Y-a-t-il quelqu'un sur ce forum qui a vu le film et qui pourrait nous en parler ? Ci-après l'éditorial qui est paru aujourd'hui dans le journal Présent sur le sujet.
Entre les murs
Le choc de l‘état des lieux
Sidéré. En pleine sidération. C’est l‘état dans lequel ce constat ultra-réaliste de l‘école de la République aujourd’hui va vous plonger. Un état des lieux remarquable, vrai, juste, parfois drôle, et d’abord terriblement alarmant. Au-delà même de l’alarme, dans la réalité des conséquences, dans la vérité crue. C’est comme ça. On en est arrivé là.
A aucun moment, le mot immigration n’est prononcé dans le film.
Mais c’est pourtant tout le sujet, toute la question. On ne voit que cela, on n’entend que cela, on ne vit que cela : l’inadaptation flagrante de l‘école et des professeurs qui s’en sortent comme ils peuvent, empêtrés dans leurs contradictions et leurs convictions de gauche, face à une classe composée à 70% d‘élèves d’origine immigrée. C’est en cela que le film de Laurent Cantet d’après le livre de François Bégaudeau, est l‘événement politique de la rentrée. D’autant plus intéressant que le réalisateur ne nous dicte pas ce que l’on doit penser. Il offre plusieurs pistes à travers les interventions des uns et des autres.
François Marin, prof de français, s’apprête à effectuer sa rentrée scolaire. La caméra qui filme son regard au moment où il boit son café au zinc juste avant la sonnerie en dit déjà beaucoup. Il va falloir y aller. Et ce n’est pas rien.
Comme l’indique le titre, le film est un huis clos parfois oppressant, toujours vrai, jamais ennuyeux sur le quotidien d’une classe de quatrième d’un collège dit « difficile » du XXe arrondissement de Paris. Le collège s’appelle Françoise-Dolto et c’est déjà tout un programme.
Si l’on peut dire, car de programme justement, il n’y en a plus beaucoup. En français le professeur se heurte aux limites des élèves. Il rabaisse constamment son niveau. C’est parti pour « l’autoportrait » sinon littéraire du moins très vivant : Souleymane, Cumba, Boubakar, Rabah, Esmeralda s’expriment : « J’aime le foot, mais pas l’OM, j’aime ma cité, j’aime le rap, j’aime traîner avec mes potes, etc. »
Constamment, le prof est confronté à des problèmes d’insolence, d’indiscipline, d’injures, de révolte. Mais pour continuer à « faire son cours » il transige sans cesse, discute sans fin, essaye de « jouer collectif » pour reprendre la métaphore footballistique, pour ne pas être débordé. Jusqu‘à ce que lui aussi atteigne les limites de cette méthode pédagogique.
En salle des profs, on s’arrache les cheveux et la crise de colère et de désespoir du professeur de techno est à cet égard extrêmement parlante. Dans le même temps, ces professeurs abandonnés de tous et d’abord de la République se mobilisent pour la mère sans-papiers de l’un des élèves d’origine asiatique. Ces professeurs sont dans « l’humanitaire » mais vont vite atteindre les limites de l’humain.
Le film ne se veut pas manichéen mais son constat est impitoyable. La réalité à l‘écran déborde le cadre comme certaines répliques improvisées ont débordé les scènes dirigées. Le résultat est criant. « Même les pierres crieront. » On y est. Comme l’a dit en substance Laurent Cantet, quelles conséquences les personnalités politiques qui ont applaudi le film à Cannes ou ailleurs (parfois même sans l’avoir vu) vont-elles en tirer ?
CAROLINE PARMENTIER
Article extrait du n° 6686
du Jeudi 2 octobre 2008