A force de multiplier les "catégories" distinctes de l'islam, telles que islams au pluriel, islamisme, islam politique, islam modéré, islamisme modéré, et maintenant islamisme politique, on n'observe plus les faits ou les choses, mais on résonne (et non pas "raisonne") sur les mots et les seuls mots ou on les fait résonner. C'est à croire que la multiplication de ces catégories, les multiplicateurs étant les intellectuels organiques, les sociologues, les diseurs de bonne parlure, les spécialistes du monde arabo-musulman et nos inévitables caisses de résonnance que sont les journaleux, n'a pour but que d'ajouter de nouvelles confusions à une confusion première et rendre totalement aveugles ceux qui n'aspirent qu'à rester borgnes.
L'islam est un ordre juridique qui embrasse la totalité des existences humaines : il est essentiellement (id est "par essence") ou naturellement politique. Pour l'appréhender, le saisir, le comprendre, l'étudier, il n'est même pas nécessaire, comme le font les disciples de Rodinson, Berque, Etienne, Roy, etc. de créer des monstres ou des chimères ou des zombies conceptuels que l'on baptise "islamisme" ou "islamisme politique".
Il ne semble pas que cet islam régresse ou soit confronté à quelque difficulté que ce soit en Arabie saoudite, au Qatar, au Koweit, dans les EAU, à Brunei, etc. Au contraire. Les ressources en énergie, vendues à des prix scandaleusement élevés au monde entier et sans que ces pays se soient donné la peine de les découvrir ou même de les exploiter, forment une rente apparemment inépuisable grâce à laquelle il est possible aux autorités politiques de ces pays de maintenir leur peuple dans la servitude et une servitude volontaire, dans laquelle ce même peuple repu se complait. Nous pourrons nous réjouir ou prédire un futur moins sinistre quand cet ordre islamique commencera à se fissurer dans les pays de la péninsule arabique. Ce n'est pas demain la veille, hélas. Il ne semble pas qu'en Arabie saoudite, les choses aient bougé de plus d'un kasra en un demi-siècle... Le soleil d'Allah continue à briller sur l'Arabie et ses confins.
Il en va différemment dans les pays qui ont une longue histoire antérieure à l'islam, qui disposent d'un Etat et d'un Etat plurimillénaire ayant ses règles bureaucratiques propres et dont les citoyens ont gardé l'habitude de commercer avec les peuples avec lesquels ils entretenaient des relations avant que les arabes islamisés ne les soumettent à une loi nouvelle. Dans ce cas, les vieilles dynamiques étatiques ou militaires s'opposent, assez mollement à dire vrai, à cet ordre qu'est l'islam, n'acceptant de cet ordre que des fractions, lesquelles, suivant les pays, peuvent représenter une part plus ou moins importante de la totalité de l'ordre. Que l'islam s'y heurte à des oppositions, plus ou moins vives, est dans l'ordre des choses : c'est ce qui s'est quasiment toujours passé. A l'Est, il n'y a rien de nouveau.