Merci pour cette belle intervention. Elle m'incite à proposer ici cette réflexion :
Rhétorique du stigmate
Quelques traits et chausse-trapes de la novlangue post-moderne
— Libérons la parole
Le système de pouvoir en place a des ressorts matériels ; mais sa solidité à long terme dépend d'un travail sur les consciences, car il n'y a de servitude durable que volontaire. Or cette maîtrise des représentations dépend notamment d'un contrôle du langage. Pour une part essentielle, notre asservissement ou notre liberté se jouent dans une bataille de mots, et dans les "mythologies" qu'ils instituent. Aussi est-il crucial, si l'on veut fonder une véritable résistance politique, de percevoir et dévoiler les pièges de la "novlangue" qui nous aliène. Les notions de stigmatisation et de discrimination sont parmi les plus efficaces et les plus signifiantes de ces armes. Nous commençons donc avec elles un "dictionnaire des idées reçues" de notre temps, quitte à relever au passage quelques autres joyaux de la bien-pensance, objets de travaux futurs. Les italiques de ce texte sont autant de croix sur les arbres malades de la langue.
— Racisme policier, violence scolaire
Pour avoir voulu justifier la pratique des contrôles d'identité de la police, accusée de racisme, en indiquant une corrélation entre origine ethnique et délinquance, Éric Zemmour a été condamné par la justice. En stigmatisant ou discriminant ainsi certaines communautés, il est devenu pour toute la caste médiatico-politique l'incarnation du Mal qui menace l'unité républicaine et le vivre-ensemble. Qu'un ancien ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, confirme à son procès que "plus de 50% des infractions constatées sont imputables à des jeunes dont le patronyme est de consonance africaine ou maghrébine" importe peu aux yeux de ces censeurs. Il est interdit, parce qu'irresponsable, de relever cet aspect là du réel ; et il serait criminel de prétendre agir en fonction de ce constat. Par une incohérence typique de cette magistrature morale, la même corrélation peut très bien être relevée tous les jours par les bien-pensants, dans leurs reportages, éditoriaux et manifestes (c'est tout un). Il sera même très bien vu d'insister sans cesse sur elle à tout propos : il suffira que ce soit pour critiquer le cynisme de l'État ou le racisme des Français qui conduisent nos concitoyen-ennes issu-e-s de l'immigration à la misère économique et à ses malheureuses conséquences en termes d'incivilités.
À l'école, ce qui est mal, c'est d'infliger aux mauvaises copies de mauvaises notes, ou de prétendre sanctionner les comportements perturbateurs. Si tel ou tel ne travaille pas ou empêche les autres de le faire, s'il insulte ou moleste son professeur, c'est là le signe d'un mal-être, d'un appel au secours, et il convient d'y répondre par le pardon des offenses. Il est ainsi quasiment impossible aujourd'hui d'exclure un élève dont le comportement perturbateur prive ses camarades de l'instruction ; presque utopique aussi d'envisager d'empêcher de passer dans la classe supérieure celui qui ne travaille pas et n'apprend rien. Les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres se sont employés à dégrader l'institution et le statut de "maître". Les réformes successives, de droite comme de gauche, ont institutionnalisé l'impuissance de l'école face aux revendications des élèves et des familles. À la moindre velléité de soutenir la dignité de l'institution et de lui permettre d'accomplir sa tâche, les belles âmes qui gèrent l'éducation nationale interviennent. Elles expliquent aux professeurs stagiaires, tableaux statistiques et menaces de non-titularisation à l'appui, que le redoublement et les exclusions engendrent discriminations et échec scolaire. Il ne leur viendrait pas à l'idée que ces décisions puissent déjà être l'effet d'un échec ; et la distinction entre causalité et corrélation leur paraît sans doute un dangereux archaïsme. Déjà, la mauvaise note ou la simple observation stigmatisent ces jeunes en souffrance et cette humiliation est la cause de leurs difficultés d'intégration : vous allez bousiller sa vie, à ce gamin ! Comment voulez-vous, en outre, qu'ils respectent une institution dont ils ne se sentent pas aimés ? — Si par surcroît de félonie, il se trouve que les mauvais résultats et les réprimandes concernent davantage les élèves de certaines communautés, il ne faudra pas s'étonner des révoltes citoyennes qui mettront à sac les représentants de ce racisme institutionnalisé. Ainsi l'éducation nationale vogue imparablement vers le modèle idéal des réformateurs : l'école des fans. Encore cette dernière admettait-elle la valeur du désormais sacrilège, car discriminant, travail à la maison.
— La novlangue mise en pièces
Ces deux exemples pourraient être rejoints par de nombreux autres, mais ils permettent déjà d'apercevoir que le discours de la stigmatisation constitue une rhétorique clef-en-main, capable en tout domaine de disqualifier l'interlocuteur contrariant. Essayons de livrer une première analyse des principes et du fonctionnement de cette arme absolue de langage.
1. Les bons et les méchants.
La caractéristique fondamentale du discours sur la stigmatisation, c'est qu'il vous place dans la position du bon, et votre adversaire dans celle du méchant. Le stigmate est la marque d'infamie imprimée aux esclaves ; c'est aussi le résultat du traitement inique réservé au Christ, au plus juste et doux et au meilleur des hommes, par les bourreaux de l'Empire Romain. Bien sûr, la dernière et la plus horrible de ces marques d'infamie est l'étoile jaune des Juifs promis à l'extermination. Dénoncer la stigmatisation, c'est se donner le beau rôle, et le plus confortable, qu'aiment tant nos bien-pensants : celui du résistant contre la tyrannie, quand la tyrannie n'est plus là.
2. L'idéologie pure.
Ou bien la tyrannie serait-elle encore-là ? Sans doute, nous dit-on puisque le ventre est encore fécond, etc. Nous touchons ici une deuxième propriété du discours de la stigmatisation : c'est une vision du monde purement idéologique, délirante, qui ne se laisse affecter en rien par le réel. Pour ramener l'adversaire au Mal absolu, on pratiquera les déformations et les inversions nécessaires, on tordra les mots et l'histoire tant qu'il faudra. Un contrôle d'identité dans un État de droit sera la preuve du fascisme d'un État raciste. L'École républicaine, en offrant la même instruction à tous, n'aura pour but que d'humilier et d'exclure les enfants des classes défavorisées.
3. Le devoir d'ignorance.
Le troisième trait de ce système d'accusation découle immédiatement du précédent : puisque le réel pourrait remettre en cause les positions de ce jeu de rôle où l'on sait d'avance qui sont les bons et les méchants, il existe un impératif catégorique d'ignorance. Ne pas voir ce qui du réel est malséant, s'empêcher de penser tout ce qui pourrait heurter l'idéologie officielle : cette auto-censure est un devoir citoyen. C'est la prise de pouvoir de la morale — et quelle morale ! — sur la vérité. Celui qui ose voir le tabou, qui ose le décrire, ou pis, agir en fonction, doit se sentir moralement coupable ; il le sera sinon juridiquement. Malheur à celui qui, après un dérapage, ne se laisse pas mener bien vite à résipiscence par l'exposition en place publique et le harcèlement bien-pensant. Il sera, pour le coup, marqué d'infâmie médiatique, juridique, si possible sociale et économique : des associations subventionnées y pourvoient. Le système expose d'ailleurs en toute bonne conscience son hostilité envers la pensée. Cette "provocation à la discrimination" qui permet de condamner Zemmour est une excellente définition de la philosophie, de la raison ou de l'esprit critique. "Discriminer" c'est "discerner", choisir rationnellement en fonction d'un "critère". Ces termes proviennent du grec krinein, désignant l'exercice du jugement libre et réfléchi. Mais de la plus noble des activités humaines, aujourd'hui comme au temps de Socrate, on fait un crime.
4. La chasse gardée de la représentation du monde.
Que le réel soit tabou ne signifie pas qu'il ne sera jamais évoqué : mais il le sera selon les rites appropriés, par les grands prêtres de l'idéologie établie — du présentateur vedette qui a ses opinions aux sociologues, philosophes, et autres intellectuels organiques d'État — parce qu'ils sauront toujours le conduire à une nouvelle consécration du dogme. Leur tâche consiste à nous faire oublier la logique et à nous empêcher de voir ce que nous voyons. Nous ayant fait perdre le sens et les sens, ils leur substitueront une représentation inversée du réel, conforme à l'idéologie. À grand renfort d'études sophistiquées, ils démontreront sur demande que la délinquance baisse et que son augmentation repose sur l'absence d'une politique de la ville, qu'à l'école le niveau monte et que sa baisse justifie toujours davantage de nouvelles réformes, qu'il n'y a pas d'augmentation de l'immigration et que cette augmentation est une chance pour la France, que la surdélinquance des immigrés n'existe pas et qu'elle est due au racisme des Français, etc...
5. L'irresponsabilité des bons, c'est-à-dire des délinquants.
Les enquêtes des sociologues, les prescriptions des réformateurs de l'École, les avis des commissions des droits partent d'un même principe absolu d'innocence. Le mal que font les délinquants n'est pas un mal, c'est une saine preuve de vitalité ; mais de plus, ce mal n'est pas de leur fait. Ils sont les victimes d'une société injuste, qui les enferme dans un rôle et les exclut. Cette culture de l'excuse, en même temps que cette imperméabilité au principe de contradiction, provient en droite ligne des exploits des sophistes et rhéteurs de l'Antiquité. L'Éloge d'Hélène de Gorgias, qui présente la belle cause de la guerre de Troie comme victime, au choix, des hommes, du destin, de la persuasion ou de ses désirs, est le modèle universel d'analyse et de revendication de nos défenseurs des droits de l'homme. Ils présentent ainsi les objets de leur compassion comme de pures mécaniques incapables de toute décision libre et rationnelle. Que pour les affranchir de toute justice ils les ramènent au statut d'animal ou d'objet, conformément aux pires des racismes qu'ils prétendent combattre, cela ne les effleure pas.
6. La culpabilité des méchants, c'est-à-dire des honnêtes gens.
Les méchants, ce sont ceux qui osent désirer des conditions de vie et de travail décentes et prétendent demander aux jeunes sensibles des banlieues, ou aux gamins plein de fougue des écoles, de respecter règlements et lois, la tranquillité ou la vie d'autrui. Depuis leurs quartiers bourgeois et leurs chaires subventionnées nos autorisés de parole se plaisent à renverser l'acte d'accusation : les bons élèves et les travailleurs paisibles sont la cause de la stigmatisation des autres ; leur souffrance est imaginaire et leur plainte immorale, rance, nauséabonde. Les mêmes trésors d'ingéniosité sophistique qui sont déployés par les belles âmes pour innocenter les délinquants servent à noircir le petit peuple qui tient, de façon tout à fait réactionnaire sinon fasciste, à garder une morale, et ne parvient pas à saisir le sens que les sociologues de la banlieue et pédagogues donnent au mot progrès. C'est un honneur de représenter ce peuple ridiculisé par les médias et écarté du pouvoir pour son archaïque sens des principes.
7. L'État grand méchant.
Il y a toutefois, au-delà des coupables ordinaires, une source absolue de l'injustice faite aux délinquants. Ce pelé, ce galeux d'où venait tout le mal, c'est l'État. Il tient ce rôle du parfait méchant, dont dépend le succès des meilleurs scénarios. Il y a là une vulgate gauchiste et chrétienne, qui n'a certes compris ni Marx ni Matthieu. Si les délinquants, les réprouvés, sont les agneaux dont il faut consacrer l'irresponsabilité, inversement l'institution est le Mal. Elle aura beau faire amende honorable et déverser à flot continu ses subventions sur les sensibles et les résistants, ce ne sera que prétexte à nouveaux mépris, nouveaux crachats.
8. L'institution émasculée.
La rhétorique de la stigmatisation n'interdit pas seulement aux individus de voir, mais à l'État de faire. Le discours agité par des associations militantes est devenu le droit. Les réformes établissent chaque jour un peu plus ce monde idyllique dans lequel les forces de l'ordre ne peuvent employer la force ni rétablir l'ordre, ni les professeurs professer. Les circulaires et les lois, en dernier recours les chartes et cours de justice européennes organisent l'apraxie des institutions et de leurs représentants. On applique une conception hémiplégique des droits de l'homme, qu'on sacralise abstraitement en oubliant la somme de devoirs et de volonté qui seule peut leur donner sens. La Justice et l'Éducation accablent sans cesse l'institution et ses représentants de nouveaux devoirs, munissent toujours ceux qui s'y opposent de nouvelles prérogatives. On organise ainsi pratiquement l'impunité des délinquants et des petits caïds et, à l'école comme à la ville, on sacralise les revendications et prédations particulières au détriment du bien commun. La police ne peut plus guère vérifier une identité, ni l'école un travail ; les représentants de l'institution, insultés et agressés, sont sommés par l'institution de tendre l'autre joue. Malheur pourtant à celui qui prétendrait changer cela : c'est un dangereux extrêmiste. Aussitôt les médias bien-pensants poussent des cris d'orfraie, se décrètent remparts de la liberté et appellent à la résistance contre le fascisme.
9. L'État grande maman.
L'État semble donc la seule menace contre la liberté. Il faut cependant remarquer qu'on prend bien garde de rejeter absolument ce grand Satan, car il est bien utile. Là encore, on sait faire fi de la logique au nom de l'intérêt. On organise l'omniprésence de la sphère publique, en même temps que son impotence. Plus précisément : on lui accorde tous les pouvoirs nécessaires — pour se mettre au service des intérêts particuliers. Jamais il n'y a eu autant de lois, de directives, de normes ; jamais moins de sens du bien commun. Dans le monde éthéré de la gouvernance, il n'y a pas de principe national ou moral : seulement le règne des lobbies, des opinions, des communautés. Cela peut certes organiser le plus strict contrôle des individus, de leurs actes et de leurs consciences ; mais c'est par un principe maternel, enveloppant. La logique horizontale des besoins et des passions de la société civile n'est pas moins contraignante que l'autorité verticale, paternelle, de l'État. Mais celui-ci a fait son temps, du moins sous sa forme classique, souveraine. Pour obtenir sa grâce, ce grand coupable de l'histoire doit servir et cajoler ses différents princes, répondre à leurs petits caprices ou à leurs grosses colères, proposer ses services, ses médiations, ses consolations (sonnantes et trébuchantes). De ce statut ancillaire, il est dit qu'il ne sortira pas, nous dit-on, sous peine de revenir au totalitarisme et aux heures les plus sombres de notre histoire. Cette histoire, on en veut plutôt la fin, et on l'obtient par la déconstruction du principe étatique et national.
10. Politique du suicide.
Le paradoxe, et la tragédie politique de notre temps, est que l'État lui-même organise sa propre destitution et vassalisation. Il rémunère ou subventionne les professeurs, éditorialistes et militants de la bien-pensance qui le calomnient nuit et jour du haut de leur magistère moral auto-proclamé. Il entérine dans le droit les présupposés gauchistes et victimaires qui le privent de toute capacité d'action. Sous le contrôle des gardes rouges de la stigmatisation, l'École ni la Justice ne peuvent fonctionner. Mais rien ne peut en fait subsister du contrat social ni de la politique : si évaluer un travail ou un comportement est par nature illégitime, violent, élitiste, raciste, il ne reste qu'à laisser les individus à leurs propres évaluations irresponsables. Ce relativisme intégral organise la pire société qui soit, si l’on peut encore appeler société cet état de nature où se heurtent à l'infini les pulsions et les intérêts de chacun. Que l'État se saborde ainsi lui-même paraît à peine croyable, mais force est de constater en lui cette tératologique haine de soi. La politique de l'État actuel n'échappe au néant de volonté que pour devenir volonté de néant. Il sait abandonner la mollesse qui le fait mépriser par les délinquants de tous ordres ; mais ce qu'il est capable de faire appliquer sans faille, ni discussion, ce sont les dogmes européistes, mondialistes et économistes qui organisent sa disparition. Ainsi les seuls principes qui nous gouvernent encore sérieusement, au-delà de l'agitation orwellienne des télécrans, perpétuent l'auto-abolition de la sphère étatique.
11. La résistance du réel.
Il est surprenant, dans la situation actuelle, que certains jeunes des territoires perdus de la république — sinon de la république tout entière perdue — continuent à respecter le bien commun et se lèvent pour aller travailler, au lieu de récriminer, toucher les allocations et vivre de la délinquance. De même, il est réconfortant que des élèves étudient encore scrupuleusement à l'école, mais on se demande bien pour quelle raison : l'institution s'interdit de les valoriser ; elle accorde plutôt une priorité absolue à ceux qui se consacrent à moquer et empêcher leur labeur. Ces restes archaïques d'une époque révolue, qu'on les pardonne aux réformateurs de la Justice et de l'Éducation : ils n'en sont certes pas responsables. Et voilà pourquoi il faudra de nouvelles réformes... — Ou bien, peut-être : voilà pourquoi le parti de la réforme nihiliste ne peut l'emporter. Malgré sa poigne étreignant depuis plus d'une génération désormais le corps social, il ne peut que s'emporter chaque jour de plus en plus violemment contre les relents archaïques de principes maudits. L'idée hérétique selon laquelle on doit valoriser les bons comportements et sanctionner les mauvais, aussi fétide et moisie soit-elle, persiste étrangement. Quelques décennies de progrès n'ont pas entièrement éradiqué des reins ni des cœurs populaires ces principes moraux millénaires, à la grande rage de nos précheurs cathodico-numériques. Leur posture de supériorité absolue sur tous les temps et les peuples est en fait le signe de leur solitude. Malgré toute leur puissance et malgré tous leurs ravages, leurs imprécations sont dérisoires : le faux ne peut que se détruire lui-même ou se briser contre le réel.
— L'impasse relativiste
"Tu ne jugeras pas." Voilà l'alpha et l'omega de notre société post-moderne. Ce commandement généreux a ses lettres de noblesse comme principe fondateur des plus belles pages des sciences humaines, des meilleures inspirations religieuses, des sentiments humains les plus nobles. Mais prétendre fonder entièrement à partir de lui une civilisation bien-pensante, c’est s’interdire à la fois l’accès au bien et à la pensée, et se nier en tant que civilisation.
On ne doit pas condamner un homme à cause de sa couleur de peau ou de son origine sociale, est-il sans cesse proclamé. Oui-da, on ne doit pas juger de façon irrationnelle, nous en sommes bien d'accord. Cependant, qui ne l'est aujourd'hui en France ? Et c'est cet État républicain tant honni qui le garantit. Mais bien sûr, il ne s'agit pas de cela : en faisant semblant de se tromper de lieu ou d'époque, en prétendant s'indigner des préjugés racistes des penseurs les plus droits ou des politiques liberticides de notre État bonasse, nos bien-pensants ne visent pas les seuls sophismes d'un racisme de caricature, mais la possibilité même de l'évaluation morale ou politique.
La logique n'étant pas leur fort, ou plutôt sa corruption étant leur petit faible, ils confondent allègrement proposition contraire et contradictoire. De ce qu’on ne doit pas condamner à cause d’une origine, ils concluent doctement qu’une origine préserve de tout jugement. Et toute origine, toute particularité, pourra justifier d’une telle immunité : ethnique, sociale, sexuelle, etc... — à l’exception du détestable Français moyen.
Mais aucune civilisation ne peut se passer durablement d'un rapport au vrai et au faux, au mal et au bien. Cette capacité à juger est bien plutôt ce qui la constitue en tant que civilisation. Le relativisme forcené qu'on prétend nous imposer est mortifère : on le voit bien dans la haine de soi, la volonté d'en finir avec toute souveraineté et toute puissance, le désir de repentance et de honte qui animent les discours et la politique de nos élites. Mais pour nos experts de la gouvernance, il ne s'agit nullement d'être relativistes avec conséquence ; car si les jugements sont interdits et criminels, c'est à l'exception du leur, qui est la loi et les prophètes. A-t-on jamais autant pourchassé les pensées déviantes que dans cette époque relativiste, au nom même de l'abolition de tout jugement ?
— Le moment politique
La rhétorique de la stigmatisation a une grande utilité pour les défenseurs du système. Elle leur permet d'immobiliser l'adversaire par la terreur : chaque fois qu'il prétend lever un coin du voile de l'idéologie, il est disqualifié comme raciste, ennemi des faibles, bourreau des déshérités. Mais cette arme de langage va bien au delà d'une astuce d'orateur : elle exprime le tabou du jugement.
C’est une histoire de balancier : la génération 68 a tant voulu lutter contre les restrictions, parfois réelles, que l’ancienne société imposaient à la liberté individuelle, qu’elle a consacré les paralogismes qui détruisent en son fondement la possibilité du jugement moral et de l’action politique. C’est en promettant de destituer ces dogmes relativistes, en critiquant la culture de l’excuse, en faisant droit à la victime et non plus seulement au délinquant, que les discours de Guaino ont fait élire le précédent président en 2007. Ces discours, attendus et entendus, avaient suscité un réel espoir populaire. Mais une fois qu’ils ont tenu leur rôle, on ne s’en est plus soucié : cet hommage du vice à la vertu n’était dû qu'à notre apparat démocratique. L’élection passée, on se remit à servir les intérêts de l’élite mondialisée et des groupes de pression communautaires. Et les cyniques-libéraux donnèrent la main aux benêts-libertaires pour continuer de détruire la souveraineté nationale et la faculté de juger.
L’interdit du jugement qui est à la base de nos sociétés post-modernes les conduit nécessairement à leur fin. Que ce soit non pour le pire mais pour le meilleur, que la perte du post-modernisme n’entraîne pas avec elle une civilisation millénaire mais laisse place à de nouvelles aurores, voilà notre tâche politique. Contre le relativisme qui sacralise les caprices de l’individu et du groupe communautaire, l'utilité et la vertu nous commandent d’une même voix de défendre et illustrer les idées du Juste et du Bien, en un mot de la politique. Les principes mêmes de la réflexion morale, qui ont été honorés par tous les siècles avant d’être bafoués par nos prétendues élites, vivent encore dans la plupart des cœurs populaires. Par leur majorité, ils peuvent nous conduire au pouvoir ; par leur vérité, ils sauveront la France.