J'ai lu le livre (il a trois cent pages, et se lit en trois heures peut-être).
Je n'aime pas lire une critique d'un roman avant de l'avoir lu, si bien que j'engage ceux qui comptent lire le roman à ne pas lire ce qui suit (s'ils partagent cette répugnance).
Je suis quelqu'un qui - à tort ou à raison - a trouvé les romans de Houellebecq extrêmement inégaux.
1.
Les particules élémentaires : prodigieux, passionnant, libérateur, surexcitant.
2.
Extension du domaine de la lutte : estimable.
3.
Plateforme,
La carte et le territoire : lisibles, avec des faiblesses patentes.
4.
La possibilité d'une île : nullissime, nauséabond d'idiotie, exécrable. bébête.
Je range
Soumission dans la catégorie 3.
Le héros, François, universitaire spécialiste de Huysmans, est assez bien campé par cette cette spécialité, qui le démarque de personnages récurrents chez H. De plus, sans être un joyeux drille, il n'est pas dépressif, et s'intéresse aux bons alcools et à la nourriture. Tout ça lui donne une certaine consistance : on n'a pas l'impression d'un simple porte-parole de l'auteur, ni d'une pure et simple réutilisation d'un personnage d'un roman précédent.
Hélas, il commence par perdre son père, puis c'est sa mère, et il éprouve pour eux les mêmes sentiments que les précédents personnages de Houellebecq, ici vraiment trop répétitif.
Le livre, il me semble, souffre significativement d'être sur les idées à la mode un peu partout, on a l'impression que Houellebecq a trouvé son sujet dans
Valeurs actuelles, et que sa cible est
C dans l'air. Cela fait un roman dont on peut facilement parler dans un dîner en ville, et qui y est même incontournable. Je doute un peu de sa force et de sa pérennité.
C'est un roman, je dirais, hyper-Fn.
"Le véritable agenda de l'UMP, comme celui du PS, c'est la disparition de la France, son intégration dans un ensemble fédéral européen. Ses électeurs, évidemment, n'approuvent pas cet objectif". (propos tenus par un personnage, mais qui semble avoir raison - auxquels les faits donnent raison quant à l'alliance UMP-PS qu'il prévoit).
Et ces deux formations politiques se révèlent d'accord aussi sur l'islamisation.
Intellectuellement, le livre m'apparaît avoir trois faiblesses essentielles :
1° Il nous demande de croire possible que le candidat d'un parti islamiste parvienne au second tour de la présidentielle de 2022.
2° Il nous demande de croire que la victoire d'un parti islamiste entraînerait une généralisation de la polygamie (les Français convertis à l'islam - professeurs d'université par exemple - prennent plusieurs épouses d'origine musulmane). Or la polygamie ne subsiste que dans les sociétés musulmanes arriérées. Les sociétés musulmanes un peu modernes - même l'Iran, qui est une dictature islamiste - ont abandonné la polygamie.
En d'autres termes : l'islamisme, dans une société modernisée, n'a pas pour projet la diffusion de la polygamie. Les jeunes Iraniennes font des études, n'ont pas plus d'enfants que les Européennes, travaillent, et ne supporteraient pas la polygamie (et d'ailleurs, elles supportent de moins en moins le régime islamiste).
3° Il nous demande de croire possible que la victoire d'un parti islamiste en France entraînerait l'entrée dans l'Union européenne de la Turquie, des pays du Maghreb, du Liban et de l'Egypte (ce qui ferait combien de dizaines de millions d'immigrants turcs et arabes ? Cinquante millions ? Soixante-dix millions ? Cent millions ? (pages 198 et 211)).
Par ailleurs, le récit contient une énorme invraisemblance - assez inutile d'ailleurs. Le jour de l'élection présidentielle, plus une radio française ne fonctionne, plus une télé non plus. Pendant cette interruption le héros ne sait rien : il ne tourne pas le bouton pour capter une chaîne étrangère, il ne va pas sur internet pour apprendre ce que dit le monde du silence des ondes françaises, il ne passe pas un coup de téléphone à l'étranger. Le soir, cependant, à la télé, il y a BBC news en anglais - mais comme il ne comprend pas l'anglais...
Puis tout se rétablit, sans qu'une explication soit donnée de l'interruption.
Autre invraisemblance : le deuxième tour de la présidentielle est annulé - "car le code électoral était formel : il suffisait que les résultats d'un seul bureau de vote, dans toute la France, soient rendus indisponibles, pour que l'élection entière soit invalidée". En réalité, c'est au Conseil constitutionnel d'apprécier si les irrégularités sont suffisantes pour entraîner l'annulation d'un scrutin, présidentiel ou autre.
La doctrine du héros, en matière de femmes, est à peu près ceci.
Les femmes cessent beaucoup plus vite d'être désirables que les hommes (apparemment, le héros n'a pas entendu parler de la chirurgie esthétique), donc aucun mariage ne peut tenir. De plus, les Occidentales doivent concilier le travail et la vie familiale et érotique avec leur mari, ce qui est épuisant et acrobatique - impossible.
La polygamie avec des musulmanes est donc la solution : jeune homme,
via une marieuse tu épouses une fille de quinze ans, quand elle aura vieilli tu en épouseras une autre (de quinze ans), et tu reconvertiras la première en cuisinière. Ça fonctionne d'autant mieux que les musulmanes traditionnelles sont puériles, et que, si en public elles sont vêtues de façon non excitante, elles savent porter des dessous affriolants.
Certes, ça ne peut marcher que pour la minorité nantie de la population, mais c'est déjà ça (cela dit, le livre pourrait soutenir que presque tous les Occidentaux sont nantis par rapport aux musulmanes du Sahel, de l'Egypte, et même, dans une certaine mesure, du Maghreb : en filigrane on peut imaginer l'utopie d'une généralisation de la polygamie à toute la population française de souche, convertie, par importation massive de musulmanes d'Afrique).
Le centre de gravité de l'interrogation politique/civilisationnelle, chez Houellebecq, me paraît être : comment tirer des femmes séduisantes (donc jeunes) quand on n'est soi-même pas séduisant (notamment parce qu'on est vieux, ou parce qu'on ne donne pas aux femmes l'amour qu'elles demandent) ?
Réponse dans
Extension, dans
Carte et territoire : c'est impossible, on est donc condamné.
Dans
Plateforme : le tourisme sexuel.
Dans
L'enlèvement de Michel Houellebecq (film) : le rapport tarifé avec une prostituée occasionnelle (maghrébine).
Les Particules étaient un peu en dehors de cette problématique (elles mettaient en scène plutôt la misère affective, et c'est à elle qu'elles cherchaient remède - par le dépassement de l'humanité).
Dans
Soumission, Houellebecq joue avec l'idée de la polygamie avec des musulmanes importées (sans trop y croire beaucoup, je pense), tout en évoquant aussi la possibilité du rapport tarifé avec la prostituée occasionnelle.
Encore un livre de Houellebecq qui ne plaira pas tellement aux femmes...
Le scènes de sexe - interminables dans
La carte et le territoire - sont peu nombreuses et assez brèves. La satisfaction qu'éprouve le héros ne semble pas très crédible, et est très convenue... (moment érotique à quarante-deux ans avec sa maîtresse habituelle (qu'il n'a pas vue depuis un certain temps il est vrai) : "...les vagues de plaisir déferlaient et balayaient ma conscience, je tenais à peine sur mes jambes, j'étais à deux doigts de m'évanouir. Juste avant d'exploser dans un hurlement, j'eus la force de supplier : "Arrête... Arrête..."
J'avais à peine reconnu ma voix - déformée, presque inaudible.")
Les prostituées que le héros fréquente, il les pratique y compris par l'orifice que les femmes ont en commun avec les hommes, ce qui étonne un peu.
Houellebecq mentionne qu'il s'est documenté sur la vie des universitaires auprès de Mme Novak-Lechevalier, maître de conférence à Paris X Nanterre.
La carrière du héros cependant m'étonne. Né en 1978 (il a quarante-quatre ans en 2022), il devient universitaire sans avoir fait Normale Sup ni, apparemment, avoir passé l'agrégation, et semble devenir directement maître de conférence (à Paris III). Il devient ensuite professeur dans cette même université, où il effectue donc toute sa carrière.
Le trait le plus déplaisant dans les livres de Houellebecq est ici absent : la volonté de faire scandale. Dans
Carte et Territoire, c'était l'apparition de Karl Lagerfeld à côté du narrateur, lequel Lagerfeld était montré s'empiffrant grossièrement. Dans
Plateforme, c'était la prostituée thaïlandaise parlant des Japonais comme de maniaques à la sexualité incompréhensible. Dans
Les Particules, c'était de ne pas avoir changé le nom du centre de vacances, dans l'espoir évident (et réussi) de susciter la protestation de ses responsables.
Ici, rien de tel : la provocation d'être pro-Fn suffit, je suppose...
Il me semble qu'on s'intéresse assez peu au héros et à son devenir.
L'action est censée se passer en 2022. Mais, à part le président du parti politique musulman, toutes les figures publiques qui sont évoquées sont déjà là maintenant, que ce soit dans la politique ou les médias : Bayrou, Hollande, Valls, Philippot, Marine Le Pen, Christophe Barbier (
l'Express), Yves Thréard (
le Figaro), Pujadas, etc. (sans oublier Renaud Camus !), et l'on trouve même UMP (alors que le nom va disparaître incessamment) et Jean-François Copé (alors qu'il me semble qu'il est fini comme dirigeant politique), Front National (alors qu'il semble peu probable que le nom soit encore là dans huit ans - on parle de Rassemblement blond marion) et
Libération (alors que ce journal est plus ou moins mourant). Cela rend la lecture facile, mais contribue un peu au sentiment qu'on n'a pas tout à fait affaire à un roman (cette critique, je l'ai trouvée formulée aussi dans
Le Monde d'aujourd'hui).
Y contribue aussi le fait qu'à certains moments on a l'impression que tel ou tel personnage discoureur parle comme Houellebecq écrit. Par exemple, un flic de la DGSI (page 146) : "...l'Education nationale... Les choses seront moins difficiles pour l'UMP, qui est proche de la désintégration, et qui n'a jamais accordé la moindre importance à l'éducation,
le concept lui est même presque étranger". Page 152 : "Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable, c'est qu'il est parfaitement stupide, son projet politique s'est toujours limité à son propre désir d'accéder par n'importe quels moyens à la "magistrature suprême". il n'a jamais eu, ni même feint d'avoir la moindre idée personnelle ; à ce point, c'est tout de même assez rare.
Ça en fait l'homme politique idéal pour incarner la notion d'humanisme".
Mots ou réalités inconnus de moi avant la lecture : ZZ Top, Nick Drake, show-off ("bourgeoisie show-off"), reps, Meetic, Justin Bridou, subsonique (qui est employé au sens de : juste en dessous de la vitesse du son), lenticulaire, oblat, Bat Ye'or, circumambulation, Hanswurst,
Houellebecq écrit gageure (et non gajure, comme le propose la réforme - largement inappliquée - de l'orthographe) et met après-midi au féminin (il le fait deux fois, donc ce n'est pas une inadvertance) - ce n'est pas ce qui est recommandé mais l'usage hésite.
Pas trop de mots anglais, pas de fautes d'orthographe (deux erreurs de casse : "Moyen âge", deux fois ; et "Meursault" pour "meursault" (il s'agit du vin)), une parenthèse assez mal placée (page 52), pas d'abus d'italiques (le procédé est essentiellement concentré sur quelques pages : en pages 183 et 184 on trouve "J'étais
dans la force de l'âge", "cette zone sombre...où le
pronostic vital, comme on dit, est ...engagé", "il fallait compter une dizaine d'années... avant qu'on ne me qualifie d'
encore jeune", "il fallait compter quelques semaines avant qu'elle ne m'annonce... qu'elle avait
rencontré quelqu'un", "j'étais
dans la force de l'âge, comme j'ai dit").
Au total : un roman ultra-facile à lire, peu ambitieux. clairement inscrit dans la mouvance Fn.
Sur ce dernier point, on peut dire : comme celle-ci est exclue des médias (écrits comme audiovisuels), elle ne trouve d'aliments que dans des livres (Zemmour, Houellebecq), auxquels il est logique qu'elle fasse un triomphe.
Le lecteur idéal, me semble-t-il : masculin, dans la mouvance Fn, pas dénué de culture (il en faut un peu pour s'identifier à un héros professeur de littérature spécialiste de Huysmans), intellectuellement aussi limité que possible, sans ambition quant à l'amour. Mais évidemment le livre peut plaire à qui n'est pas caractérisé par ces cinq traits.