« Conserver, c'est très bien, c'est très beau et, de nos jours, très méritoire. Mais un conservateur avisé ne conserve pas n'importe quoi. »
Vaste proposition, qui pourrait passer pour le cœur de la question actuelle.
Si je me suis permis d’accoler une de vos assertions sur le mariage, la famille, avec une phrase extraite du récent discours de Camus, c’est que je sens qu’elles font assez bon ménage dans le « corpus idéologique » de l’In-nocence, alors que j’estime qu’elles sont difficilement compatibles. Du même discours, j’aurais dû citer une autre phrase, celle-ci : « Il faut refuser de changer de calendrier, il faut refuser de changer de langue, il faut refuser de changer de costume, de visage, d’horaires, de nourriture, d’interdits, d’histoire, de passé, d’avenir, d’être, d’identité. »
On tient là, en quelque sorte, la liste des choses à conserver. Pas un mot clairement audible (mis à part, peut-être, en tendant vraiment l’oreille, sous la forme d’une référence aux « interdits » dont il ne faudrait pas changer), adressé en faveur du maintien des institutions familiales sur lesquelles s’est bâtie notre civilisation. C’est, à mon avis, un point aveugle du discours, qui me laisse entrevoir chez l’orateur une sorte d’acquiescement au jugement que vous portez sur le mariage « classique » et la famille que, selon vous, « les Européens ont dépassées depuis belle lurette,
à juste titre… »
Sur la question du «mariage pour tous », vous préconisez un retrait « sur l’Aventin ». On aurait beau jeu de vous plaisanter sur le choix de cette formule, vous qui tranchez du « vermoulu » et du « ringard », en vous faisant observer que, s’il fallait juger de l’opportunité du maintien des formules d’après la quantité de personnes susceptibles d’en saisir le sens, celle-ci serait bonne à mettre dans les sous-sols du musée, bien plus encore que le mariage « classique »… Mais non, elle ne fait pas partie, puisque vous l’employez, fût-ce plaisamment, du « n’importe quoi » que le conservateur avisé cesse de conserver, dans son bon tri. Trêves de plaisanterie.
La position de l’In-nocence, à travers les interventions de son président, ne manque pas d’être inédite. Un parti politique soucieux du maintien des traditions qui ont fait la patrie qu’il entend défendre, un parti inlassablement attaché à son passé, à son identité séculaire et à sa civilisation, un tel parti a-t-il jamais prospéré sur la base d’une quasi-absence de soutien vibrant à la famille, voire une acceptation sans nostalgie à l’égard de sa disparition programmée ? Je crois que c’est un cas unique, assez caractéristique, somme toute, d’une tournure d’esprit très contemporaine.
Dans cette façon de considérer d’assez haut, ou du seul point de vue de « l’enfumage » spectaculaire, les questions de l’évolution de la famille et du mariage, on pourrait déceler une sorte de « post-modernisme » à l’œuvre, peut-être même de « trans-humanisme »
par omission. Car c’est refuser d’envisager la suite absolument logique du « mariage pour tous. », qui est d'aller au bout de la dissociation, entamée au XXème siècle, entre sexualité et reproduction et, par conséquent, de modifier radicalement la condition humaine. Au fond, c’est peut-être cela, le « conservatisme éclairé », le progressisme passéiste qui caractériserait la pensée in-nocente...