J(ai trouvé une très bonne analyse sur la situation en Ukraine. Et pour une fois, l'analyse est faite par une vraie spécialiste : Ioulia Shukan est Maître de conférence à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, et Chercheur à l’Institut des Sciences Sociales du Politique : video: [
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Je reviens à la suite de la réponse à Alain De Benoist (réponse à la partie 4) :
En introduction de son billet consacré à la crise en Ukraine, ADB souligne le fait que l'on a affaire à « une situation complexe ». Trois paragraphes plus loin, il écrit que concernant la Crimée, « les choses sont à la fois plus claires et plus simples ». Plus claires et plus simples ? C'est sûr, l'absence de journalistes non-russes sur le terrain rendent les choses simples et claires. C'est sûr, si la seule information à disposition est celle des médias russes, les choses sont simples et claires. C'est sûr, à écouter le discours de Poutine, tout est simple et clair. Circulez, y'a rien à voir ! Le plus clair selon moi, c'est la multiplication des zones interdites, des menaces, des intimidations, des agressions, des enlèvements de journalistes.
Je ne reviens pas sur la démographie ni sur l'historique de la Crimée, car, je le répète : il ne s'agit pas de contester que cette région est un territoire intimement lié à la Russie. Il ne s'agit pas non plus de contester qu' elle abrite la flotte russe, Sébastopol constituant le point d’accès de la Russie aux « mers chaudes ». On pourra souligner tout de même que la présence de la flotte russe résultait d'' un accord entre la Russie et l'Ukraine souveraine, l’accord de Kharkov (signé en 2010) selon lequel la Russie disposait des installations militaires criméennes jusqu’en 2042, avec une option pour 5 années supplémentaires. En envoyant les militaires stationnés en Crimée pour neutraliser les bâtiments officiels ukrainiens, il est clair que les Russes ont trahi la confiance que l'Ukraine leur avait accordé. L'agression est donc double : envoi massif de troupes depuis la Russie, et déploiement depuis l'intérieur de l'Ukraine. Mais bon, ADB semble trouver cela normal, puisqu'il n'en parle pas. Il reparle, en revanche de l'OTAN. Ce doit être une obsession. L'OTAN, à ce moment, n'a pourtant pas grand chose à voir dans cette histoire. ADB fait une fixation sur l'OTAN qui n'avait pas montré le bout de son nez, et occulte complètement le déploiement massif et réel, lui, de l'armée russe, non seulement en Crimée, mais aussi tout le long de tous les pays d'Europe de l'est.
Que Poutine soit nostalgique des frontières de l'URSS en même tant que paranoïaque, voilà qui est compréhensible eu égard à son passé au sein du KGB et à la chute de l'URSS qu'il a vécue. Mais qu' ADB, comme Mélanchon ou Le Pen d'ailleurs (c'est ça qui est bien avec Poutine : il arrive à regrouper dans une même détestation de l'Amérique du Nord tous les admirateurs des régimes autocratiques, communistes main dans la main avec les prétendus nationalistes) puisse penser que l'OTAN allait prendre le contrôle de la Crimée, là on peut conseiller à certains d'arrêter de fumer la moquette. Soyons sérieux. Premièrement, l'Ukraine n'avait aucun intention d'adhérer à l'OTAN, qui d'ailleurs était en déclin, comme je l'ai montré dans la partie précédente. Deuxièmement, comment imaginer que l'OTAN implante des bases alors même que le territoire est déjà sous contrôle russe, et le serait facilement resté en prolongeant l'accord de Kharkov. Les agissements russes ressuscitent en revanche une guerre froide qui s'était éteinte, et redonne à l'OTAN toute les raisons d'exister. En même temps, on peut facilement comprendre que tous les pays d'Europe de l'est qui s'étaient libérés de l'emprise de Moscou accueillent très favorablement des bases de l'OTAN. Face à une Russie menaçante et désormais indigne de confiance, qui pourra blâmer la Pologne ou les pays Baltes d'appeler à la rescousse la seule puissance capable de rivaliser avec la Russie ? Rappelons que, nonobstant ses dérives, l'OTAN, à l'origine, a été créée avant tout pour assurer la défense commune des nations de l'Atlantique Nord alliées contre les menaces extérieures ainsi que la stabilité du continent européen et Nord-Américain.
ADB s'éloigne de l'Europe et nous propose un tour du monde des diverses annexions pour nous convaincre que comparer l'annexion de la Crimée à l'annexion de l'Autriche, c'est vraiment « ridicule ». Quelques lignes plus loin, ADB ne trouve pas du tout ridicule de comparer le référendum en Crimé à celui qui se déroulera très prochainement en Ecosse. Je suis désolé, Monsieur de Benoist, mais si l'on veut faire des comparaisons, la comparaison avec l'Anschluss est la moins ridicule de toutes : si l'on remplace russophones de Crimée par germanophones d'Autriche, on obtient presque la même histoire (arrivée des militaires précédant la prise des bâtiments et le référendum, accueil triomphal par les populations locales, résultats du référendum comparables, etc etc)
ADB, ensuite, nous offre une petite balade dans l'espace et dans le temps.
La décision « arbitraire » de donner la Crimée à l'Ukraine, dont parle ADB est toute relative. Je n'entre pas dans les détails puisqu' ADB, encore une fois, affirme quelque chose sans trop développer. En observant une carte, on remarquera tout de même que géographiquement parlant, la Crimée est liée à l'Ukraine alors qu'il n'existe pas de voie terrestre la reliant à la Russie (d'où le projet de pont du botoxé du Kremlin)
ADB enchaîne ensuite sur la question de la farce du référendum (mais attention, hein, pour lui, ce n'est pas une farce...). Et écrit le plus sérieusement du monde que « 97% des habitants de la Crimée ont exprimé leur désir d'être rattachés à la Russie ». Je souligne tout d'abord qu'ADB a un problème avec les mathématiques. Sachant que ni les Tatars ni les Ukrainiens n'ont pas pris part au vote, qu'ils sont eux aussi des habitants de la Crimée, et qu'ils représentent 13% pour les uns 24% pour les autres (soit 37% des habitants), il n'est nul besoin de sortir de Polytechnique pour comprendre que l'on ne peut pas arriver à 97% des habitants favorables à une Crimée russe. La « question » posée était elle-même une farce, puisqu'il n'y avait le choix qu'entre une Crimée indépendante et une Crimée autonome. Une Crimée ukrainienne n'était donc pas envisageable. Mais peu importe, à vrai dire, qu'il y ait eu fraude ou pas, et que le taux réel ait été de 60, 70, 80, ou 99%. La majorité des criméens étant russes, il est bien évident qu'ils souhaitaient être rattachés à la Russie. Ce référendum ne fut mis en place que pour amuser la galerie et faire « oublier » le coup de force. Je ne comprends même pas que des gens intelligents puissent s'y référer. Enfin, si, je comprends bien : l'obsession de l'Empire américano-ce-que-vous-voulez.
ADB, lui, trouve donc ce référendum tout à fait normal... Et il trouve la comparaison avec l'Anschluss complètement ridicule ! Ce qui ne l'empêche pas de nous emmener dans l'espace et le temps pour nous proposer d'autres comparaisons supposées non-ridicules, elles. Il nous ballade donc un peu partout sur la planète, puis « atterri » en Ecosse. Alors, là attention : pour ADB, la comparaison avec l'Anschluss est ridicule, mais la comparaison avec l'Ecosse est pertinente.
Arrêtons-nous un instant sur ces deux cas. Le problème lorsque l'on parle de l'Anschluss est que l'on fait systématiquement le lien avec Hitler et avec ses crimes. Poutine n'est évidemment pas Hitler.
Cependant, je dis et je redis (puisque j'avais déjà écrit un billet en ce sens) que l'événement historique le plus proche de l'annexion de la Crimée par la Russie est bien l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne. Dans les deux cas, on a un grande puissance militaire voisine d'une région dont la population en majorité lui est favorable. Dans les deux cas, des militaires sont envoyés massivement pour neutraliser et contrôler les bâtiments officiels (avec remplacement de drapeaux). Dans les deux cas, l'invasion militaire précède un référendum. Les scènes de joies des russophones de Crimée sont étonnamment semblables aux scènes de joie des germanophones d'Autriche . Le discours de la propagande russe justifiant l'annexion ressemble énormément au discours de la propagande allemande justifiant l'annexion de l'Autriche. C'en est frappant. Même les taux du référendum sont similaires. 97% en Crimée, 99% en Autriche. Le record d'Adolf n'a pas été battu, mais il s'en est fallu de peu (je rigole, je rigole). Les juifs ont fuit l'Autriche sous la pression des germanophones nazis ; Les Ukrainiens et les Tatars ont fuit la Crimée sous la pression des russophones poutinisés. Et que dire de la suite ? Dans les deux cas, le reste de l'Europe est gêné et ne réagit pas ou peu, est soulagé lorsque le dirigeant du puissant pays affirme que les autres territoires ne l'intéressent pas... tout en déployant toujours plus de militaires à la frontière des territoires convoités.
On le voit, la comparaison entre l'Anschluss, non seulement n'est pas si ridicule qu'ADB le dit (il ne dit d'ailleurs pas pourquoi il la trouve ridicule), mais elle est, je le répète, l'événement historique le plus proche. ADB ne trouve pas du tout ridicule en revanche de comparer le référendum en Crimée avec le futur référendum en Ecosse. Là encore, on ne peut qu'être affligé d'une telle bêtise. Alors, remettons les points sur les i :
Le référendum en Écosse ne prend personne en traître. Cela fait de nombreux mois qu'il est annoncé. Etait-ce le cas en Crimée ? Non : quelques jours et le référendum fut plié.
Le référendum en Ecosse fait-il l'objet d'un débat ? Oui. Et tous les acteurs concernés participent : les responsables de l'Ecosse, mais aussi ceux de la Grande-Bretagne, et ceux de l'Angleterre. Etait-ce le cas en Crimée ? Non.
L'armée est-elle intervenue dans le référendum en Ecosse ? Non. S'agit-il de rattacher une petite région à un grand pays ? Non (c'est plutôt l'inverse). Des journalistes sont-ils agressés, menacés, enlevés ? Y a-t-il eu une condamnation de ce référendum par un seul pays dans le monde ? Non.
Alors il faudrait arrêter de prendre les gens pour des imbéciles, Monsieur De Benoist !
Sur la légalité du référendum, je ne suis pas un spécialiste. ADB ne l'est pas non plus, ce qui ne l'empêche pas de nous donner une leçon. Mais Sapir l'est, spécialiste. Il doit donc avoir raison. Il n'est pas inutile, tout de même, de relever que la Russie a signé le Mémorandum de Budapest. ADB n'en parle pas. Cela, me semble-t-il, est, aussi, un argument à prendre en compte dans le débat de la légalité ou non du référendum. Mais peu importe en fait : le problème n'est ni historique, ni démographique, ni législatif. C'est tout simplement un problème de comportement, d'attitude responsable ou irresponsable, de choix entre une attitude de nation civilisée ou de nation décivilisée, entre le dialogue et la force, entre le compromis et la menace ; c'est une question de confiance entre nations, de stabilité des frontières, de respect mutuel. Pour reprendre une formule de Renaud Camus, je dirais que c'est une question de nocence et d'in-nocence, appliquée non pas aux personnes mais aux nations. La Russie, par ses agissements, perd son honneur, perd son statut de puissance de confiance, va perdre l'Ukraine au profit de l'Occident, va augmenter les rancoeurs des Ukrainiens envers elle, va rendre nerveuses toutes les nations du feu Pacte de Varsovie.
Et puisqu' ADB se croit obligé de sortir un vieil adage latin Vieil adage latin (ça doit faire savant...) : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »), je ne peux m'empêcher de rappeler ce dicton enfantin « donner c'est donner, reprendre c'est voler ». Ce que disent les enfants naïvement relève du bon sens et s'applique au cas de la Crimée. La Crimée fut donnée à l'Ukraine à l'époque soviétique. Certes, elle a un statut particulier (une autonomie avancée) mais est restée Ukrainienne lorsque l'Ukraine est devenue indépendante. La Russie occupe donc un territoire qui ne lui appartient pas.
Le droit des peuple à disposer d'eux-mêmes, c'est très bien. Mais ça ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi, n'importe quand, n'importe comment. Les frontières, ça existe ; les nations souveraines, ça existe, la communauté internationale, ça existe. Je soutiens que le rattachement de la Crimée à la Russie aurait pu se faire autrement, et que la Russie en serait sortie grandie. Les Etats-Unis ont acheté la Louisiane à la France et les deux partis y ont trouvé leur compte. La Russie, riche nous dit-on, aurait pu acheter ou fournir en gaz l'Ukraine en faillite, par exemple, en échange d'un « vrai » référendum. Elle aurait pu négocier avec l'Ukraine, attendre l'élection d'un nouveau président. Elle n'a rien fait de tout cela, elle a privilégié la force brutale, et il faut la sanctionner le plus durement possible, même si cela doit nous coûter !
En parlant de « coup d'Etat », ADB reprend à son compte la sémantique de Poutine, qu'il prétend ne pas apprécier (qu'est ce que ce serait s'il l'appréciait !). Une petite définition s'impose : un coup d'état est le fait d'une personne ou d'un petit groupe de personnes (souvent des militaires) qui renverse le pouvoir de façon illégale et brutale (avec utilisation des armes). Dans le cas Ukrainien, il ne faut donc pas parler de « coup d'Etat » mais de « révolution » puisque le renversement est venu du peuple. Que s'est-il passé ? Un peuple s'est révolté contre un pouvoir criminel qui s'est enfui en Russie (je renvoie à l'excellente analyse d'une « vraie » spécialiste). ADB confond volontairement « coup d'Etat » et « révolution » pour tenter de monter l'illégitimité du gouvernement de transition ukrainien.
Je ne vais pas m'étaler sur le Kosovo : ADB ne fait que répéter ce que dit Poutine. Son raisonnement est que si A commet des méfaits sur X, alors B peut commettre des méfaits sur Y. Avec des raisonnements comme ça, on va loin. ! En outre, ADB n'a pas compris que depuis l'ère Obama, il y avait eu comme une légère évolution de la politique extérieure des Etats-Unis. Il est un peu comme notre botoxé russe, ADB : il se trompe d'époque.