Cet argument "les nations c'est la guerre", digne des anarcho-boutonneux de Nuit Debout, est une des plus belles supercheries contemporaines. L'UE fut fondée en 1992, sur un projet explicite d'intégration des nations membres (Traité de Maastricht). C'était le premier en date de tout projet de cet ordre en Europe depuis la fin de la guerre, et ça n'a pas traîné : pour la première fois en Europe depuis la chute du IIIe Reich en 1945, la guerre qui couvait en Yougoslavie éclata en guerre de sécession ouverte, et pour en attiser les flammes l'UE qui venait d'être créée (le 1er janvier 1992 : première présidence portugaise du Conseil de l'Union européenne), s'empressa, le 3 février
d'adopter par le Conseil européen une série de mesures afin d'aider la Croatie, la Slovénie, les républiques yougoslaves de Bosnie-Herzégovine et du Monténégro et l'ancienne république yougoslave de Macédoine. Le 15 janvier la plupart des pays européens membres de l'UE avaient reconnu la Slovénie et la Croatie comme Etats indépendants. L'empire, c'est l'ingérence, sous toutes les guises, y compris les plus aimables ("l'humanitaire").
7 février : le traité sur l'Union européenne (ou traité de Maastricht) crée l'Union européenne qui remplace la CEE, institue les trois piliers de l'Union européenne et prévoit l'union économique et monétaire, avec une monnaie unique européenne qui sera appelée ultérieurement l'euro.
Les nouveaux Etats qui naissaient de cette guerre, mini-nations yougoslaves qui n'avaient pas été désimbriquées par Yalta ni le règlement de Potsdam en 1945, ne faisaient aucun mystère de leur ambition : s'agglomérer au corps politique continental qu'on venait de créer. L'enseignement à tirer de cela est des plus clairs : ce ne sont pas les nations et leur volonté d'exister et de coexister qui provoquent les guerres en Europe et ailleurs mais les projets d'intégration et de globalisation pan-continentaux ou transcontinentaux (cas des thalassocraties), que ces projets aient nom Reich ou 1er Empire français, ou Union soviétique ou Union européenne, ou encore Empire britannique ou Etats-Unis d'Amérique. C'est là une leçon élémentaire de l'histoire, que l'élite pro-UE s'est donnée pour mission d'occulter dans les messages électoraux qu'elle adresse au bon peuple.
Au cas yougoslave succède le cas ukrainien, puis bientôt écossais, catalan et ultérieurement, un cas corse, n'en doutons pas : la logique d'intégration des débris des nations et empires défunts, le principe de leur aimantation par l'UE, ne varieront point, ne se moduleront point.
Je soupçonne nos contenmporains de ne pas saisir pleinement le sens du mot
intégration. Ce terme signifie qu'à une échelle nouvelle, soit généralement une échelle supérieure, un corps nouveau prend naissance et consistance avec ses lois, ses dynamiques de croissance et surtout une spécialisation nouvelle des parties de son territoire qui bouleverse les "vocations" des régions naturelles ayant anciennement appartenu aux nations. L'impact économique de cet avènement est d'ampleur incommensurable avec les impacts que pouvaient subir les populations ayant la nation pour cadre de référence à leurs activités. C'est ainsi qu'un éleveur de bovins (cas présenté a JT de 20 heures hier soir) en Savoie, gagne à présent 500 euros par mois (ce qui est à peu près équivalent à ce que l'Etat doit donner aujourd'hui à un demandeur d'asile sénégalais ou erythréen) et doit, pour compenser ce revenu insuffisant, faire des extras sur les pistes des stations de sport d'hiver, aux remontées mécaniques, ou comme moniteur de ski ou de luge ou à la plonge dans les restaurants. Il ne le sait pas encore, mais il devra bientôt se séparer de son cheptel pour devenir Mickey à plein temps dans le Disneyland enneigé de son bourg et se spécialiser à ce métier, car sa région n'est plus la Savoie : l'intégration européenne a fait que la vocation de cet espace, les alpes savoyardes françaises, n'est pas l'élevage de bovin, ni la production laitière qui ont été "transférés" dans les quartiers du nord-est du continent, non, la "vocation" nouvelle, la spécialisation de son terroir, c'est les sports de glisse et l'or blanc. Même chose pour tout : la région PACA doit être le bronze-cul des populations du Nord, dehors les éleveurs d'ovins et les cultivateurs de lavande; la Lorraine n'a plus à produire d'acier, l'Allemagne s'en charge, etc.
Un corps nouveau qui se crée est comme un organisme biologique en morphogénèse : les cellules se spécialisent, deviennent celles d'organes spécialisés, et une cellule appelée à devenir partie du parenchyme du foie n'a rien à fiche dans le cervelet ou dans les jarrets de l'individu. D'où le massacre des liens d'appartenance tissés par l'histoire dans l'espace national qui a cessé d'exister en temps que corps, quand ce corps est traversé de lignes qui découpent des aires de spécialisation asservies à un métabolisme continental. D'où l'abandon de l'élevage près des stations de ski savoyardes, et les 500 euros par mois du paysan qui s'entête à continuer de concurrencer les éleveurs polonais ; même chose pour les légumes et le vin languedociens face aux arrivages du sud de l'Espagne, région appelée par l'UE à produire des fruits et légumes bon marché pour toute l'Europe et un vin 30% moins cher que le vin de France. Le fils du viticulteur de l'Hérault a un bel avenir de plagiste à Palavas, la côte languedocienne s'étant vu assignée, dans le grand corps européen, la spécialisation d'accueillir des vacanciers et, exceptionnellement à Montpellier, des "start-ups" technologiques.
Et il est vrai que sortir de l'euro n'a pas grand sens face à ce drame qui voit l'existant se faire piétiner par un grand plan continental, et le concept "sortir de l'Europe" pas beaucoup plus. Une prise de conscience s'impose : l'inversion de cette dynamique qui se présente comme inexorable consistera pour commencer à faire avorter l'ensemble de ce processus, à faire dérailler un "train de l'histoire" lancé sur ses rails et mu par des rouages économiques et historiques conçus à une échelle qui dépasse celle des acteurs économiques nationaux et locaux : sortir de l'Europe signifie faire enrayer et
saboter par tous les moyens à la disposition des forces nationales, celles du gouvernement comme celle de la société civile, l'ensemble de tous les processus de refonte économique et politique de l'existant, engagés par une oligarchie profiteuse et visionnaire qui s'est posée au centre de sa vision de l'histoire et du continent en s'y aménageant le seul rôle enviable et en garantissant à elle seule la permanence de ses privilèges et de son mode de vie.