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Mathématiques et culture

Envoyé par Jean-Marc du Masnau 
11 février 2014, 00:23   Mathématiques et culture
Un de mes amis, prématurément décédé, était Normalien (Ulm). Il possédait une très vaste culture, avait une conversation très brillante... et était très nul en mathématiques.

Dans son Journal, Renaud Camus écrit :

"Je dois reconnaître que je n’ai jamais très bien compris ce qu’on voulait dire avec ces éternelles histoires de taux à 3,15 %, 3 et ½ %, 5 %, etc. Emprunter cent quinze mille euros coûte vingt-cinq mille euros, assurances non comprises : sur douze ans il faut rembourser en tout plus de cent quarante mille euros. Ça n’a rien à voir avec 3 ou 5 %, cela, mais plutôt avec 20 % ou 25 %. "

C'est pourtant la notion enseignée autrefois au collège (et peut-être même pour le certificat d'études) des "intérêts composés"...

Calculer la somme totale remboursée et donc trouver les 20 % ou 25 %, c'est facile avec un taux annuel (il suffit de faire des multiplications). Trouver un taux annuel à partir d'un remboursement final, c'est autrement plus difficile et en tout cas hors de portée d'un collégien.
11 février 2014, 05:18   Re : Mathématiques et culture
L'ennui dans les calculs d'intérêt des emprunts de particuliers en France est que le taux continue de s'appliquer sur l'intégralité du capital pendant toute la période du crédit; les banques trichent : elles annoncent à l'emprunteur que pendant les premières années de son crédit, il ne paie que les intérêts sans réduction du capital emprunté. Le subterfuge est gros mais ça passe. Au Japon, l'emprunteur rembourse dès la première année une fraction du capital si bien que la deuxième année, le taux d'intérêt s'applique au capital emprunté défalqué de la partie remboursée la première année, et la troisième année il se voit défalquer le montant du capital remboursé lors des deux premières, dans le calcul des sommes à rembourser etc... si bien qu'en fin de parcours l'emprunteur ne rembourse plus que des sommes dérisoires calculées par application du taux d'intérêt initial sur le reliquat du capital.

Jamais je n'oublierai l'effarement de ce Japonais découvrant la différence entre le système français et le système japonais de crédit immobilier. Au Japon, de par le fait que l'emprunteur rembourse une part du capital dès son premier versement, le coût du prêt est de moitié inférieur, en moyenne, à son coût en Europe.

Certaines banques anglaises vont plus loin : elles se font rembourser les intérêts ad vitaem eternam, c'est à dire qu'aucune fraction du capital n'est jamais remboursée et que l'emprunteur qui ne paye ainsi que le montant des intérêts de son emprunt ne rembourse le capital qu'à la revente de son bien! Si le marché de l'immobilier connaît un repli, il se ruine.
Le cas que vous décrivez peut se produire en France, mais il est minoritaire actuellement. La pratique, de nos jours, est celle que vous décrivez pour le Japon, c'est le système de la mensualité constante à taux constant (pour faire simple, il existe des taux variables, mais c'est une autre histoire).

Par exemple, si on emprunte, mettons, 115 000 € à 3.5% l'an, la mensualité constante sera de 979.17 €, et en fin de première année il ne restera à amortir que 107149.80 €.

Dans les années 80, le système des prêts à taux constants mais à mensualités variables était en revanche fort courant : les gens espéraient voir leur situation s'améliorer dans le futur, et pouvoir payer alors des mensualités plus fortes. La conséquence était immédiate : pour un même taux minimal et une même durée, le montant des intérêts versés était bien plus fort. Cela montre au passage que la notion de taux d'intérêt final n'a que peu de portée pratique, elle dépend de beaucoup de facteurs.

Des systèmes de ce genre peuvent être vus, mais cela devient une affaire de spécialistes, lorsqu'il y a recherche d'optimisation fiscale (cas des divers programmes de logements du type Scellier : le propriétaire a intérêt à emprunter, pour déduire les intérêts des loyers perçus).

Le système anglais a sa logique : la propriété foncière n'a pas le même régime, c'est plutôt une emphytéose. Ce type de prêt, en France, est en réalité utilisé quand l'emprunteur reçoit, mettons, 100 000 € et reverse, cinq ans après, exactement 100 000 €. Entretemps, il ne paye qu'une mensualité réduite qui correspond, si je puis dire, au "loyer" de l'argent, qui peut dans ce cas avoir un beaucoup plus grand rendement. Bien sûr, en cas de perte, tout s'effondre, c'est identique à ce que vous dites.

Je reviens à mon idée : les méthodes mathématiques permettant de comprendre cela sont très simples, il est étonnant que les personnes qui ne sont pas intéressées par les mathématiques les laissent totalement de côté, cela me ramène à cette question de culture.

Prenons le cas de la pyramide de Ponzi : pour un élève de première moyennement doué, il est évident que ça ne peut pas marcher. Pourtant, des gens très éduqués, mais qui n'ont pas d'intérêt pour ces sujets, jugent que tout ce qui est chiffres c'est un peu de la sorcellerie et, in fine, se font tondre.
A ce stade, je me permets de citer Pascal, qui nous a dit des choses très vraies sur les deux formes d'esprit, esprit de finesse et esprit de géométrie :

Mais, dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence; il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne; car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or, l’omission d’un principe mène à l’erreur; ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus...

Ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c’est qu’ils ne voient pas ce qui est devant eux, et qu’étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométrie, et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux-mêmes : ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie...

Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins et que les fins soient géomètres...

Et les esprits fins, au contraire, ayant ainsi accoutumé à juger d’une seule vue, sont si étonnés, - quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des principes si stériles, qu’ils n’ont point accoutumé de voir ainsi en détail, – qu’ils s’en rebutent et s’en dégoûtent. .


Platon fut plus radical, souvenez-vous de Ἀγεωμέτρητος μηδείς εἰσίτω μου τήν στέγνην.
12 février 2014, 02:53   Re : Mathématiques et culture
La mensualité constante est obtenue par lissage lui aussi artificiel du montant des intérêts et du montant du capital, il n'efface pas le problème.

Très empiriquement : lorsque le banquier annonce à l'emprunteur que celui-ci va "d'abord payer le montant des intérêts, puis celui du capital" il vole l'emprunteur. Il le vole en lui faisant payer des intérêts d'emprunt sur une durée, très longue, souvent d'une bonne dizaine d'années lorsque l'emprunt est de 30 ans, que lui-même, le banquier, a ajoutée à la durée de remboursement du capital prêté. En d'autres termes l'emprunteur va payer des intérêts sur une durée d'emprunt entièrement et exclusivement consacrée au service de sa dette ! En versant des intérêts sur sa période de versement d'intérêts, artificiellement ajoutée par le banquier à la période de l'emprunt, l'emprunteur va payer des intérêts sur les intérêts que percevra le banquier. L'usurier est ainsi gratifié par sa victime qui, pendant des années, le complimente en numéraire de s'enrichir sur son dos. Et ce scandale ne paraît émouvoir personne en France.

La différence entre ce système et le système japonais est qu'en France un bien acquis par un emprunt sur 30 ans est payé deux fois par l'emprunteur tandis qu'il l'est à bien moindre coût au Japon. Au Japon, l'endettement des ménages paraît faramineux (dans les années 90, on pouvait emprunter sur un demi-siècle ou plus, les enfants et petits-enfants remboursant les emprunts de leurs aïeux), et cependant, le pouvoir d'achat, le disponible des ménages y est toujours et encore nettement supérieur à celui des Français endettés. La raison ? Je viens de vous l'exposer : si les Japonais sont peut-être des fourmis comme le voulait l'inoubliable Edith Cresson, les Français, eux, sont assurément bien des veaux.
Vous avez sans doute raison sur ce point de comparaison. Cela étant, les Japonais s'endettent-ils pour les mêmes motifs que les Français ? ce n'est pas la même chose, s'endetter pour un bien immobilier (bien réel au sens du droit) ou pour de la consommation.

Les prêts japonais ne seraient-ils pas plus honnêtes parce que le Japonais est honnête, alors que le prêt français serait malhonnête parce que le Français est malhonnête (par exemple en cherchant avec le banquier à tripoter les conditions du prêt et de l'apport en nature pour obtenir un prêt alors qu'on risque d'être insolvable) ?

L'escroquerie a ceci de particulier, comme délit, qu'elle nécessite une part de complicité de la part de la victime : il est connu qu'un escroc professionnel n'escroquera pas quel qu'un d'honnête, mais qu'il cherchera quelqu'un qui essaie de "gratter" (je ne parle pas de l'abus de faiblesse).

Comme on dit, "It takes two to tango".
You can never cheat an honest man.

Quelqu'un aurait-il une traduction ou un équivalent français ?
13 février 2014, 11:27   Re : Mathématiques et culture
On ne trompe pas un homme honnête ( et non "un honnête homme")
Cela a sensiblement moins de punch que la version anglaise !

Et cheat, dans le contexte, veut plutôt dire : voler par tromperie, escroquer.
13 février 2014, 13:43   Re : Mathématiques et culture
Reconnaissez que le contexte que vous fournissez est maigre, cher M. Daniel.

To cheat on somebody c'est tromper quelqu'un.

He's cheating on his wife : il trompe sa femme.

Intransitif, c'est tricher : That's cheating ! -- c'est de la triche !

Escroquer, voler par tromperie, qui est une autre prédication (à trois termes : un agent, un animé que l'on trompe et un inanimé que l'on subtilise) se dit de plusieurs façons:


Escroquer : to swindle ; to defraud ; to obtain by deceit

Il m'a escroqué mille euros : he swindled me out of one thousand euros.

He swindled me out of my inheritance : il m'a volé mon héritage.

Un escroc peut se dire a crook ou a confidence-trickster (Unmasking a Confidence-Trickster est le titre anglais d'une courte nouvelle de Kafka dont le titre original est Entlarvung eines Bauernfängers)
Monsieur Marche,

Je répondais à Jean-Marc du Masnau qui terminait par "Comme on dit, "It takes two to tango"." Dans ce contexte, l'expression typiquement anglaise était plutôt You can never cheat... Et je me désolais de ne pas connaître en français d'expression aussi percutante. J'avoue cependant n'avoir pas été très clair.
Vous avez raison, c'est plus adapté, mais j'ignorais que c'était un dicton. Je ne l'ai jamais rencontré dans la conversation courante, en revanche j'ai souvent entendu le dicton du tango, peut-être plus moderne. Voici dans quel sens j'utilise la locution.

"Vous vous êtes fait escroquer ? mais, attendez, cette proposition était trop belle pour être vraie... c'est un peu de votre faute aussi, "it takes two to tango"".

Pour le mot traduisant "escroc", j'ai un faible pour "Con artist", il y a un côté artistique, dans la chose (pour les personnes peu familières avec ces notions, "con" est le diminutif de "Confidence").

Un mot que j'aime beaucoup : Embezzlment, ça sent le coup fourré, c'est inquiétant au son, et on ne sait pas très bien ce que c'est.

Enfin, comme il est marqué au fronton de la BNP de Fleurance, je terminerai par cette phrase immortelle du grand Gordon Gekko : "Greed is Good".
Francis, vous m'avez oublié, pris par le tango.

Que pensez-vous de mon idée sur le "A client malhonnête, banquier rusé" ?
Un point technique, qui devrait normalement démontrer qu'une personne de bonne foi et raisonnablement attentive ne peut pas être piégée ainsi : un contrat de prêt doit impérativement comporter un tableau d'amortissement, et un tableau d'amortissement fait forcément apparaître, pour chaque mensualité, ce qui est paiement des intérêts et ce qui est paiement du capital.

Il y a peut-être une phase de boniment, mais le droit français traditionnel n'accorde que peu de poids à ce qui est dit par rapport à ce qui est écrit. Il n'est pas interdit de lire ce qu'on signe.
14 février 2014, 03:07   Re : Mathématiques et culture
La ruse n'est pas même nécessaire : il suffit de cartelliser la pratique banquière dans le secteur du détail et de l'emprunt immobilier. Les banquiers sont une étrange caste, parfaitement moutonnière et consanguine. C'est le fait que "les autres le font aussi" qui les protège et masque la malhonnêteté foncière de leurs pratiques, c'est le fait de "la culture" que certains opposent aux mathématiques.

Les mathématiques, les voici :

dans le système européen, celui qui emprunte un million d'euros sur 30 ans, soit 360 mensualités, à 3 pour cent par an paiera 33000 euros d'intérêt par an; sur 30 ans, il déboursera en intérêts 30*33000 soit 999000 euros. Autrement dit il paiera son bien DEUX FOIS puisque

la totalité de ses remboursements s'établira à 1 000 000 + 999 000 = 1 999 000 euros.

Si l'on lisse ce montant sur les 360 mensualités, il déboursement tous les mois, sur l'entièreté des 30 ans d'amortissement de l'emprunt, y compris, donc, les douze mois de la dernière année :
1 999 000 : 360 = 5552 euros.

Au Japon, où l'amortissement du capital s'opère dès la première mensualité, l'emprunteur, dans la trentième année, ne remboursement plus que un trentième du capital, sur lequel s'appliquera le taux d'intérêt contractuel (lequel pour la commodité de le démonstration on va supposer fixe):

soit pour la trentième année,

A en intérêt: [(1/30)*1 000 000] * 3/100 = 1000 euros
B en capital: [(1/30)*1 000 000] = 33333 euros

A + B = 34333 euros ; soit une mensualité, pour cette trentième année de remboursement, qui sera de 2861 euros.

C'est à dire que la différence des mensualités dans la dernière année sera bien à peu près du simple au double : 5552 euros en France pour 2861 équivalent euros au Japon.

Dans le cas d'une personne aux revenus modestes qui s'achète un bien à 400 000 euros ou équivalent en yens, cette différence du simple au double fera que, si c'est une jeune femme, la Japonaise aux revenus moyens pourra s'habiller dans le luxe, se payer le restaurant français (cher, au Japon) deux fois par mois et prendre des vacances à Hawaï tous les ans, tandis que son homologue française à qui le banquier aura différé l'amortissement de son bien de plusieurs années s'habillera à Oxfam, s'achètera des sacs contrefaits aux puces de Montreuil, ira "au chinois" à 28 euros par personne quand elle fera une sortie restaurant et prendra ses vacances chez sa mère dans le Périguord.

Merci monsieur le banquier ! Vous êtes décidément trop bon avec ce bétail ! L'Etat devrait vous renflouer un peu plus souvent pour vous témoigner sa gratitude, celle que vous doit ce peuple qui ne mérite pas tout ce que vous faites pour lui!
14 février 2014, 03:26   Re : Mathématiques et culture
Embezzlement c'est la malversation, le détournement de fonds.

A ce propos il y a tout un pan de ce lexique français du "vol en col blanc" qui est en train de mourir étouffé sous le poids du globish corruption, qui existe dans les deux langues.

En français originel nous avions "concussion", "malversation", "prévarication", etc. Tout ça disparaît : la journalisterie subventionnée ne connaît plus que corruption.
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