Quoi... comment ? Excusez-moi je m'étais endormi...
Dieu, la croyance et l’âge adulte
“Dieu. Cette vieillerie de Dieu, cette vieille bougie de Dieu brûlant au noir des siècles, ce feu follet rouge sang, cette misère d'une chandelle mouchée par tous les vents, nous, gens du vingtième siècle, nous ne savons qu'en faire. Nous sommes des gens de raison. Nous sommes des adultes. Nous ne nous éclairons plus à la bougie. Nous avons un temps espéré que les Eglises nous délivreraient de Dieu. Elles étaient faites pour ça. Les religions ne nous dérangeaient pas. Les religions sont pesantes et la pesanteur nous rassurerait plutôt. C'est la légèreté qui nous fait horreur, cette légèreté de Dieu en Dieu, de l'esprit dans l'esprit. Et puis nous sommes sortis des Eglises. Nous avons fait un grand chemin, de l'enfance à l'âge adulte, de l'erreur à la vérité. Nous savons à présent où est la vérité. Elle est dans le sexe, dans l'économie, dans la culture. Et nous savons bien où est la vérité de cette vérité. Elle est dans la mort. Nous croyons au sexe, à l'économie, à la culture et à la mort. Nous croyons que le fin mot de tout revient à la mort, qu'il grince entre ses dents serrées sur leur proie, et nous regardons les siècles passés du haut de cette croyance, avec indulgence et mépris, comme tout ce qu'on regarde de haut. Nous ne pouvons leur en vouloir de leurs erreurs. Elles étaient sans doute nécessaires. Maintenant nous avons grandi. Maintenant nous ne croyons qu'à ce qui est puissant, raisonnable, adulte - et rien n'est plus puéril que la lumière d'une bougie tremblant dans le noir.
Cette pauvreté de Dieu, ce grésillement de la lumière dans la lumière, ce murmure du silence au silence… »
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Le siècle des marchands
«Au treizième siècle il y avait les marchands, les prêtres et les soldats. Au vingtième siècle il n'y a plus que les marchands. Ils sont dans leurs boutiques comme des prêtres dans leurs églises. Ils sont dans leurs usines comme des soldats dans leurs casernes. Ils se répandent dans le monde par la puissance de leurs images. On les trouve sur les murs, sur les écrans, dans les journaux. L'image est leur encens, l'image est leur épée. Le treizième siècle parlait au cœur. Il ne lui était pas nécessaire de parler fort pour se faire entendre. Les chants du Moyen Age font à peine plus de bruit que de la neige tombant sur de la neige. Le vingtième siècle parle à l'œil, et comme la vue est un des sens les plus volages, il faut lui crier, hurler avec des lumières violentes, des couleurs assourdissantes, des images désespérantes à force d'être gaies, des images sales à force d'être propres, vidées de toute ombre comme tout chagrin. Des images inconsolablement gaies. C'est que le vingtième siècle parle pour vendre et qu'il lui faut en conséquence flatter l'œil - le flatter et l'aveugler en même temps. L'éblouir. Le treizième siècle a beaucoup moins à vendre - Dieu ça n'a aucun prix, ça n'a que la valeur marchande d'un flocon de neige tombant sur des milliards d'autres flocons de neige. »
Christian Bobin "Le Très-Bas"