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La religion de paix, tout ça...

Envoyé par Pierre Jean Comolli 
Je viens de regarder le film (il n'y a pas d'autre mot) de l'immolation du soldat saoudien et je suis assommé, non par la barbarie ou l'horreur, mais par la technique. On croirait une bande-annonce de blockbuster... Qui a monté ça ?

"Ces images sont violentes, elles sont crues et bouleversantes." a prétendu le speaker de Fox news. Non, elles sont tout sauf crues, elles sont CINEMATOGRAPHIQUES !
Il était jordanien, le pauvre. Ces images sont épouvantables, bien au-delà du supportable. Espérons que les Jordaniens vont faire suivre d'actes leurs paroles vengeresses (si tous les Arabes s'unissaient, ces islamo-nazis serait anéantis en quelques jours...).
Je viens de vous relire: vous n'avez pas été assommé "par la barbarie ou l'horreur, mais par la technique"?!!? A mon tour d'être assommé.
C'est-à-dire que ce n'est pas incompatible. Je comprends ce qu'il veut dire : il y a là quelque chose qui est à l'État islamique ce que Leni Riefenstahl a été au nazisme — sauf qu'elle n'avait pas été filmer à Auschwitz et qu'elle avait un talent éclatant.
Eh bien, c'est pourtant simple : le plus horrible pour moi c'est que ces images soient montées, réfléchies, cadrées, esthétisées selon les règles de la production cinématographique. C'est un spectacle proprement hallucinant, on ne sait pas ce qu'on est en train de regarder. Les bourreaux ont des tenues aussi fausses que pour une pub de parfum et la victime elle-même semble évoluer dans un décor, on croirait entendre un quelconque réalisateur demander qu'on refasse la prise. D'ailleurs, comment diable cela a-t-il été filmé ? Il y a des ralentis, des accélérés, des regards comme dans les westerns spaghettis, des flash-back, du montage, et vous ne trouvez pas cela épouvantable ? Vous ne trouvez pas épouvantable ce sentiment d'irréalité ?
Alors, si la belle image a un effet tel qu'il l'emporte sur ce que montre cette image... J'ai aussi pensé à ces photos très stylisées de nazis, comme celle qui circulait récemment sur FB: en contre-plongée, elle montrait deux SS: l'un tenant un bébé en larmes, l'autre pointant son luger sur la tempe du tout-petit. Ah pour sûr, le cadrage, la matité, les contrastes, tout y était!
J'ajouterai que résister à la pulsion du spectacle devrait être le premier des devoirs intimes. Il ne me paraît pas insurmontable de conjurer, sur soi, les effets sidérants provoqués par les mises en scène des terroristes. Ou bien, on finit au premier rang, à côté de Stockausen, qui, n'y tenant plus, avait qualifié les attentats du 11 septembre de "plus grande oeuvre d'art réalisée."
Citation
Thomas Rothomago
Eh bien, c'est pourtant simple : le plus horrible pour moi c'est que ces images soient montées, réfléchies, cadrées, esthétisées selon les règles de la production cinématographique. C'est un spectacle proprement hallucinant, on ne sait pas ce qu'on est en train de regarder. Les bourreaux ont des tenues aussi fausses que pour une pub de parfum et la victime elle-même semble évoluer dans un décor, on croirait entendre un quelconque réalisateur demander qu'on refasse la prise. D'ailleurs, comment diable cela a-t-il été filmé ? Il y a des ralentis, des accélérés, des regards comme dans les westerns spaghettis, des flash-back, du montage, et vous ne trouvez pas cela épouvantable ? Vous ne trouvez pas épouvantable ce sentiment d'irréalité ?

Oui Monsieur, tout cela m'estomaque. La dimension artificielle, la mobilisation virtuose de toutes les puissances audiovisuelles du faux, ce lyrisme de pacotille. Ce kitsch pourtant impressionnant. Mais avez-vous déjà regardé des chaines de télé arabes? Y sont diffusées du matin au soir les mêmes sortes de produit. Les clips vidéos de chanteuses libanaises siliconées, les comédies égyptiennes où tout ce qui est montré l'est de manière hyper emphatique. Mais là, mon œil n'est pas dupe, les ressorts de l'identification ne sont pas cassés. Et d'ailleurs, le fard de la production ne sert pas ici à cacher la réalité ou à la déformer, bien au contraire. Tout ce foin esthétique exalte la vérité du sort abominable réservé à ce malheureux.
07 février 2015, 12:56   Re : La religion du cinéma...
Citation
Thomas Rothomago
Je viens de regarder le film (il n'y a pas d'autre mot) de l'immolation du soldat saoudien et je suis assommé, non par la barbarie ou l'horreur, mais par la technique. On croirait une bande-annonce de blockbuster... Qui a monté ça ?

"Ces images sont violentes, elles sont crues et bouleversantes." a prétendu le speaker de Fox news. Non, elles sont tout sauf crues, elles sont CINEMATOGRAPHIQUES !

J'ai refusé de regarder, mais ai entendu dire qu'au contraire, ils n'avaient manifestement pas lu Bazin.
Que voulez-vous dire ? N'ayant pas lu Bazin, je ne saisis pas le sens de votre remarque.
L'un, Hervé, a écrit un roman intitulé L'Huile sur le feu, l'autre, André, des traités sur l'art du montage cinématographique. C'est l'un ou l'autre et comme il se trouve, ça peut être les deux. Le XXIe siècle est intrinsèquement intriqué.
07 février 2015, 20:02   Chez les Bazin
J'en étais resté à René, de qui j'ai lu Donatienne il y a quelques années...

Je suppose que Billy Budd évoque André, que les réalisateurs des films à grands spectacles américains d'aujourd'hui, ou ceux des publicités, n'ont peut-être pas, eux non plus, lu.
Le cinéma n'est décidément pas un art mais un mobile à l'action. Le moment de propagande (Eisenstein, puis Dziga Vertov et bien sûr Joris Ivens) ne fait que précéder le moment où le filmage, l'acte de saisie cinématographique, devient condition de mise en scène de l'action politique dans le réel : si pas de filmage, alors pas d'immolation du pilote jordanien, pas de "manif" à quinze qui paraîtront quinze cents sur la pellicule ou au JT du soir (comme Mélenchon nous l'a montré en 2013), si pas de I-phone pour filmer les gifles à la sortie de l'école, alors pas de gifles. Le cinéma n'est ni un art ni un moyen de transcrire le réel mais tout entier un prérequis à l'action politique et sociale objectivable.

Il n'y a aucun "art" dans Comment Yukon déplaça des montagnes de J. Ivens, seulement de la propagande pré-actionnelle : le réel face à l'objectif se met en scène tout seul. Le faux documentaire est de statut indéfinissable : il motive le réel en ceci que la diffusion du film en devient mobile à l'action qui sans elle, sans sa possibilité, ne s'actualiserait pas.

Le cinéma est déjà, dès l'objectif (la visée de l'action), sociologique et atroce. Un ami cinéaste, dans les années 70, qui avait travaillé avec les amis de Joris Ivens me le signifiait ainsi : attache une caméra à l'échine d'un chien errant dans Paris et à la fin de la journée ou trois jours et trois nuits plus tard, récupère la bobine : tu auras un magnifique documentaire sur la ville de Paris, et tu pourras même être primé dans un festival spécialisé. L'acte filmique, la décision de saisie cinématographique est déjà un acte politique, à la fois propagandiste et soudé à l'action politique qu'il motive.

Le cinéma est atroce par nature non point seulement parce qu'au service de l'atrocité politique mais comme épine dorsale de la démonstration sociale et politique en acte. Il ne s'élève au-dessus de rien, ou quand il montre des prétentions à le faire, il lui faut l'indispensable adjonction de la musique.
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