Le site du parti de l'In-nocence
France Info hier soir racontait la tournée triomphale de Lassana B. (le Schindler de l'Hypercasher) dans son pays d'origine. Interrogé sur ses projets, outre l'organisation probable du regroupement familial auquel sa famille a droit désormais, il a déclaré qu'il souhaitait créer une association de défense des "sans-papiers" parce qu'en France il avait beaucoup souffert. Nul doute que les subventions vont déferler. En voilà un qui a tout compris.
Je le trouvais un peu ensuqué, au début, le Lassana, mais force est de constater que depuis son intronisation il va plutôt bien son petit bonhomme de chemin. Dans quelques années, il fera un très bon secrétaire d'Etat aux Très gentils musulmans qui zont signé la Charte de la laïcité.
(Ensuqué fleure bon ses Bouches-du-Rhône. Encore un mot de la langue fantôme, commune aux gens du Sud-Est, et l'on ne peut qu'être reconnaissant à P.-J. Comolli de le ressusciter dans l'écrit, pour un jour au moins.)

(à Nîmes, il y avait calut, exactement dans le même registre et avec le même sens, que je n'ai trouvé écrit nulle part au monde si ce n'est dans une nouvelle de Jean Paulhan, nîmois d'origine).

(Quand ce jeune homme originaire du Mali sera sous-sécrétaire d'Etat chargé de l'Observatoire de la Laïcité, tout ça aura été oublié depuis longtemps, autant le consigner tout de suite, pour une postérité elle-même imaginaire.)
30 janvier 2015, 17:12   Langue fantôme
Du côté de Menton, on a aussi béliné.

Calut s'emploie encore à Nice, souvent précédé de "complètement".
30 janvier 2015, 17:17   Re : Langue fantôme
À Sète, être complètement calut signifie grosso-modo que l'on déraille et quand on veut dire que quelqu'un perd complètement la tête, on dit qu'"il touche la bombe" ("il toucheu la bommbeu") ou, plus gentiment, pour un vieillard par exemple, qu'"il est dans les lapins" ou qu"il perd la carte".
Calu se disait des moutons devenus fous.
Dont acte. Merci à tous de ces apports. Ces mots existent, même s'ils ne sont plus guère en circulation. Je soulignais le fait qu'ils ne s'écrivent jamais. En France, pays où le germanopratisme se pique de tout ce qui est créole, africain, et bien sûr "langue du 9-3", il reste interdit de donner à lire ces mots qui appartiennent à des aires linguistiques proscrites et à des mondes parias, ceux de provinces françaises qui n'ont plus droit de cité dans l'imaginaire national refondé par les castes xénophiles au pouvoir, lesquelles ordonnent les contenus de cet imaginaire, sont les façonneuses et ingénieures de la France d'après, dont elles appellent l'installation sur le pré national comme la vache en chaleur mugit son appel au taureau.
Un empégué, un enfréné (enfreiné ?). Mais pas si baoutche, moins chtarbé que tous ces emplatres qui te lui passent la pommade, à ce nessi. C'est à vous coller le beuel.
Nessi est un vieux mot occitan qui se décline en "naïce" dans certaines régions (dans les Cévennes). Selon une légendes, il dériverait de "n.c.", les "Nouveaux Convertis" de la Réforme, les Huguenots et autres Camisards.

"S'empéguer" signifie "s'enivrer", dans le Gard tout au moins.

Baoutche a quelque chose de camarguais.

Je reconnais dans le beuel, le bômi des Nîmois, soit la gerbe des gens du Nord de la Loire.
Merci, cher Francis Marche, pour ces éclaircissements. Je rapprochais plutôt nessi de nice, ou nicet (simplet, candide), mais le lien avec les parpaillots est séduisant. Pour empégué, j'y entends aussi un dérivé de mots comme pègue, pégueux, pégous : l'empégué est celui qui se trouve au milieu, qui est là, collé, englué, sans savoir ce qui lui arrive. Enfin, je distingue le bômi, qui peut finir par un raoul, du beuel, blues en verlan, à la mode dans mes jeunes années. L'étymologie, c'est tissouss.
Oui, la pègue. Je me souviens qu'il y a fort longtemps, plus de trente ans, je devais traduire en français le terme anglais sticky bun ou un autre très approchant, qui désignait une viennoiserie glacée au miel ou au sucre, du type même de ces brioches qui collent aux doigts. La traduction était là, je l'avais, si je puis dire, sur la langue : brioche pégueuse, qui rendait parfaitement la chose, mais ce n'était pas la bonne langue. Je fis pars de ma gêne à une collègue française qui partageait le même bureau, originaire des Yvelines. Je lui demandai si "brioche pégueuse" lui dirait quelque chose. Rien, évidemment, mais elle fut très étonnée : elle me dit qu'une ancienne collègue à elle, originaire du Midi comme moi, employait ce terme, qu'elle n'entendait pas : "ça pègue" (ça colle aux doigts).

La traduction française "brioche collante" était nulle, mais la seule à disposition dans la langue de Chateaubriand, apparemment.

Michel Serres, originaire d'Agen, raconte qu'en Amérique, il était parfois pris de la même démangeaison de son membre fantôme, qui lui soufflait à l'oreille l'équivalent occitan ou "patoisant" de mots d'anglais qu'il rencontrait.
Ensuquer est de l'est méditerranéen, je ne sais, Rémi, si on le dit à Sète, mais dans le Tarn, à Toulouse et et Perpignan, c'est Assucar, même sens (Suc étant le sommet de la tête).

Pour nèci, très fréquent chez les vieilles gens de la campagne du Tarn où il veut dire "innocent, nigaud, niais", d'où nécitjada, enfantillage, Alibert, dans son dictionnaire, le dit venir du latin nescius qui donna en français classique nice.

Nice est perdu mais fut employé par de grands auteurs, dont Colette ou La Fontaine.

Entendez donc que j’ai cru, plus nice qu’une pensionnaire, au pouvoir exclusif de cet inconnu que je fuyais ! Colette, La Retraite sentimentale, 1907, Le Livre de poche, p. 40
Je pensais justement à péguer, la seule traduction imparfaite c'est poisser donnant poisseux, mais ça ne marche pas.

Cela veut dire coller mais sans trop, rester aux doigts...

En fait, la grande force du bilinguisme languedocien-français était l'expression de la nuance. Le sens premier de péguer est coller, comme en espagnol (pegar). Un bilingue franco-occitan dira que le scotch colle mais que le gâteau pègue, ce n'est pas la même façon de coller.

De la même façon, il dira assommer parlant d'un animal mais ensuquer (ou assuquer) parlant de quelqu'un qui est ivre-mort.
Oui, péguer, c'est poisser, évidemment. Mais il était impossible de parler de "brioche poissante", du moins me semblait-il.

Dans mon enfance gardoise, le populaire (qui ne désignait pas du tout les gens des "quartiers populaires" d'aujourd'hui, comme on s'en doute) disait quelle pègue ce miston ! (quel pot-de-colle cet enfant !). Là, pègue convenait au pot-de-colle du français.

La diversité française c'était ça, elle était historique et comme naturelle, correspondant aux terroirs. Les Yvelines, le Vexin français, qui n'entendaient rien à la pègue des gens du Midi, devaient avoir le leur, de patois, que malheureusement pour moi, je n'ai pas connu -- je crois que j'aurais préféré être enfant dans les Yvelines, entre le château d'Anet et les ruines de l'abbaye de Port-Royal qu'entre Camargue et Cévennes, j'en suis même certain, j'eus été entièrement autre.

La néo-diversité, qui fait bloc, qui fait même, ne se doute de rien de tout ça et l'apprendre ne l'intéresse pas. C'est presque le principal de ce que nous lui reprochons.
Cela rejoint bien ce que j'essaie de dire sur un autre fil, avez-vous lu l'ouvrage de Martinet ?

Il y a un passage tordant où un jeune officier normand, de très bonne famille, étudie avec soin le questionnaire de Martinet. Il barre telle ou telle expression en disant qu'on dit cela en Normandie, mais que c'est populaire. Il cherche la prononciation correcte. Et là, il bute sur "les mots" et "le mot", qu'il prononce différemment (avec un o ouvert dans un cas, fermé dans l'autre). Il ne s'en rend pas compte. Martinet lui fait alors la remarque et ce jeune homme, qui ne peut croire qu'il prononce mal, entend des o ouverts et fermés, alors qu'ils sont identiques, parce qu'il ne peut pas ne pas les entendre.
Une autre chose, Francis, la persistance des formes anciennes du français dans le sud. Jean Séguy, titulaire à la faculté de Toulouse de la "Chaire de linguistique et philologie romanes" décrivait en 1950, dans "Le Français parlé à Toulouse" la persistance de "que non pas " dans les classes populaires et dans la partie âgée de la classe éduquée.

En français du nord, "que non pas" était classique autrefois, cité par Littré (Il vaut mieux tuer le diable, que non pas que le diable nous tue) et a totalement disparu, devenu même incompréhensible.
Oh c'est une immense question, qui traverse toutes les problématiques du bilinguisme. Je relis Un Roi sans divertissement, que j'avais dû lire dans l'adolescence, à Montpellier, et je découvre ce qui ne m'était pas apparu alors : que les "déictiques locatifs" -- pas sûr de ce terme -- de Giono, dans le français riche, expressif et admirable de Giono, sont tous, pratiquement tous, directement empruntés au provençal ou à des formes régionales qui avaient cours dans le pays de la Durance.

On trouve "là-haut dessus", "là-haut dedans", "là-bas dessus", etc. Dans mon enfance, j'avais entendu jusqu'à des "là-bas en bas", par exemple.

S'agissant de la persistance des formes anciennes du français classique dans le Sud, j'ai le sentiment que ce Sud-là n'est pas celui de la Méditerranée, et qu'il est en effet plus toulousain que marseillais. Mais l'affaire est trop subtile pour que je me risque à un développement sur ce point. Ce n'est qu'un sentiment.
01 février 2015, 12:38   là-bas devant
Dans Giono, cet extrait d'un récit de battue au loup pour laquelle tout le village a été mobilisé sous le commandement d'un lieutenant de louveterie, avec cors, crécelles, torches, deux lignes de tirailleurs et un seul chien, dans un maquis enneigé (Un Roi sans divertissement est un livre d'hiver, pour, sur, et dans l'hiver, dont l'hiver est le personnage central, de saison donc), nous sommes en 1863 :

Et si je vous disais qu'à ce moment-là on s'est redressé comme des chevaux à qui on asticote la croupe. Et qu'on s'est bourré en avant et que, plus il y avait de bruit, plus on voulait en faire, et qu'on aurait été capable (peut-être) de déchirer un loup avec les dents. En tout cas, l'envie y était. Et pire que l'envie : pendant que ce cor cornait, que les crécelles craquaient, qu'on guettait les buissons là-bas devant pour voir si, de l'un d'eux, n'allait pas jaillir le fuseau noir et rouge d'un loup, gueule ouverte, nous nous regardions furtivement les uns les autres, et si je ne sais pas de quelle qualité était mon regard je sais de quelle qualité était le regard des autres posé sur moi. Oui, sur moi. Qui n'ai jamais fait de mal à personne.

Ce là-bas devant serait en français national peut-être un "loin devant nous" voire un insipide "au loin" (chez les auteurs les plus maigres et sans saveur). Je ne crois pas que là-bas devant soit de la langue littéraire, et ce n'est pas non plus une invention de l'auteur, ce ne peut être guère autre chose qu'une bribe fantôme de langue de terroir, que l'on trouve chez Giono tant dans la bouche des personnages que sous la plume du narrateur, l'une et l'autre le plus souvent confondues, il est vrai.

Je ne résiste pas à vous faire partager la description du chien de cette chasse, donnée comme un rite :
C'est un chien beaucoup plus gros que les nôtres. Au moins le double. C'est un chien dressé exprès, c'est un mastiff. Il a un énorme collier à pointes pour lui protéger la gorge. Il a des pectoraux comme un âne de meunier. Il n'a pas d'oreilles. Il a la tête ronde comme une courge. Il marche à pas comptés comme le procureur. Il a toute l'épine dorsale en arête de poisson. Il a la queue raide comme une tringle. Il est superbe!
Et c'est ainsi, une fois que Curnier [son maître] l'a détaché, qu'il entre dans les taillis devant nous sans manifester ni peur ni joie.


Le film de 1963, dans son intégralité, avant que ne fût jamais imaginée la cauchemardesque fiction et le règne annoncé de la diversité artificielle :

[www.youtube.com]

(la battue commence à la 32ème minute)

Cette page d'étude sur Un Roi, plutôt bien faite, qui montre une carte du Trièves (confins de la Drôme alpine et de l'Isère) : [www.site-magister.com]

Il est probable que Un Roi ait inspiré la pièce La Fête noire d'Audiberti, créée à Paris en décembre 1949, qui aborde les mêmes thèmes et le même univers (une partie de chasse et la chasse à la cruauté) :

Dans la Fête noire, on trouve ceci :

Quand l'esprit de la justice et de la vérité, pour primer sur la violence aveugle et criminelle, parvient à susciter une force efficace, cette force, par la grossièreté de son essence, par l'importance de son volume, par la vibration de son intensité, s'apparente fâcheusement aux déchaînements mêmes qu'elle entend réprimer.

[www.gilles-jobin.org]
02 février 2015, 18:45   Re : là-bas devant
Quelques commentaires sur Un roi sans divertissement dans les profondeurs de notre forum :

[www.in-nocence.org]

et ici, avec un mot particulièrement féroce de l'ami Jean-Marc :

[www.in-nocence.org]

A lire maintenant donc, ce livre peut-être aussi actuel que le dernier Houellebecq.
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