Non. C'est par les armes, la spiritualité, qui conférait à nos conquérants une certaine audace, l'assurance du salut procurant une certaine immunité intérieure, la certitude de posséder la vérité justifiant d'avancer partout comme chez soi, etc.
Les sciences chinoises rencontrées par les jésuites en Chine se révélaient -- jusque dans l'arithmétique, les modes de calcul, les technologies, la médecine, --
supérieures à celles d'Occident.
La question de la raison, et de tous les chants entonnés à sa gloire : celle-ci fait parler d'elle, s'exprime haut et fort, dans les moments impériaux quiescents, lorsque la voie est libre pour une expansion (rappelons que la carrière admirable de logicien que connut Aristote lui-même est indissociable de la personne d'Alexandre, de sa fortune militaire et de la réussite de ses menées impérialistes).
Pendant trois bons siècles, à partir de la fin des guerres civiles en France et l'installation au trône d'Elisabeth en Angleterre, l'Occident ne rencontra dans son expansion aucun concurrent, aucun adversaire sérieux autre que lui-même. L'islam avait été mis KO debout par l'encerclement des thalassocraties occidentales qui avaient contourné les verrous mahométans par leurs vastes circumnavigations océaniques, d'une part, et par la Russie qui l'avait contourné par les steppes d'autre part. La Chine des Ming avait été envoyée au tapis (suicide du dernier empereur dans la déroute militaire) par les agressions des peuples d'Asie du Nord, les Manchous en particulier (chute des Ming, dernière dynastie chinoise : 1644). Moins de quarante ans, par conséquent, ont séparé le second échec mahométan devant Vienne en 1683, de l'effondrement de la Chine. La voie était désormais libre en Occident pour faire sortir à la logique son petit flutiau aristotélicien quiescent.
Pardon de vous donner des racourcis historiques aussi burlesques mais les films passés en accéléré permettent de dégager des mouvements d'ensemble que les détails occultent.
Ce que je tiens à vous soumettre aujourd'hui est ceci : que la logique, et même, toutes les élaborations sur et autour de la raison, sont le luxe du fort peu méfiant sur ce que lui réserve l'histoire et oublieux des ressorts et des circonstances qui lui valurent l'instauration de sa puissance. Elles sont la marque du fort qui se croit dispensé de combattre, c'est à dire qu'elles sont déjà la marque d'une faiblesse.
Ce qui est logique ne l'est toujours que dans un cadre de référence fini et arrêté, et ordinairement connu et convenu. En politique, Emmanuel Macron se montre paragon de raison et de logique. Il est probable qu'il s'apprête à créer, avec son équipe, un ministère des cultes, comme il en existe dans les pays musulmans, en violation flagrante des principes français de la laïcité, mais c'est parce que, constatant l'état des problèmes que pose l'islam en France, confronté à une islamisation "sauvage" du pays, il est
logique de prendre pareille décision. En politique, l'invocation de la logique est un hymne à l'enfermement dans les états de fait constatés, aboutis. Elle n'est le ressort d'aucun changement, d'aucune sortie de la damnation au réel. Elle conforte l'enfer par la résignation qu'elle dispense, l'injonction permanente d'obéissance à ses lois.
Les ressorts du changement (dans le monde naturel comme en politique) s'opèrent par saltations hors les cercles de la logique. Ce qui m'a fait vous proposer que les acteurs de l'histoire ont toujours mis la logique au défi.
Dans l'histoire naturelle, la logique darwinienne ne comporte, théoriquement et originellement (car les choses ont un peu changé dans ce domaine depuis un demi-siècle), aucun accident, aucune aberration, anomalie, aucun saut hors du rail de l'évolution. Et comme il fallait s'y attendre, cette logique vit le jour dans un moment particulièrement florissant et prometteur de l'empire britannique. En cosmologie, le Big Bang est une violente aberration, une gifle assénée à toutes les lois logiques de l'univers, un
sans-cause scandaleux. Pourtant c'est par lui, jusqu'à plus ample informé, que l'univers est advenu. Et croyez-vous que fût purement fortuit le fait que l'opposition la plus soutenue et endurante à la théorie du Big Bang émanât de certains cercles de savants britanniques à une époque (la première moitié du XXe siècle) où le soleil ne se couchait jamais sur leur empire ? Il faut à l'empire un régime de pensée quiescent, comme lui-même se complaît dans la représentation quiescente de soi qu'il se donne et tient à projeter alentour.
Toute l'histoire humaine, et toute l'histoire naturelle, n'évoluent que par bonds hors les grillages de la raison, du raisonnable, de l'inférable. C'est ainsi. Si une science logique supérieure existe, elle s'applique à une dimension d'espace-temps à laquelle la connaissance n'a pas accès. Et c'est dans cet espace inconnaissable, sorte d'éther métaphysique, que ces bonds illogiques trouvent leur "logique" à eux, dont nous ne savons rien, ou si peu.