Citation
Alain Eytan
» Que le chaos soit charmant comme une chevelure de femme défaite n'a rien à voir avec ça
Oh là, Francis, si si, ça a tout à voir... Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas vraiment de "chaos", puisque l'expression est parfaitement compréhensible et même plaisante.
Et il faudrait que je retrouve ce passage de Gracq sur Rimbaud, je crois que c’est dans En lisant en écrivant, où il parle justement d'une gaucherie, de ce léger tremblement dans la prose rimbaldienne, produisant une sorte d'imperceptible décalage comme une vision double, une compréhension double, qui la rendrait si séduisante...
Chose promise... c'était dans
Lettrines 2. Comme je ne me lasse jamais de redécouvrir la sagacité et la finesse de Gracq critique, je recopie tout le passage.
« Un des prestiges subtils de l'écriture de Rimbaud est parfois dans un imperceptible bégaiement, un clapotement tremblé, un
repentir d'apparence gauche, don gratuit probablement de l'automatisme, mais repris peut-être ensuite avec infiniment d'art : le même pouvoir d'ensorcellement en émane que parfois du léger strabisme d'une femme.
Tout semblait devoir être trop
content ce soir là
Oui, l'heure nouvelle est au
moins très sévère
Que par toi beaucoup, ô Nature
ah ! moins seul et moins nul, je meure
Jamais l'auberge verte
ne peut bien m'être ouverte
Cette boiterie délicieuse fait à elle seule presque tout le charme de pièces comme
Larme ou
Mémoire (dans
Larme, d'ailleurs, c'est toute la sonorité complexe de la pièce qui vacille avec séduction au bord de la dissonance). La langue de Rimbaud, génie adolescent, a elle-même souvent le charme ambigu et désaccordé de la mue : semis espacé de notes cristallines, d'autant plus pures de venir flûter tout à trac dans la basse neuve d'une puberté aussi arrogante.
Les Déserts de l'amour et
Bethsaïda : deux des plus admirables proses qu'ait écrites Rimbaud. Merveilleux : "sa chambre de pourpre, à vitres de papier jaune, et ses livres, cachés, qui avaient trempé dans l'océan". Ou encore : "la lampe de la famille rougissait l'une après l'autre les chambres voisines". Je ne connais aucun texte où l'allure inimitable du rêve et la cohésion poétique exigeante de la coulée verbale restent accordées aussi miraculeusement que dans
Les Déserts de l'amour.
Bethsaïda : un épisode de la
Légende des Siècles qui mesure comme un repère sur un mur l'énormité du
raccourci de la poésie française en vingt ans. Jésus inspire Rimbaud rarement, mais toujours admirablement : "Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages. Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber... Jésus marchait sur les eaux irritées.
La lanterne nous le montra debout, blanc et de tresses brunes, au flanc d'une vague d'émeraude". Fulgurante image, que rejoint à distance
Bethsaïda, par la singularité de l’éclairage : la grande faux de lumière sur l'eau ensevelie, la lumière "jaune comme les dernières feuilles des vignes". »