Le risque majeur du raisonnement analogique, ce par quoi Icare risque de s'abîmer dans les marais, c'est ... le désordre des images dont il use.
L'idée directrice, non pas de ce texte de 1965, mais de l'usage que je propose d'en faire aujourd'hui est de mettre le doigt sur le point de l'histoire politique du continent au-delà duquel pousse un rameau stérile, un monstre gérontomorphique, si vous voulez, qu'il va falloir extirper de l'arborescence historiale du continent, comme hypothèse à écarter, car porteuse de nécrose, de mort de l'arbre et de regression (cette fondation de l'UE est
tardive et l'instauration de sa monnaie unique en coïncidence avec le millenium, grotesque).
Je viens de suivre une émission de la BBC (la télévision) ayant pour sujet "l'Europe", question évidemment de la plus brûlante actualité au Royaume-Uni en ce jour de référendum. Est présenté l'interview d'un producteur laitier... italien qui explique, dans les mêmes termes que pourrait le faire un producteur laitier français, qu'avec du lait de provenance d'Europe du Nord-Est, et de l'Est, surtout de l'Est, mis sur le marché de gros à 30 centimes d'euros le litre il va devoir abattre ses bêtes, desquelles il tire un lait qui lui revient (prix de revient, pas pris du marché) à 40 centimes. La spécialisation des aires d'un continent intégré, le monstreux koala hypespécialisé dont je propose qu'on se débarrasse pour revenir à une Europe des nations, vous l'avez là : l'Italie, et bientôt la France, ne correspondent pas aux "régions de production laitières optimales" décidées par Bruxelles pour le CONTINENT dont la technocratie intégrée (et intégriste) entend bien
spécialiser les REGIONS, et notre producteur italien comme ses homologues français, au lieu de se trouver appartenir à une région de SON PAYS spécialisée dans la production laitière se trouve désormais et bientôt de manière irrévocable situé dans une région d'Europe dont ce n'est pas la spécialité, et il devra donc se reconvertir en animateur de Club Med ou en plagiste à temps partiel, ou en guide de montagne, ou en employé de pistes de ski, ou en intermittent du spectacle, ou en animateur de rue, ou en clown de parc à thème puisque ces REGIONS DU CORPS IMPERIAL CONTINENTAL que sont désormais l'Italie et la France auront le tourisme comme spécialité principale (ils disent "vocation").
C'est à dire qu'un monstre est en train de naître qui entre tout à fait dans les plans de l'ancien Reich hitlérien : l'Europe s'organise en régions transnationales, en secteurs à "vocation" de ceci ou de cela, comme les organes efficient d'un corps nouveau que le levier économique (le divin "marché") a pour tâche d'assigner à leurs fonctions en rationalisant et en moulant le tout suivant cette finalité-là : faire que 28 pays aux "vocations" infra-nationales chacune répétée 28 fois (régions de production laitière, zones touristiques, qui se retrouvent en Italie, en Hongrie, en Suède ou en France, etc.) laissent place à un continent dont l'organisation économique de l'espace sera la reconduite à l'échelle continentale de ce qu'était celle de chacun de ces pays. Les nazis pensaient l'avenir de l'Europe en ces termes, dans le mépris le plus complet de l'existant et de l'appartenance des populations à leur existant. Seule comptait pour eux l'efficience qui avait pour corrolaire l'élimination des doublons géographiques et économiques : les industries dans la Ruhr, le commerce international dans la Hanse, les bronze-culs sur les rivages méditerranéens, les pâturages et les champs de blé et de patates partout ailleurs, et bien sûr les "noeuds de transports" disséminés sur les grandes lignes de chemin de fer transnationales, bien en phase avec l'amour des nazis pour le chemin de fer (trait de caractère qu'ils partageaient avec les léninistes et les trotskystes russes, il n'est pas indifférent de le relever).
Voilà pour l'aspect, disons, économique. A noter que Joseph Staline pensait la Russie soviétique dans les mêmes termes (greniers à blé ici, haut-fourneaux concentrés là, etc.) Et figurez-vous que le Japon impérial ne voyait pas pour son compte les choses autrement ; "l'Asie sera notre usine, l'Amérique notre ferme et l'Europe notre boutique" entendait-on dire encore au Japon dans les années 80 du siècle dernier.
La nature impériale molle de cette UE ne fait pas le moindre doute, sa pensée (hypocritement maquillée par "les lois du marché") de l'organisation de l'espace et de l'économie est désormais, et depuis 1992, absolument
impériale.
Ce qui est à retenir de cela est que si une reprise (que Koestler nomme
paedomorphique) et un avenir relativement paisible et créatif sont envisageables en Europe, il importe de reprendre l'histoire de ces pays en un point antérieur à celui où l'Union européenne
l'a confisquée. Il importe de reconsidérer, réévaluer les discours sur "L'Europe unie facteur de paix entre les nations", en commençant par scruter ce que fut la période 1945-1992 en Europe. Les nations, prétendûment belliqueuses, s'entre-déchirèrent-elles durant cette période dans des guerres sanglantes et sans fin jusqu'à ce que la belle Union européenne, drapée dans une robe de cariatide, vienne généreusement leur apporter la concorde et la paix éternelle en s'autofondant le 7 février 1992 ? Non, pas du tout, c'est même le contraire qui est vrai : les guerres de sécession de la Fédération yougoslave, conflit le plus violent en Europe depuis la fin du IIIe Reich, éclatèrent dès que la nouvelle de cette fondation fut publiée.
Mais alors qu'est-ce qui assura cette paix quasi-totale en Europe de la fin du IIIe Reich à 1992 ? L'équilibre de la terreur allez-vous me répondre. On peut le voir ainsi mais cette autre pensée automatique, ce cliché doxique est très oublieux du fait que dans l'histoire la terreur n'a jamais engendré la paix ni l'équilibre, absolument nulle part. Loin de conduire à la sagesse pacifique entre les nations, la terreur déséquilibre et engendre les conflits les plus désastreux et les plus aisément anticipables. Alors quoi ?
La chute du IIIe Reich donna lieu à l'affirmation d'une doctrine géopolitique chez les vainqueurs que l'on pourrait caractériser comme "nationalisme monoculturel" voire "mono-ethnique" et pour la mise en oeuvre de laquelle les nations d'Europe furent reconstruites aussi ethniquement pures que possible, au prix de mouvements de populations visant à les regrouper qui firent se déplacer des hommes et des femmes par centaines de milliers vers les "foyers nationaux" (les déplacés de 1945), cela afin que plus jamais un empire multiculturel ne puisse voir le jour dans cette partie du monde. Il fallait "désimbriquer les peuples" en faisant que chacun ait son Etat (y compris les Juifs, avec la création de l'Etat d'Israël parrainée par les deux Grands d'alors, URSS et Etats-Unis). S'ouvrit dès ce moment une période durant laquelle le monoculturalisme des nations d'Europe, préservé à l'ombre des deux Grands, fit merveille dans tous les domaines : économique, culturel, artistique, intellectuel, scientifique et technologique. Il fit merveille pour ces nations d'Europe, mais moins pour les Empires de l'Est et de l'Ouest, car il donna naissance, dès 1956 en Hongrie, puis à Prague en 1968, en Pologne ensuite en 1980 à un
nationalisme d'émancipation, que l'Europe de l'Ouest jugea alors on ne peut plus positif, jusqu'à l'effondrement de l'Urss en décembre 1991 et le retour de la flamme impériale à Berlin via Maastrich 44 jours plus tard -- je mentionne l'Empire russo-soviétique sur le flanc Est, mais il faudrait aussi mentionner les déboires de l'Empire britannique moribond sur les limes de l'Europe dans cette période (Chypre, Irlande du Nord). Le nationalisme, à partir de ce point d'inversion, cessa d'être vu avec plaisir par les maîtres de Bruxelles, il perdit sa valeur d'émancipation et fut dégradé depuis dans les discours, au point d'être systématiquement flétri aujourd'hui par le terme péjoratif de "populisme". Le nationalisme de Solidarnosc en Pologne en 1980 était héroïque et émancipateur, celui des actuels partisans du Brexit au Royaume-Uni (que l'UE depuis trois jours MENACE DE DEMEMBRER s'il vote mal comme elle démembre l'Ukraine) n'est que
populisme, mot qu'il convient de prononcer les commissures des lèvres très abaissées.
Comme de juste, ce que j'appelle "Empire Mol" se pique d'une doctrine philosophique et géopolitique qui est à l'opposé de celle qui lança la phase de paix en Europe de 1945-1992 : celle-ci avait privilégié le monoculturalisme des nations, l'Empire Mol, lui, déterminé à mettre l'existant cul par-dessus tête, privilégiera "le multiculturalisme" et prônera le métissage généralisé devant créer une monorace qui les abolira toutes. Pardonnez-moi, mais je vois dans ce programme un délire qui n'est pas sans parenté avec celui qui agitait certains idéologues du régime hitlérien.
Ce que j'aurais à dire ensuite, vous le trouverez dans mes notes aux textes de Koestler et dans mes différentes interventions sur le sujet, disséminées dans les discussions qui ont cours sur ce forum depuis un mois environ.
J'arrête donc là, ayant l'impression de rabâcher. Je vous répondrai toujours avec plaisir si vous souhaitez poursuivre l'échange.
Donc, oui, j'allais oublier le plus important : la reprise paedomorphique sera celle d'une rentrée (comme on parle de "rentrée dans l'atmosphère" de certains engins spatiaux) dans l'histoire des nations, telle qu'elle allait son cours dans la période ante-1992 mais cette fois, sans l'ombre des deux grands. L'oeuvre (auto-)civilisatrice n'est telle que si elle est consciente et librement choisie, non forcée (par des empires extérieurs à l'espace des nations comme ce fut le cas ante-1992) et non soumise non plus à un empire ectoplasmique qui ne dit pas son nom, qui réécrit l'histoire et qui maquille ses oeuvres et ses plans sous le fard menteur de la "nécessité du marché".
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