Je crois me souvenir que Bricmont et Sokal démontraient, pour ce qui est de Lacan, que l'utilisation que celui-ci faisait de la notion mathématique ou de topologie de "tore" et de tous autres les concepts (ou notions) de topologie relevait au mieux de la fumisterie poétisante, au pis, comme les oracles dans les anciennes religions, de la tromperie ou de l'abus de confiance.
Lacan a les apparences contre lui : un style un peu précieux, souvent obscur et incompréhensible, de belles formules, dont on se demande si elles ont un sens (l'inconscient est structuré comme un langage, un discours qui ne serait pas du semblant), le pillage auquel il se livre et qui semble gratuit des dernières notions ou concepts mathématiques, etc. Dans les années 1980, des psys invitaient à Bologne chaque mois un membre français (ou européen) de l'école dite lacanienne (souvent, un chargé de cours à Paris VIII), pour y exposer une notion propre à la théorie de Lacan ou à la révision que Lacan faisait de la théorie freudienne. 4 h le samedi matin ou le samedi après-midi. L'institution où avaient lieu les séances de ce "séminaire" (l'inscription coûtait très cher) était déserte. De 30 à 40 psys y assistaient : visage grave, fermé, comme s'ils contemplaient leur espace intérieur, ils avalaient la parole (rigoureusement incompréhensible : j'ai suivi un séminaire pendant une heure) du conférencier, comme des croyants l'hostie. C'est une des expériences les plus désagréables que j'aie faites de fanatisme intellectuel.
De Lacan, je n'ai réussi à lire que des extraits de sa thèse de doctorat en médecine (publiés dans la livraison que la revue l'Arc a consacrée à Lacan au début des années 1970) : c'est la description du "cas Aimée", une paranoïaque érotomane qui écrivait beaucoup et assez bien; l'analyse qu'en fait Lacan, quand on la lit en amateur, est claire et plate et elle semble insignifiante.
Or, il se trouve que j'ai eu pendant quelques années pour collègue un maoïste ou ex-mao, pur et dur, de la GP, qui avait suivi les séminaires de Lacan à l'ENS et qui était capable d'exposer l'essentiel de la théorie clairement (le travail de l'inconscient se fait, non pas avec des contenus, du sens, des signifiés, mais avec ou sur des signifiants, des formes, des structures, et que tout signifiant peut valoir pour tout autre signifiant ou qu'un signifiant en cache toujours un autre et même beaucoup d'autres : des chaînes de signifiants). et surtout de rendre compte de textes ou de faits de langue en recourant aux concepts lacaniens : c'était subtil et parfois lumineux. C'est pourquoi j'éprouve toujours quelque scrupule à me gausser (ce qui serait ma pente) de Lacan.
Il reste une énigme. Lacan, qui avait conservé, semble-t-il, de la sympathie pour les royalistes et "l'extrême droite", aurait dû être étiqueté, suivant les règles verbales de l'après-guerre, "affreux réac" - comme Blanchot et Pichon (celui du Damourette et Pichon). Non seulement cela ne lui a jamais été opposé ou reproché, mais il a été perçu comme un subversif ou un révolutionnaire et il était tenu par les maos ou par les intellos de l'ultra gauche comme un maître à penser. Comprenne qui pourra.