Le cinéma n'est décidément pas un art mais un
mobile à l'action. Le moment de propagande (Eisenstein, puis Dziga Vertov et bien sûr Joris Ivens) ne fait que précéder le moment où le filmage, l'acte de saisie cinématographique, devient condition de mise en scène de l'action politique dans le réel : si pas de filmage, alors pas d'immolation du pilote jordanien, pas de "manif" à quinze qui paraîtront quinze cents sur la pellicule ou au JT du soir (comme Mélenchon nous l'a montré en 2013), si pas de I-phone pour filmer les gifles à la sortie de l'école, alors pas de gifles. Le cinéma n'est ni un art ni un moyen de transcrire le réel mais tout entier un prérequis à l'action politique et sociale objectivable.
Il n'y a aucun "art" dans
Comment Yukon déplaça des montagnes de J. Ivens, seulement de la propagande pré-actionnelle : le réel face à l'objectif se met en scène tout seul. Le faux documentaire est de statut indéfinissable : il motive le réel en ceci que la diffusion du film en devient mobile à l'action qui sans elle, sans sa possibilité, ne s'actualiserait pas.
Le cinéma est déjà, dès l'objectif (la visée de l'action), sociologique et atroce. Un ami cinéaste, dans les années 70, qui avait travaillé avec les amis de Joris Ivens me le signifiait ainsi :
attache une caméra à l'échine d'un chien errant dans Paris et à la fin de la journée ou trois jours et trois nuits plus tard, récupère la bobine : tu auras un magnifique documentaire sur la ville de Paris, et tu pourras même être primé dans un festival spécialisé. L'acte filmique, la décision de saisie cinématographique est déjà un acte politique, à la fois propagandiste et soudé à l'action politique qu'il motive.
Le cinéma est atroce par nature non point seulement parce qu'au service de l'atrocité politique mais comme épine dorsale de la démonstration sociale et politique en acte. Il ne s'élève au-dessus de rien, ou quand il montre des prétentions à le faire, il lui faut l'indispensable adjonction de la musique.