« De pédagogues pragmatiques qui, selon leurs propres dires, sont décidés à mettre en avant et à promouvoir avant tout "ce qui marche", ce qui a fait ses preuves en éducation, ce dont on voit bien que c'est favorable à la culture et à la connaissance en elles-mêmes, on aurait pu attendre — mais sans doute était-ce compter sans le pragmatisme dans le pragmatisme, sans la prudence idéologique, sans le désir de mettre et maintenir l'apprenant "au centre du système" (et non pas la culture et la connaissance, justement) —, on aurait pu attendre, donc, un renversement cynique ou seulement pragmatique, justement, logique, de Bourdieu et Passeron qui, au fond, "ce qui marche", ne le désignaient que trop, a contrario : "ce qui marche" c'est l'héritage, ce dont bénéficient les "héritiers". Si l'objectif était de développer la culture au sein de la société (et non pas de promouvoir à toute force l'égalité, ce qui est un tout autre dessein, et parfaitement contradictoire avec le précédent), c'était sur eux, les héritiers, qu'il aurait fallu s'appuyer, puisque avec eux la moitié du travail était déjà fait, tout le monde était d'accord pour le constater, fût-ce bien sûr pour le déplorer. Certes il n'eût été ni judicieux ni juste, en un tel parti, d'abandonner les autres, les non-héritiers, à leur sort. Mais, puisque décidément c'était l'héritage qui donnait les meilleurs résultats, il aurait fallu se battre pour que, des rangs des non-héritiers d'aujourd'hui eussent une chance de procéder un jour, à la génération suivante, des héritiers — tout en se gardant bien sûr de négliger la possibilité que, l'héritage n'étant pas tout, tout de même, ni toujours indispensable (seulement très utile et très précieux, selon toutes les observations, à commencer par celles de ses pires ennemis), quelques-uns parmi ceux qui en sont privés puissent parvenir à s'en passer, grâce à leur intelligence, à leur application à l'étude et à l'attention pédagogique compensatoire particulièrement appuyée qui leur eût été prodiguée ; au lieu que la politique inverse, celle qui a été vertueusement suivie depuis un demi-siècle, et qui consiste à tout organiser pour que les non-héritiers ne soient pas désavantagés (alors qu'ils le sont bel et bien) et donc que les héritiers ne soient pas avantagés (et ils le sont aussi, "naturellement", mais Dieu sait que l'on a bien vu qu'on pouvait faire en sorte que ce soit sans effet), c'est labourer la mer.
« "Mettre au centre", comme ils disent, non pas tant l'enfant, l'élève, l'"apprenant", mais de préférence, et emblématiquement, l'enfant "défavorisé", "issu des milieux défavorisés", s'assurer que l'enfant favorisé, lui, n'a aucun avantage sur le précédent (alors que son avantage, c'est l'héritage culturel) et reçoit exactement la même éducation que lui, une éducation contrainte par ses besoins à lui, limitée par ses limites à lui, c'est garantir absolument, non seulement que le niveau général et moyen ne "montera" pas (il est bien question de cela !), mais qu'à chaque génération il baissera davantage — et c'est en effet ce qui se passe. »