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La puissance du non en politique (et peut-être ailleurs)

Envoyé par Jean Sercy 
Le thème du non, de la négation, en politique, voire en philosophie politique, se rencontre chez certains grands auteurs. Voilà ce qu'en dit Montaigne :

« Il y a dans Plutarque beaucoup de discours étendus, très dignes d'être sus, car à mon gré c'est le maître ouvrier de telle besogne. Mais il y en a mille qu'il n'a que touché simplement. Il guigne seulement du doigt par où nous irons, s'il nous plait ; et se contente quelquefois de ne donner qu'une atteinte dans le plus vif d'un propos. Il les faut arracher de là, et mettre en place marchande. Comme ce sien mot, que les habitants d'Asie servaient à un seul, pour ne savoir pas prononcer une seule syllabe, qui est Non, donna peut-être la matière et l'occasion à la Boétie de sa Servitude Volontaire.» Essais, I, 26 « De l'institution des enfants »

Le texte de Plutarque me semble intéressant également, même si celui-ci n'évoque l'idée du non que pour expliquer que celui qui pense ainsi, que le non suffirait à les libérer, ne parlait pas sérieusement.

Il y aurait peut-être des choses à prendre chez la Boétie.

Je pensais aussi à Frege, l'idée que toute négation est une affirmation, mais je sors de mon domaine de compétence.

Bien entendu, il y a l'importance de la négation chez Hegel, mais j'ignore si cela se retrouve dans ses écrits politiques, et ce n'est pas un philosophe que j'ai approfondi.

Il m'a semblé qu'il pourrait être judicieux, si cela intéressait certains habitués du forum, de creuser ces questions. Une première idée serait de faire un florilège de citations portant sur le Non, mais je n'ai pour le moment que Montaigne (et donc Plutarque) à proposer.
Une variante de Chamfort :

Presque tous les hommes sont esclaves faute de savoir prononcer la syllabe : "Non"
Je viens de trouver ceci, dans la préface à la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel (traduction Jean Hyppolite) :

Mais que l'accidentel comme tel, séparé de son pourtour, ce qui est lié et effectivement réel seulement dans sa connexion à autre chose, obtienne un être-là propre et une liberté distincte, c'est là la puissance prodigieuse du négatif, l'énergie de la pensée, du pur moi. [...] L'esprit est cette puissance en n'étant pas semblable au positif qui se détourne du négatif, (comme quand nous disons d'une chose qu'elle n'est rien, ou qu'elle est fausse, et que, débarassé alors d'elle, nous passons sans plus à quelque chose d'autre), mais l'esprit est cette puissance seulement en sachant regarder le négatif en face, et en sachant séjourner près de lui. Ce séjour est le pouvoir magique qui convertit le négatif en être.
Et nous interdisons aussi les hommes. Non, aux médiocres. Pour ne vouloir pas le dire, je m'en fichisme ou lâcheté, une société s'abaisse : pas besoin d'autres raisons. Chaque fois que vous avez dit non à un homme, les yeux dans les yeux, sans le craindre, vous pouvez marquer ce jour d'une pierre blanche.

Le bouddhisme enseigne que l'homme doit avoir dix « répugnances ». Peu importe ici lesquelles, c'est l'idée qui m'intéresse. L'idée que, dans une oeuvre de perfectionnement individuel, avant même ce qu'on souhaite, il y a ce qu'on rejette. « Nul ne peut gouverner sa terre s'il ne sait aussi bien refuser qu'accorder », a dit notre saint Louis. Ce qui a manqué, plus que tout peut-être au peuple français depuis vingt ans, c'est ce « non ! » frémissant, jailli des profondeurs. Travaillons à lui donner ce « non ! » à ce qui est médiocre et à ce qui est bas.

(Montherlant, Le Solstice de juin)
Cette citation de Montherlant est magnifique.
François Jullien a produit en 2004 un véritable traité du négatif, intitulé Du mal/du négatif, longuement évoqué et cité dans nos colonnes lors de "l'affaire" Richard Millet en 2012.

Je donne ici en lien une partie de cette longue citation de l'ouvrage de Jullien mise en ligne sur notre Forum, pour le bonheur d'y retrouver l'argument de Jullien contre ce qu'il nomme "l'universalité pauvre" de Kant, cela à l'attention particulière d'Alain Eytan, grand amateur de que j'aimerais pouvoir appeler "philosophie des plaines" que représente ce versant du kantisme, philosophie d'une plénitude sans relief, sans accident et sans histoire mais aussi plaine où s'édifie, reconnaissons-le, les châteaux les plus beaux, et les édifices à l'architecture la plus symétrique et la plus aboutie (Chambord, Angkor Vat).

[www.in-nocence.org]

et en 2010:
[www.in-nocence.org]



Puisqu'il a été question de Frege (ce phorum est décidément incroyable), l'on devrait s'enquérir auprès de Laura-Maï si Karnapp a dit quelque chose sur le sujet.
Je me demande également s'il n'y aurait pas une piste à explorer dans le fait, sur lequel Montaigne, et Chamfort à sa suite, et déjà Plutarque je crois, insistent, à savoir que la puissance prodigieuse du négatif, pour reprendre Hegel, réside dans une simple syllabe, non. Selon les informations que j'ai pu glaner sur internet, cela n'est pas le cas dans toutes les langues. (Non dans toutes les langues)
Le chinois, notamment, puisqu'il était question de Jullien, a attiré mon attention : quelqu'un pourrait-il me dire si pù shi a une signification particulière, ou s'il s'agit de l'exacte traduction de notre non, si tant est qu'une traduction puisse être exacte ?
Le négatif en chinois, le "non", c'est wu (prononcer "wou", deuxième ton, ascendant, en mandarin) :

Des bibliothèques entières ont été écrites sur le sujet.

bu shi (不是) est de la langue orale et signifie "n'est pas". Je vous laisse mesurer l'abîme entre "n'est pas" et "non".
Le NON calligraphié :






et en idéogramme oraculaire:

Aïe, j'aurais dû vérifier les informations de ce site avant de dire des bêtises... Je vous remercie.
Et le non bathmologique, non qui n'est exactement dialectique si j'ai bien suivi, dans l'oeuvre de Renaud Camus, ce non qui suit un oui et en précède un autre, n'y aurait-il pas de belles choses à dire à son sujet ?
Bonjour à tous,
Il y a déjà un bon moment que je suis (du verbe suivre) les échanges paraissant sur ce site, mais je ne suis, jusqu'à présent, jamais intervenu. Un peu à cause du manque de temps, mais probablement plus en raison de la peur de dire des sottises, tant la hauteur des propos de certains signataires a de quoi impressionner...
Mais cette fois-ci le thème proposé m'invite à vous demander : avez-vous pensé à évoquer l'approche apophatique... surtout connue par la théologie dite négative ? Le couple oui/non fait d'ailleurs logiquement penser à d'autres, tout aussi célèbres, comme la présence et l'absence... sur lesquels beaucoup de choses ont été dites et écrites.
Quelque chose me dit que le maniement du négatif pourrait, éventuellement, aider à développer un argumentaire à l'encontre des théoriciens favorables au GR. Une "tactique" qui éviterait le choc frontal des positions, toujours défavorable à ceux qui constatent la décadence, au lieu de se réjouir des "lendemains qui chantent", chers aux thuriféraires du "progrès universel".
C'était juste pour apporter une petite pierre à l'édifice !
Bien cordialement à vous,
Frederik Woudpreker
Est-ce que l'apophatisme ne consiste pas à se nier soi-même au regard de l'Autre, en se déclarant incapable de Le penser, alors que la "négativité" camusienne entend nier la négation que l'autre veut imposer à l'affirmation de soi ?
Toutes les créatures sont un pur néant. Je ne dis pas qu’elles sont peu de chose ou quelque chose : elles sont un pur néant, professait Maître Eckhart, pour reprendre votre idée que l'apophatisme consiste à se nier soi-même. Quant à la négativité camusienne, n'y a-t-il pas aussi l'idée de se nier soi-même, en quelque sorte, de ne pas dire oui, d'emblée et sans réserve, à tout ce que l'on est ? Négation qui justement précède une affirmation de soi plus authentique puisque, paradoxalement, conditionnée par le travail sur soi, la reprise.
La suggestion que j’ai faite, d’une approche « apophatique » ne voulait pas lancer un débat sur les mystiques rhénans ou autres*, que je connais, au moins un peu, puisque je suis théologien de formation et, par ailleurs Flamand, ce qui me permet d’en lire certains en version originale, mais bien de trouver une « parade » aux affirmations des « remplacistes » qui sont persuadés de représenter le « camp du bien », c’est-à-dire celui qui implique le « mélange universel », parce qu’il n’existe, selon eux, que des « human beings » à la surface de ce globe, tous parfaitement interchangeables ; les différences entre eux, que tout le monde peut constater (quand même…), ne sont rien d’autre que des « constructions sociales »… Ces mêmes histrions du modernisme qui nous disent, par média(s) obligatoires interposés : vous déplorez la disparition d’un peuple, pour cause d’immigration, mais pouvez-vous définir ce peuple, lui-même produit de migrations/immigrations successives ?
La ficelle est un peu grosse, mais elle fonctionne très bien auprès du grand public, à en juger par ses nombreuses reprises. L’idée, toute simple, est donc la suivante : Non, nous ne pouvons pas vraiment dire ce qu’est le peuple que nous voulons défendre (et il nous plait tel qu’il est), mais nous pouvons dire ce qu’il n’est absolument pas ! Et donc ce qu’il n’est plus, quand nous comparons la situation présente à celle d’il y a quelques années. Une réflexion que je peux faire mienne, puisque j’ai habité Paris, dans les années soixante et, lorsqu’il m’arrive aujourd’hui d’y retourner, j’ai l’impression de débarquer à Ouagadougou ou à Bamako… Donc, il y a bien un problème…
Cette approche pourrait, peut-être, épauler, soutenir, renforcer, le « niet catégorique » du premier degré, qui ne nous est pas permis par les séides du ministère (orwellien) de la (nouvelle) population, qui sévissent sur les ondes et les écrans…

* Débat qui serait assurément passionnant, mais sans rapport direct avec notre sujet !
Je suis sûre que si l'on demandait à un Chinois ou à un Russe, à brûle pourpoint, ce qu'est l'identité chinoise ou russe, ils seraient bien en peine, eux aussi, de répondre, mais ni en Chine, ni en Russie ni ailleurs personne naurait l'idée de polémiquer sur la question et pour cause : comme le mouvement se prouve en marchant, un peuple prouve, à chaque instant, son identité en la vivant. Il n'y a polémique que lorsqu'un un peuple est menacé dans son identité, ceux qui la menacent, comptant précisément sur cette difficulté à la dire, à l'expliciter, pour la nier.
Je pense qu'il faudrait aborder le sujet, en constatant préalablement que, en tous cas, la caractéristique de l'identité française est l'assimilation des populations installées sur son territoire, et non le communautarisme. Il me semble difficile, même pour les remplacistes de nier une telle évidence. A partir de là, il serait, en effet, peut-être, plus simple de procéder par élimination : qui dit assimilation dit creuset assimilateur, qui dit creuset assimilateur dit : religion judéo chrétienne plus culture gréco-romaine, donc pas d'islam ou du moins d'islam voyant, pas de séparation entre les femmes et les hommes, pas de pudibonderie vestimentaire , ou autre, caricaturale, pas de soumission de la raison à la foi, pas de supériorité de la religion sur les lois, pas de contraintes religieuse sur les esprits, pas de mise en veilleuse de l'esprit critique ou blagueur sur quelque sujet que ce soit, etc. chacun peut allonger la liste à sa guise.
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