Parmi les auteurs ayant contribué, à mon avis brillamment, à ce
Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens figurent aussi Alain Boyer, Vincent Descombes, Alain Renaut, Taguieff, dont je ne vois vraiment pas pourquoi l'écriture et la pensée serait si lymphatique, ni même ce que cela peut bien vouloir dire en fait ; et puis, on peut très bien être sanguin et bête, l'un n'empêche pas l'autre après tout...
Pour ce qui est des platitudes, écoutez, colporter l'image d'un Nietzsche inoffensif et gai luron, affirmatif et joyeux, méridional, somme toute un penseur foncièrement
positif, cela me paraît être la pire des platitudes le concernant justement.
Je veux bien que le pâle Comte-Sponville puisse ne pas agréer aux plus subtils exégètes de la pensée nietzschéenne, mais personnellement c'est peut-être ce qui me plaît le plus dans sa contribution : une lecture qu'on pourrait dire au ras des pâquerettes, brute de décoffrage, rustique et pratique, et soucieuse des conséquences de ce que dit sans détours le texte, en même temps qu'exhaustive et parfaitement documentée, sans les complications d’interprétations trop décoratives, parce que c'est son hypothèse de travail la plus intéressante à mon sens : il n'y a pas à interpréter, il faut prendre Nietzsche à la lettre, entièrement au sérieux, c'est à cette condition seulement que les motifs clés de sa pensée prennent tout leur relief et acquièrent une réelle profondeur, laquelle ne se révèle tout entière que dans l'exclusive apparence et superficie...
Comme Comte-Sponville faisait en particulier référence à la conception trop lénifiante, à ses yeux, de Rosset, je continue donc un peu sur cette lancée...
« Clément Rosset, dans sa belle tentative pour rendre Nietzsche acceptable est obligé de laisser de côté non seulement tous les textes rassemblés dans
La Volonté de puissance et la quasi totalité du
Zarathoustra, ce qui fait déjà beaucoup, mais encore tout le contenu proprement immoral, ou immoraliste, de
Par-delà le bien et le mal et de
La Généalogie de la morale. De fait, si l'on en reste au
Gai savoir ou à
Aurore, ou si l'on ne retient des textes ultérieurs que les passages sur la musique ou la gaieté, on obtient un Nietzsche tout à la fois plausible et attachant — réaliste, rationaliste, joyeusement démystificateur — , très proche en vérité de Spinoza ou, et pour cause, de Clément Rosset...
[...]
il faudrait ici multiplier les citations, et ce serait vite fastidieux. Nietzsche est un des rares philosophes, peut-être le seul (sauf si l'on tient Sade pour un philosophe) qui ait à la fois, et presque systématiquement, pris le parti de la force contre le droit, de la violence ou de la cruauté contre la douceur, de la guerre contre la paix, qui ait fait l'apologie de l'égoïsme, qui ait mis les instincts plus haut que la raison, l'ivresse ou les passions plus haut que la sérénité, la diététique plus haut que la philosophie et l'hygiène plus haut que la morale, qui ait préféré Ponce Pilate au Christ ou à saint Jean, César Borgia ("l'homme de proie", "une espèce de surhumain") à Giordano Bruno, qui ait prétendu qu'il n'y avait "ni actions morale ni actions immorales", qui ait justifié les castes, l'eugénisme, le racisme et l'esclavage, qui ait ouvertement prôné ou célébré la barbarie, le mépris du grand nombre, l'oppression des faibles et l'extermination des malades, et en tenant sur les femmes et sur la démocratie des propos qui, pour être moins absolument exceptionnels, n'en sont pas moins affligeants... »
Quoi qu'on pense d'autre part de ces prises de position de Nietzsche, Comte-Sponville n'en a pas moins parfaitement raison, et son compte rendu de lecture est juste...