"Madame Riphar [concierge de son état] prit Laitance à témoin du fléchissement des mœurs.
- Je ris, dit Laitance en riant tout de bon, parce que vous prononcez, à tort, permettez-moi de vous le faire respectueusement observer, les
moeurses. Et ça me remet en mémoire cet inspecteur qu’on m’avait adjoint pour quelque grosse besogne et qui, lui aussi, prononçait
moeurses. Je ne lui en eus pas plutôt fait l’observation, avec la suite d’exemples de cas similaires :
our, cer, etc., qu’il fut obsédé du soin de loger ces mots dans son propos courant. Vous allez voir si la conséquence fut bien amusante. Le bonhomme, d’un naturel assez grossier, était devenu tout à fait pédant. Un jour il fait une prise. Un voyou qu’il conduit à la Tour. En chemin, son captif de lui donner du « bougre de… », vous savez, le nom de ce duc d’Angleterre qui rime avec tonneau ? Avant mes leçons, mon homme eût flanqué proprement son pied au cul du chenapan. Mais, je vous l’ai dit, le goût du beau langage l’avait transformé. Il se contenta de faire observer au voyou : « Vous manquez de ta ! » C’est de tact qu’il voulait dire. Le plus drôle, c’est qu’il ne put jamais se désaccoutumer de prononcer :
Alorss ! Mais je m’égare et je vous ai interrompue, ma bonne amie, pardonnez-moi."
André Salmon –
Archives du club des onze (1923)
(Hélas, la plaisanterie sur le nom du duc d'Angleterre m'échappe, faute de connaissances. Si quelqu'un pouvait éclairer ma lanterne, je lui en serais reconnaissant.)