« Faut juste pas dramatiser les choses » (chef d’orchestre, sur France Musique).
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« Le gouvernement obtiendra un accord et s’il n’obtiendra pas d’accord il… » (Jean-Claude Casanova, président de la Fondation des Sciences Politiques, “La rumeur du monde”, France Culture)
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« Moi je partage assez le souci de Jean-Claude Casanova sur est-ce que tout ça va suivre… » (“La rumeur du monde”, France Culture)
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« Je suis assez d’accord avec Jean-Claude Casanova sur quelle sera la suite » (Id.)
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Après cette brillante mise en bouche venait aujourd’hui, toujours sur France Culture, donc, l’émission de mon grand ami Sylvain Bourmeau, qui recevait un sociologue dont j’ai oublié le nom, tant mieux pour lui, auteur d’un ouvrage dont j’ai oublié le titre, à propos des “banlieues”. À vrai dire, sociologue pour sociologue, celui-là n’était pas de la pire espèce. Mais je ne peux m’empêcher, (presque) chaque fois que j’en entends un, de voir sa discipline comme une pauvre petite fille retardée mentale et aux trois-quarts aveugle qui tenterait de déchiffrer des bandes dessinées en s’aidant d’une énorme loupe grossissante collée sur le papier, et qu’elle toucherait du front ; ou bien, pour prendre une image plus aimable, disons qu’elle fait penser à la fameuse (et admirable) statue de la cathédrale de Strasbourg, la Synagogue, avec son bandeau sur les yeux…
Le plus extraordinaire est que ce qui l’aveugle, c’est le scrupule scientifique, je le crains — passablement mélangé, il est vrai, de scrupule idéologique, l’un ayant revêtu la défroque de l’autre. Ces gens ne voient pas ce qui survient, et qui est énorme (le changement de peuple, le Grand Remplacement, la guerre civile, très peu civile mais de moins en moins larvée), parce qu’ils ont le chef encombré d’appareils de précision, comme cette femme d’une très ancienne publicité pour une marque de lunettes, Lissac, si je ne me trompe ; et parce que leur langage est aussi riche de mots qui ne servent à rien que d’interdits absolus sur ceux qui ont encore une prise sur le réel. L’invité de Bourmeau a été félicité, ou jugé bien audacieux, je ne sais, pour oser parler encore de
banlieues — belle performance il est vrai. Et il lui reste assez de lucidité pour reconnaître que l’expression
quartiers populaires, il en convient de façon charmante, « ne dit pas tout à fait assez » ; moyennant quoi il semble résigné à dire
les quartiers, abréviation pudique pour le ridicule
quartiers sensibles, et dont l’absurdité sémantique est patente (Saint-Germain-des-Près, le Marais, Beaugrenelle, est-ce que ce ne sont pas aussi des quartiers ? mais il est tacitement convenu que ce n’est pas d’eux qu’il s’agit…).
Comment ces malheureux pourraient-ils dire quelque chose alors que, par convention préalable, ils ne peuvent employer que des mots qui ne nomment pas ce qu’ils désignent ? C’est comme s’ils essayaient de jouer au billard avec des branches de pruniers.
On dira que je suis trop sévère avec eux, et avec la sociologie moderne en général : injuste, partiel, incompétent. Mais je me sens à l’abri de ces reproches parce que tous ces beaux experts finissent toujours, trente ans après tout le monde (
tout le monde sauf le complexe médiatico-politique, bien entendu), par reconnaître, contraints et forcés, et non sans quelques ultimes palinodies, qu’ils se sont trompés, qu’ils ont nié trop longtemps des évidences qui n’étaient pas niables. Même Muchielli a fini par admettre qu’il y avait bien une “surdélinquance des jeunes issus de l’immigration”. Et celui de l’émission de Bourmeau a daigné lâcher,
mirabile audu, qu’il y avait bien une dimension
ethnique aux problèmes des quartiers, qui avait été passée sous silence pour des raisons qui et des raisons que — si c’était pour en arriver là, il aurait mieux fait de nous écouter à la fin du siècle dernier, Mme Michu et moi.