Si vous doutez que le cinéma puisse jamais s'approcher de la profondeur de vue sur l'être humain d'un Pascal ou d'un Dostoïevski, allez voir "Au-delà des collines" du réalisateur roumain Cristian Mungiu. Les héroïnes sont des cas emblématiques de l'extrême solitude humaine : deux orphelines de l'ère Ceaucescu, où il était interdit d'avorter. L'une n'a aucune famille, l'autre a été rejetée par sa mère, ce qui est pire. Elles n'ont trouvé d'amour que l'une pour l'autre, un amour si fort qu'il a débordé sur les corps. Alina est partie travailler en Allemagne, Voichita est entrée dans un couvent. Elles se retrouvent et ont divergé : Alina n'est enracinée dans le monde que par l'amour qu'elle porte à Voichita, celle-ci s'est enracinée dans l'amour de Dieu et dans l'affection qu'elle porte à l'higoumène et à la mère supérieure du couvent "Papa" et "Maman". Tout est prêt pour que commence la tragédie, que je ne vous raconterai pas.
"Les Inrockuptibles", jamais à court d'une sottise bien-pensante, voient dans le film une critique des congrégations religieuses semblable à celle de Diderot dans "la Religieuse". Il s'agit exactement du contraire. Le couvent ressemble à une utopie écologique, chasteté en plus. On s'y éclaire à la bougie et à la lampe à pétrole, ce qui occasionne des images splendides qui évoquent des icônes. On y élève des poules et on cultive un jardin pour porter des oeufs et des légumes à l'orphelinat de la ville voisine. On y prépare la nourriture et on la mange dans une convivialité rendue par de longs plans séquences qui survolent des visages dignes et souriants.
Deux surprises pour un catholique : on parle pendant les repas, ce qui change du terrifiant (pour moi) silence que j'ai vécu dans les rares retraites que j'ai faites. Il y a une certaine mixité sexuelle (non pas promiscuité) avec la figure virile de l'higoumène, ancien sportif, qui pratique une autorité masculine tempérée par beaucoup de politesse et de douceur chrétienne. Il en ressort une impression de grande famille infiniment plus chaleureuse qu'en milieu catholique. Et les fidèles affluent à la messe du dimanche...
Je mesure grâce à ce film la perte que nous avons subie en Occident. En lisant "Du Sens", j'ai trouvé que les analyses de Renaud Camus sur la décadence de l'enseignement par la vulgarité, le soi-mêmisme etc, pouvaient s'appliquer ne varietur au catholicisme français contemporain. Je suppose que je ne suis pas le premier à le dire. L'orthodoxie a gardé la part d'archaïsme consubstantielle à toute religion. L'orthodoxie a gardé la beauté liturgique remplacée chez nous par un hideux bricolage (ah ! ces messes de Pâques avec baptêmes, la Résurrection et Saint-Jean Baptiste, la carpe et le lapin, la rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur une table d'opération). L'orthodoxie a gardé la part de masculinité qui la met du côté de la Loi ( à l'extrême, l'islam n'est que masculinité, sommairement habillée en religion. D'où son attrait sur les esprits simples d'Occident).
L'opposition actuelle du PS et de la catholicité française me fait rire : ce sont deux gargotes qui servent à peu près la même soupe froide.