette joie particulière qu’on éprouve lorsqu’on vainc ses limitations intellectuelles.

Il y a là, certainement, une voie de dépassement de l’éternelle et vaine querelle opposant plaisir et discipline dans l’enseignement.
Encore faut-il pour cela ne pas considérer son travail de professeur comme un « boulot » comme les autres…
Il y a là, certainement, une voie de dépassement de l’éternelle et vaine querelle opposant plaisir et discipline dans l’enseignement.

En revanche il n'y a pas de dépassement de l'éternelle et judicieuse distinction pascalienne entre l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie. Nous y sommes en plein.

Cela dit, parler, de la part d'une mère de famille, d'un enfant ou d'un élève cultivé a quelque chose d'inapproprié
et révèle un curieux manque d'usage : un enfant peut être bien élevé, ou travailleur, ou brillant, ou tout ce que vous voulez... mais "cultivé", dans la bouche de sa propre mère, non, cela me paraît du dernier ridicule.
Monsieur Marcy, je vous remercie d'avoir répondu si élégamment et intelligemment à mon intervention. Il se trouve que c'est exactement le sens de mon propos. Pour moi la culture n'est autre que ce "goût goût de réformer son entendement" qui fait "ressentir cette joie particulière qu'on éprouve lorsqu’on vainc ses limitations intellectuelles". C'est fort bien exposé.

Monsieur Noroit, j'exprimais mon énervement face à la rage constante qu'éprouve les professeurs d'un niveau plutôt médiocre devant le mot culture. Ridicule ou pas, je pense qu'une mère a parfaitement le droit de penser qu'elle n'a pas inculqué à son fils le sens de l'idée reçue et que bien au contraire – les professeurs reconnaissant eux-même que la plupart des élèves aujourd'hui ne comprennent pas ce qu'ils lisent même lorsqu'ils lisent vite – c'est comprendre ce qu'on lit et chercher le raisonnement qui crée le dépassement, qui prouve la présence, en germe ou non, d'une culture. Mais ce mot fait frémir, c'est bien cela entre autre qui m'inquiète, sa définition semblant prisonnière dans un flottement dangereux pour les générations futures et penchant plutôt du côté du QCM que du dépassement intellectuel ou de la transmission de ce goût. Avoir de la culture implique une ouverture à d'autres raisonnements que celui qu'on vous livre en boîte. De plus ce professeur concluant qu'il y a là de la part de cet élève un manque de travail, ce qui était faux en l’occurrence, la culture semblait effectivement le mot le plus approprié, au sens où je l'entends et qui est celui de la joie du dépassement dont parle très bien monsieur Marcy, sans rentrer dans le débat sur la non distinction entre la finesse et l'esprit de symétrie dont je vous remercie de me rappeler qu'il existe.
J'ajoute que malheureusement toutes les matières sont aujourd'hui enseignées de plus en plus dans le sens de cet apprentissage stupide, alors que de la façon la plus contradictoire du monde une ambiance diabolique règne pendant les cours où aucun ne peut se dérouler sans qu'il s'agisse d'incessantes recherches sur le lanceur de gomme, le faiseur de bruit et j'en passe. Dans ces conditions, comment peut-on prendre de haut les parents en leur expliquant qu'il n'y a qu'une explication à de mauvais résultats en mathématiques pour un élève pertinent dans ses remarques en français et en histoire, c'est qu'il ne travaille pas ? L'affaire serait des plus comiques si elle ne relevait pas de la plus grande malhonnêteté intellectuelle.
Madame Bal, sur le fond, bien entendu, tout le monde, ici, tout comme moi, sera vraisemblablement d'accord avec vous. Mon intervention portait sur une question de forme, et peut-être même un peu plus. La culture, tout comme l'in-nocence, au sens où l'entend Renaud Camus, est un but à atteindre ; un idéal lointain, infiniment exigeant. On n'a pas trop de toute une vie (en y ajoutant l'apport de tous les siècles passés) pour tâcher de s'en approcher un peu. Alors, affirmer de soi-même ou de son enfant qu'on est ou qu'il est "cultivé", sans autre forme de procès, me paraît bien osé et bien schématique. Ce n'est pas parce que nos adversaires, à l'école et ailleurs, sont sans doute barbares et sans nuances, qu'il faut se gargariser, sans aucune nuance non plus, d'une "culture" qu'on n'a jamais fini de commencer à s'approprier, si j'ose dire.
Certes, je suis de votre avis sur cette emportement trop colérique et offrant une vision systématique à ce qui ne se complaît nullement dans la conformité. Il m'arrive de perdre patience face à l'éducation nationale.
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